GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Actions & Campagnes politiques

1) Est-ce que la « méthode » d’un sommet social était bonne ?

Cher(e)s député(e) s de gauche,

En même temps qu’à des millions de salariés c’est à vous que s’adresse cette analyse.

L’ANI signé boulevard de Wagram le 11 janvier arrive en Conseil des ministres le 6 mars. L’avant projet de loi vient tout juste d’être disponible. Puis il arrivera au Parlement fin mars, courant avril. C’est vous qui allez avoir, avant mai, la décision entre vos mains.

On nous dit qu’il y aurait une « procédure d’urgence » et une seule lecture ? Pourquoi ? N’a t on pas pris le temps parlementaire régulier pour quantité de récentes lois ? Or là, l’enjeu est plus grave, plus déterminant encore. Ce sera sans doute la loi la plus décisive depuis le début du quinquennat.

Or le projet d’accord conclu le 11 janvier 2013 boulevard de Wagram entre le patronat et une minorité syndicale ne devrait pas être repris par la majorité de gauche au Parlement.

Prenez le temps de l’examiner, bien en détail, comme nous le faisons ci dessous, car il marquerait si vous l’adoptiez, une grave régression des droits sociaux des salariés.

Ce fut pourtant une excellente idée d’envisager un sommet social après les élections présidentielles et législatives. Encore eut il fallu qu’il soit un « sommet historique » occasion d’un débat et d’une mobilisation dans tout le pays sur la reconstruction sociale à mettre en œuvre après dix ans de destruction sociale de la droite sarkozyste et du Medef… .

La droite avait tellement cassé le droit du travail de 2002 à 2012 (lois Fillon, Larcher, Bertrand… recodification du code du travail, etc.) qu’il fallait le reconstruire, éradiquer la précarité.

Il était nécessaire de chercher à impliquer le patronat, en dépit de son hostilité, dans la lutte contre le chômage, contre les licenciements. Il fallait ré-augmenter les salaires bloqués depuis dix ans et donner des droits nouveaux en termes de santé, sécurité, conditions de travail. Les propositions concrètes de reconstruction du code du travail ne manquaient pas. Encourager les salariés, les mobiliser, c’était le moyen de sortir plus vite et plus surement de la crise, tout en confrontant le patronat à ses responsabilités, éventuellement à ses dérobades ou a son agressivité..

C’était d’ailleurs écrit publiquement dans le « projet socialiste » 2011 : « reconstruire le droit du travail ».

Négocier avec le patronat, l’engager dans le redressement du pays, il le faut. Le Medef est le premier responsable dans le chômage de masse, il doit être concerné profondément dans la sortie de crise, la redistribution du travail et des richesses. Car il y a eu un partage du travail féroce, violent, injuste entre sans travail sous travail sur travail au détriment de l’emploi.

Il faut en revenir à de bonnes lois républicaines du travail.

Nous ne pouvons survivre avec 5 millions de chômeurs, 10 millions de pauvres, 3 millions de précaires, 3,5 millions de temps partiels, 2,7 millions de smicards, un salaire médian limité à 1640 euros alors que la durée réelle moyenne du travail hebdomadaire est remontée à 41/42 h et qu’il y a un milliard d’heures supplémentaires dissimulées, non déclarées, non majorées, non payées (l’équivalent de 600 000 emplois). Il y a urgence : on aurait pu voter en ce sens dés juillet 2012, cela a été retardé, mais ce n’est pas une raison pour que cela soit fait de façon précipitée, au pas de charge, sans faire très attention.

On se souvient dans l’histoire de notre pays, des célèbres « sommets » de Matignon en 1936 après la crise de 1929 et de Grenelle en 1968 après la grève générale, où patronat et syndicats, à chaud, négocièrent des avancées historiques qui marquèrent le XXe siècle !

Plus prés de nous, après novembre décembre 1995 et la victoire de la gauche, le 10 octobre 1997, Lionel Jospin avait convoqué un véritable « sommet social » où le gouvernement engagea les « partenaires sociaux » à négocier les 35 h avant qu’une loi ne les consacre.

Dans tous ces cas, sous la pression des grèves, luttes sociales ou du gouvernement, la gauche faisait progresser la cause de millions de salariés. Parfois plus loin que prévu : les 40 h et les congés payés n’étaient pas au programme du Front populaire, ils n’en furent pas moins négociés et accordés le 8 juin puis le 11 juin 36 sous l’impact du développement des grèves et occupations d’entreprises. La loi suivit vite.

