GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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0,37 centimes par lit supplémentaire

Il me la joue forte, à l’émotion. C’est un patron sûr de lui que j’ai en face de moi. Il est conseiller prud’hommes coté patronal, alors vous pensez s’il respecte le droit du travail... Il dirige deux sociétés identiques recrutant des femmes de ménage qu’il place dans des hôtels « économiques » et de « luxe » pour faire les chambres… Il y a 300 femmes, à 90 % africaines qui ne savent pas lire, ni défendre leurs droits. « - Mais attention, moi je ne suis pas comme la concurrence, me précise t il, je crée de l’emploi, il est déclaré, j’ai des contrats… »

Je l’interroge pour savoir s’il ne fait pas comme ses confrères, s’il ne paye pas les chambres « à la tâche » sans se soucier des horaires qu’il impose ainsi… « Non, pas moi, je suis honnête… ». Alors il ne faut pas venir l’embêter avec cette salariée qui s’est plainte à moi à la suite d’un accident du travail parce qu’il ne l’avait pas payé à 100 % et qui s’est syndiquée à la CGT parce qu’elle refuse d’être mutée en « punition » dans un hôtel de Roissy, à 2 h de chez elle. Non, « il ne peut privilégier l’une pour défavoriser l’autre », il faut bien qu’il y en ait à Roissy, n’est-ce pas ? C’est ça, la mobilité. Certes une deuxième femme s’est plainte et vient de se syndiquer à la CFDT, mais il en rit bruyamment : « C’est mieux quand il y a plusieurs syndicats, ils se tirent dans les pattes ».

Depuis six ans, sa société n’a ni Délégué du personnel, ni Comité d’entreprise, ni Comité hygiène sécurité, il me montre une note de service attestant qu’il a essayé de faire des élections mais personne ne s’est présenté, et il a fait un « procès-verbal de carence ». Je sais qu’aucune salariée n’a vu cette note et n’a été informée. D’ailleurs il fait traîner les négociations avec l’UL-CGT pour reconnaître que ses deux sociétés forment une « unité économique et sociale », et pour un « protocole d’accord électoral »… Je demande s’il est affilié à un centre de médecine du travail. Non, il envisage de le faire… Mais avec six ans de retard : aucune de ses salariées n’a passé de visite médicale.

Ensuite, je regarde les relevés d’heures et les feuilles de paie. Les bras m’en tombent : à ces femmes embauchées à temps partiel, 113 h, il propose des heures « complémentaires »… mais sur les plannings, cela apparaît sous l’étiquette « LS » : « lits supplémentaires ». Ce ne sont pas les chambres qui sont « à la tâche », ce sont « les lits »…

Chacune des « collaboratrices » (il les appelle ainsi) peut faire de 2, 5 voire 11 « lits » en plus… Sur chaque feuille de paie, il est indiqué « LS » et le « taux » : 0,37 euros. Combien de temps pour faire un lit ? Ca dépend des chambres, du lit double ou simple, enlever les draps, apporter, remporter et remettre les draps, du dessous, du dessus, traversin, oreillers, couvertures au carré, allez mettons dix minutes, au mieux, 0,37 cts d’euros pour 10 minutes. Soit moins de 2,4 euros de l’heure en plus… Le patron perd de sa superbe, il sait qu’il n’a pas le droit de payer « à la tâche ». Le décompte du temps de travail doit figurer sur les bulletins de paie - qui sont donc tous faux. Il y a autant d’amendes possibles que de bulletins de paie incorrect. Chaque salariée pourrait (si elles savaient leurs droits réels et comment aller aux prud’hommes) réclamer ses heures recalculées 5 ans en arrière…

(Madame Parisot veut réduire ce délai de prescription). Mais notre patron, ce négrier, ce voleur, espère échapper aux poursuites de ses « collaboratrices » et ne jamais leur payer ce qu’il leur doit vraiment…

Je sors épuisé sur le trottoir, y’a un gars en scooter qui s’arrête et me reconnaît : « Ah monsieur Filoche, je vous soutiens, faut le défendre, le code du travail ». Il me fait plaisir, je lui raconte tout de go ce que je viens de vivre : « - Ah, il faut les niquer ces gens, là, c’est des salopards, des salopards, y’en a trop, faut les niquer, qu’ils paient ces dégueulasses ».

Gérard Filoche

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