GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Crise européenne, leçons italiennes

La coalition de gauche menée par le secrétaire du Parti Démocrate Pier Luigi Bersani est arrivée en tête lors des élections législatives italiennes. Elle dispose de la majorité absolue à l'Assemblée Nationale avec 345 sièges sur 630 et d'une majorité relative au Sénat avec 123 sièges sur 315. En dépit de cette avance électorale, le débouché gouvernemental est incertain.

Un régime politique déstabilisé

La raison est d'abord institutionnelle. La constitution italienne attribue des pouvoirs identiques au Sénat et à la Chambre des députés. Sans majorité sénatoriale sûre, il est difficile pour un gouvernement de légiférer et de mettre en œuvre son programme. Il est condamné à négocier, constituer des compromis, sans jamais être certain de la durée et de la solidité des accords ainsi obtenus. Par ailleurs, si le mode de scrutin à la Chambre assure au vainqueur une prime majoritaire qui amplifie son succès, celui au Sénat relève d'une logique territoriale et démographique qui l'amoindrit.

Les effets déstabilisants de la réforme électorale introduite par la droite en 2005 ne sont cependant pas les seuls éléments à l'origine de la crise politique actuelle. La perte de confiance des Italiens dans la représentation politique remet en cause les équilibres partisans issus de l'opération « mani pulite » (1) en 1992. Les deux principales alliances qui se sont succédés au pouvoir depuis la fin du pentapartisme(2) connaissent des pertes de voix significatives par rapport au scrutin de 2008, 7 millions pour celle de droite et 4 millions pour celle de gauche. Ce recul bénéficie de manière spectaculaire au Mouvement cinq étoiles emmené par Beppe Grillo qui réalise plus de 8 millions des voix et gagne 109 sièges à la Chambre des députés et 54 sièges au Sénat. L'irruption de la formation politique dirigée par l'initiateur du « Vaffanculo Day » est révélateur de la crise profonde qui affecte la démocratie italienne.

L'austérité sanctionnée

Si la désaffection du peuple italien affecte moins fortement la coalition de Pier Luigi Bersani que celle de Silvio Berlusconi, la première ne tire toutefois qu'un faible avantage du mécontentement populaire engendrée par l'épisode Mario Monti. Arrivé au pouvoir le 13 novembre 2011, suite à un coup de force appuyé par la France et l'Allemagne, cet ancien commissaire européen s'est attaché à appliquer l'agenda de Bruxelles en s'attaquant au droit du travail, en augmentant la fiscalité de la consommation et en accélérant les coupes budgétaires. Cette poursuite de l'austérité engagée par Silvio Berlusconi a approfondi la crise économique et sociale du pays avec un taux de chômage supérieur à 11%, une variation négative du PIB de 2% et un endettement de 2000 milliards d'euros. Une orientation économique qui a été sanctionnée par le peuple lors du dernier scrutin. La liste soutenue par Mario Monti n'a obtenu que 47 sièges à la Chambre des députés et 19 au Sénat.

Dans ce contexte, la coalition de gauche n'est pourtant parvenue que partiellement à transformer l'insatisfaction sociale en mobilisation électorale. La dynamique pour une autre politique exprimée par le succès des primaires et leurs 3 millions de participants n'a trouvé que peu d'échos dans la campagne de Pier Luigi Bersani. Pour une partie du salariat, menacée de paupérisation par des années de réformes néolibérales, les réponses politiques à la crise ne sont pas à la hauteur de la dégradation subie. La dilution de l'identité sociale du Parti Démocrate et le cantonnement des organisations syndicales aux secteurs « protégés » ont nourri ce détachement. La distance entre le monde du travail et les organisations qui s'en revendiquent a favorisé l'émergence de mouvements anti-politiques.

L'impasse du social-libéralisme

Les expériences gouvernementales de la gauche entre 1996 et 2001 ont été marquées par l'échec des stratégies social-libérales et l'incapacité à trouver une majorité sociale qui soutienne la « voie centriste » suivie. La défaite électorale de la coalition au pouvoir en 2001 a été marquée par un déclin du vote ouvrier et employé, insuffisamment compensé par celui des cadres et professions intellectuelles. La volonté de renouveler la concertation sociale par la constitution d'un « pacte entre producteurs » dans le cadre de politiques économique restrictives a conduit les gouvernements de gauche à valider la flexibilisation du marché du travail, les privatisations et le recul des droits sociaux. Ces réformes ont principalement pénalisé les salariés les plus fragiles et les moins organisés. Le retour aux affaires sous la direction de Romano Prodi entre 2006 et 2008 n'a fait que confirmer les impasses d'une telle stratégie.