Mais, là au sommet de Wagram qui a commencé le 16 juillet 2012 pour se terminer à froid le 11 janvier 2013, on n’a pas eu du tout ni le même enthousiasme, ni le même résultat. Cela a trainé dans un silence général. Ni lutte sociales, ni propositions centrales et fortes du gouvernement de gauche, et à la fin seule une minorité syndicale a signé. C’est négatif.

Il faut des négociations, des contrats, des compromis, bien sûr !

Quand les « partenaires sociaux » parviennent à négocier mieux que la loi, c’est bon pour tous. Entre le contrat et la loi, c’est le principe de faveur, c’est-à-dire ce qui est le plus favorable au salarié qui l’emporte, c’est ainsi qu’on fait progresser les droits sociaux.

Il est arrivé dans le passé que des grèves donnent naissance à des « contrats » meilleurs que les lois en vigueur. Oui il faut des « contrats », des « conventions collectives » étendues de branche et interprofessionnelles.

Il est sain, pour un gouvernement de gauche, de chercher à consulter les syndicats avant de faire une loi, et de chercher à en convaincre les patrons.

Maurad Rabhi, négociateur CGT (Source : blog de Slovar)

Les patrons sont les grands gagnants de cette négociation. Les salariés dans leur grande majorité n'ont pas encore pris la mesure rélle de la portée de l’accord du 11 janvier 2013. Et pourtant, ce texte présenté comme une nouvelle phase de « flexisécurité » constitue, en vérité, la régression la plus importante qu’ont eu à connaître les droits des salariés depuis les années 1980.

Il faut autant de contrats que possible et autant de lois que nécessaires.

Concertations, négociations, sont utiles : encore faut-il respecter certaines règles, par exemple, écouter la majorité des syndicats revendicatifs plus qu’une minorité signant à bas niveau. Une négociation, ça se conduit, ça se guide, comme le fit Lionel Jospin en 1997.

Mais si un patronat ne veut pas faire de concession, propose une feuille de route régressive, il n’y a aucune raison, pour la gauche, pour les partis, pour les syndicats, pour les salariés de le suivre.

Si on avait attendu que le patronat signe, nous n’aurions jamais eu les 35 h !

L’idée qu’il faudrait à tout prix respecter « fidèlement et loyalement » une négociation, un accord, un compromis dictés par le patronat est surprenante. Ce sont les représentants du peuple, les élus qui décident, pas une poignée de patrons du Medef.

S’il n’y avait plus de loi sans accord préalable des patrons, on changerait carrément de République : on tomberait dans une République corporatiste et on cesserait d’être dans une République citoyenne. Il n’y aurait plus jamais d’avancée sociale, on n’aurait jamais eu les conges payés, les 40 h, les 35 h, les retraites, la Sécu… car tout cela a été imposé par une synergie de l’action des syndicats et de gouvernement de gauche ! La gauche ne s’est pas soumise à l’accord du CNPF puis du MEDEF pour légiférer dans l’histoire, sinon elle n’aurait jamais fait la Sécurité sociale, la retraite à 60 ans, la journée de 11 h, de 10 h puis de 8 h, les 40, les 39, puis les 35 heures, les congés payés… Et quand elle a légiféré, le patronat a bien été obligé de se soumettre, et cela a été un progrès durable pour tous.

L’actuelle volonté du MEDEF, traduite dans l’ANI de Wagram, est de multiplier les accords d’entreprise, au détriment de la loi. Comme l’a expliqué Laurence Parisot, lorsqu’elle refusait toute contrepartie aux 20 milliards de crédit d’impôt accordés en 2013 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault : « Cela relève de la décision de 1,2 million d’employeurs, il y a 1,2 million de décisions ».

Pourtant il existe un « ordre public social » républicain qui, normalement s’impose à tout employeur : « Entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » selon la célèbre mais bien fondée phrase de Lacordaire.

L’ANI de Wagram, du 11 janvier, écrit par le Medef, défendu par le Medef, resté minoritaire n’a aucune sorte de légitimité pour devenir « loi de la République ». Il faut le prendre pour que ce qu’il est, un texte d’une minorité fortement contesté par une majorité !

Est-ce que l’ANI est un compromis ?

Le gouvernement ne peut argumenter que ce texte serait le résultat d’un compromis entre syndicats majoritaires et patronat.

Ce serait mieux s’il l’avait été. Mais ce n’est pas un compromis. Un compromis, il serait parti de ce que proposaient tous les syndicats de salariés d’un côté, et de ce que proposaient les organisations patronales de l’autre : il y aurait eu un point de rencontre entre les deux « partenaires sociaux ».

Or il n’y a rien dedans qui favorise en quoi que ce soit les salariés. Aucune avancée. Aucun progrès. Uniquement des petites mesures tordues, confuses, manipulées pour in fine arranger le patronat pas le salariat : vous allez le relire ci dessous et nous sommes certains que vous allez le découvrir, même si vous aviez des préjugés, qu’il n’y a AUCUN domaine où il y ait une avancée.

Nous allons vous le démontrer ci-dessous dans le détail chapitre par chapitre, point par point. Lisez.

Ne vous laissez pas impressionner il y a eu des « effets d’annonce » une forme de bourrage de cranes médiatique. Nous aurions bien aimé vous dire que là ou là, il y avait du positif. Mais hélas, rien, rien, il n’y a rien. Sauf du négatif.

Car il faut lire, étudier l’ANI dans le détail. Le droit du travail est un droit intime, décisif, quotidien, pour 18 millions de salariés du privé. C’est le droit le moins enseigné, le plus méconnu, le plus dénigré, le plus fraudé, mais celui qui se révèle le plus vital, il détermine le taux de l’emploi, du salaire et toute les conditions de la vie au travail. Là ou il y a un bon droit du travail, cela crée de l’emploi. Là ou il est démantelé cela crée du chômage et des travailleurs pauvres.

C’est l’état de droit dans l’entreprise. Le droit DU travail, c’est du droit AU travail.

Contrairement à une « bad » légende, c’est un droit simple, pratique, concret. C’est lui qui donne et garantit le droit au travail, le niveau du salaire, la durée du travail, légale et maximale.

Le droit du travail a été bâti longuement depuis 170 ans, il a été rédigé avec du sang et de la sueur, des luttes et des larmes. Les salariés sont l’écrasante majorité, 93 % des actifs de ce pays. Quand un article du Code varie, ce sont des millions d’entre eux qui sont impactés tôt ou tard.

Un contrat de travail se caractérise comme un « lien de subordination juridique permanent »

C’est l’employeur qui décide de la naissance du contrat, de la gestion du contrat, de la fin du contrat. Il n’y a pas démocratie dans l’entreprise, il n’y a pas de citoyenneté dans l’entreprise.

Il n’y a pas d’égalité dans l’entreprise entre employeur et salarié. Il n’y a pas de volontariat en droit du travail. Le salarie est subordonné.

…Et le code du travail est la contrepartie à la subordination !

Laurence Parisot est bien connue pour avoir déclaré : « la liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail ». Pour mieux supprimer toutes les contrepartie à la « subordination », le Medef a organisé des colloques sur « la soumission librement consentie » afin de justifier qu’il n’y ait plus d’état de droit dans l’entreprise.

De 2004 à 2008, la « recodification du code du travail » par ordonnance, les lois Fillon, Larcher, Bertrand ont déjà abondamment multiplié flexibilité, précarité et dérèglementation, provoquant souffrances, précarité, stress, risque psycho-sociaux, burn out, accidents et maladies professionnelles accrues, ce qui a abouti à davantage de ruptures de contrats et de licenciement abusifs. Plus il y a de flexibilité plus il y a de chômage, cela se vérifie toujours, partout.

Plus il y a de flexibilité moins il y a de droits et d’emploi.

Parfois pour un député, surtout s’il a travaillé dans la Fonction publique, d’état ou territoriale, le Code du travail semble « complexe » et « abstrait ».

Mais pas pour ses électeurs.

Ceux qui aujourd’hui n’ont pas d’opinion mesureront demain les effets de cet accord sur leur vie et ne manqueront pas d’en tirer les conséquences notamment sur le plan électoral.

Depuis la belle victoire de la gauche en mai juin 2012, il n’y a aucune restitution de droits perdus depuis dix ans.

Il n’y en a pas plus dans l’ANI de Wagram signé le 11 janvier. Quasi aucune mesure prévue par cet ANI ne s’applique avant fin 1993 et donc rien ne pèsera donc pour aider le gouvernement à « inverser la courbe du chômage » cette année :

  • Aucune interdiction des CDD abusifs, partiellement et aléatoirement taxés, remplacés par des intérims, il n’y aura aucun précaire de moins.
  • flexibilisation maximale des temps partiels contre 85 % des femmes qui le subissent en majorité,
  • développement massif du chômage partiel et recul des droits à formation afférents,
  • une incroyable création de CDI intermittents, nouveau cheval de Troie contre le CDI.
  • Rien de mieux en matière de protection des indemnités des chômeurs et dégressivité des indemnités chômage,
  • une « complémentaire santé »… en 2016 limitée, chère, tardive et tournée vers les gros groupes d’assurances privés,
  • rien de nouveau en matière de formation professionnelle (120 h sur toute la vie),
  • reculs de l’information des IRP, leurre en matière de représentants aux conseils d’administration.
  • ouverture à des « mutations internes » imposées modifiant le contrat individuel de travail
  • « pactes » menaçants de chantage à l’emploi, avec clauses de baisse de salaires et de changements d’horaires,
  • « plans de sauvegarde de l’emploi » accélérés, fluidifiés, facilités, cadenassés…
  • recul historique dans la défense des contrats de travail face à des accords dérogatoire
  • affaiblissement grave des droits des salariés face aux prud’hommes,
  • remise en cause des procédures devant les juges…
  • Ça fait beaucoup de négatif. Tellement de « négatif » qu’il est impossible de parler de « compromis ».