En l'absence de relais institutionnels, l'action des travailleurs et de la jeunesse a pris des formes variées. Les mouvements sociaux de Gênes en 2001, la protestation massive contre l'engagement militaire en Irak ou les grèves générales contre l'austérité en 2011 et 2012 ont démontré le potentiel de mobilisation de la classe salariée. Mais sans réel débouché électoral celle-ci a été contrainte à l'éparpillement, soit dans le vote par défaut pour le Parti Démocrate, soit dans l'appui ponctuel à des formations tribunitiennes « attrape-tout » dont le phénomène Beppe Grillo est le dernier avatar. En proposant un programme qui associe des revendications démocratiques élémentaires sur la limitation des mandats ou la régulation des conflits d'intérêt à des propositions de réformes sociales comme l'introduction d'un revenu de citoyenneté ou de défense des services publics, le mouvement 5 étoiles a catalysé les frustrations populaires accumulées ces quinze dernières années.

Les ambiguïtés du Mouvement 5 étoiles

Dans un style qui lui est propre, celui de prestations publiques de masse dans toutes les grandes places de la péninsule, et une utilisation sans précédent des réseaux en ligne, Beppe Grillo est parvenu à faire le lien entre tous ceux qui souhaitent en finir avec une classe politique déconsidérée. Cette alliance de la colère et de la protestation n'est cependant pas sans contradictions. La structure du mouvement 5 étoiles repose sur une centralisation et une personnalisation qui interroge les ambitions participatives exprimées. Au-delà de cette forme plébiscitaire, le traitement de la question sociale avec la proposition d'un revenu minimum garanti interroge également sur la nature du modèle de développement défendu. Si cette mesure répond de manière immédiate à l'angoisse des populations précaires, elle peut très bien s'accommoder d'une généralisation du sous-emploi. Par ailleurs, le rapport conflictuel qu'entretient Beppe Grillo avec le mouvement syndical laisse présager un affaiblissement de la démocratie sociale désastreuse pour les travailleurs.

Désormais investi d'un rôle clef dans la vie parlementaire italienne, le mouvement 5 étoiles est condamné à sortir de son ambiguïté. S'il le fait au détriment de sa dimension sociale, il perdra alors une partie du soutien populaire gagné au cours de cette campagne. Afin que la crise de système ne se poursuive pas et que l'insatisfaction de la population ne dégénère pas en désespoir et n'alimente pas des forces plus réactionnaires, il revient à la coalition de gauche et notamment au Parti Démocrate de renouer avec sa base sociale par l'adoption et la mise en œuvre d'un programme de transformations sociales et démocratiques.

Des enjeux stratégiques

La vaine poursuite d'une alliance sociale centriste doit être abandonnée au profit de la constitution d'une alliance sociale centrale s'appuyant sur les besoins de tous les secteurs de la classe salariée. Un défi stratégique qui ne peut être relevé par les formations de gauche radicale pris au piège du repli sectaire ou des revendications sectorielles. Le résultat obtenu par les listes de « Révolution civile » menées par Antonio Ingroia avec 2,25% et 1,79% à la Chambre des députés et au Sénat en est l'illustration.

Dans tous les cas, les leçons de ce scrutin italien sont nombreuses. Elles entrent en résonance avec les mobilisations de masse qui secouent ces derniers jours le Portugal, l'Espagne et la Grèce. Il est urgent que les partis de gauche majoritaires en prennent la mesure. S'ils n'abandonnent pas les chemins de l'orthodoxie budgétaire, ils sont condamnés à l'impuissance et au désaveu populaire qui constituent le terreau des forces anti-politiques.

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(1): L'opération « mani pulite » (mains propres) désigne l'action entreprise par des juges entre 1992 et 1993 pour révéler et condamner les pratiques de corruption et de financement illicites en cours au sein de la classe politique italienne. (retour)

(2): Le pentapartisme désigne la coalition de partis hégémoniques en Italie depuis 1945 rassemblant autour de la Démocratie chrétienne les socialistes, les sociaux-démocrates, les républicains et les libéraux. (retour)

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