    L’ANI issu du sommet social a été détourné de son objectif. Loin de favoriser l’emploi, il facilite les licenciements et la précarité.

    Les salariés ont déjà beaucoup trop donné avec la droite quant aux promesses de moins de garanties pour plus d’emplois. La baisse des droits est immédiate et réelle mais les promesses d’emploi ne sont jamais tenues.

    Déjà en 86 le patronat promettait 400 000 emplois en échange de la suppression de l’autorisation par l’inspection du travail des licenciements économiques. La suppression a été effective, les emplois n’ont jamais vu le jour.

    Cet accord n’est donc pas transposable en l’état.

    Il serait inconcevable que la majorité parlementaire entérine dans la loi les reculs sociaux dictés par le MEDEF.

    D’ailleurs il comporte aux yeux des experts quantité d’anomalies juridiques, d’aspects contradictoires, improvisés, et même des passages anticonstitutionnels. Techniquement, ça cloche. Mais politiquement ça fait mal, très mal.

    Car au-delà de l’aspect juridique, c’est sa philosophie qui fait question. François Hollande a été élu avec l’immense majorité des voix des salariés en promettant l’emploi et la justice. L’ANI signé ne créera pas un emploi de plus, pas un chômeur de moins. Il ne contribuera en rien à inverser la courbe du chômage avant fin 2013. Pire, s’il entrait en vigueur, il facilitera les licenciements.

    En plus de donner des aides et des droits nouveaux injustifiés au patronat, cet accord comporte des reculs sociaux historiques, soulignés par de nombreux juristes et détaillés (cf. ci-dessous où les 28 articles de l’ANI sont examinés). Il permet aux employeurs de rendre incertain ce qui était sûr pour le salarié (sa paye et son contrat) et sécurise les employeurs en rendant plus difficile ou impossible la saisie de la justice par le salarié pour faire valoir ses droits.

    C’est un accord minoritaire :

    Cet accord ne peut être pris au sérieux tellement il est minoritaire.

    Une nouvelle loi sur la représentativité syndicale (voulue par la CFDT, la CGT et le Medef en 2008) entre en vigueur en 2013, elle impose que les signataires d’un accord de ce type aient plus de 10 % des voix et qu’ils représentent 50 % des voix des salariés pour qu’un accord soit valable :

    Or les organisations syndicales signataires de l’ANI de Wagram du 11 janvier, sont nettement en dehors de cette loi, et très minoritaires. La CFTC et la CGC ont moins de 10 % des voix et ne sont pas fondées à signer. Le total des voix des éventuels signataires (CFTC, CFE CGC, CFDT) représentent moins de salariés que les non signataires CGT et FO.

    Pour mémoire :

    Aux prud’hommes en 2008, sur 4,5 millions de voix exprimées :

  • Pour les non signataires CGT (34 %) et FO (15,81 %) soit 49,81 % ;
  • Pour les signataires CFDT (21,81 %), CFTC (8,69 %) et CGC (8,19 %) soit 38,69 %.
  • Le dernier résultat de décembre du vote des petites entreprises (sur 10,51 % de voix exprimées, 465 796 ) est le suivant :

  • Pour les non signataires CGT (29,54 %) et FO (15,25 %) soit 44,79 % ;
  • Pour les signataires CFDT (19,26 %), CFTC (6,53 %) et CGC (2,32 %) soit 29,15 %.
  • Deux sondages de début janvier 2013 confirment qu’une majorité rejette la flexibilité du MEDEF : 56 % selon BVA, 55 % selon celui de CSA/les Echos, dont 69 % d’ouvriers et 69 % de sympathisants du PS.

    La majorité de gauche du Parlement doit être raisonnable et respectueuse : elle doit corriger ce très mauvais résultat du 11 janvier, écouter la majorité des salariés.

    Cher(e)s député(e)s, ce texte « ANI » n’a pas l’aval de la majorité des salariés,

    Vous devez les entendre et porter leur voix.

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