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Vers la pérennisation de l'état d'urgence ?

Avant le premier tour des législatives, Le Monde avait révélé une intention sinistre du gouvernement, à savoir un projet de loi visant à inscrire dans le droit commun la plupart des mesures sécuritaires permises par l’état d’urgence. Nous y sommes. L’Assemblée Nationale débat le lundi 25 septembre le projet de loi « sécurité intérieure ». Rien que le titre de l’article du journal Le Monde suffit pour savoir quoi en penser : « Le gouvernement choisit la surenchère sécuritaire pour sortir de l’Etat d’urgence ». Mais Macron lui-même avait maladroitement révélé le fond de l’affaire il y a déjà une semaine, lorsqu’à New York il a eu un lapsus expliquant vouloir « sortir de l’Etat de droit ».

Assignations à résidence, perquisitions administratives, fermeture de lieux de culte, mise sous bracelet électronique des suspects, toutes ces mesures ne nécessitant plus l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire pourront être prises par le ministère de l’Intérieur (donc par les préfets) en temps normal.

L’état d’urgence... permanent !

Le tout pour pouvoir « sortir » de l’état d’exception que constitue l’état d’urgence. Pourtant, le candidat Macron s’était prononcé pour un retour au droit commun en estimant qu’il était adapté aux besoins de la lutte antiterroriste. Mais au lieu donc de revenir à la normalité juridique et mettre fin aux pouvoirs policiers accrus de l’administration, le gouvernement entend tout simplement normaliser ces pouvoirs. Il ne s’agit donc de rien de moins que de la normalisation de l’État policier et d’un revirement total du président. C’est pourquoi le constitutionnaliste Paul Alliès – par ailleurs membre du CN du PS – qualifie le projet gouvernemental de « Patriot Act à la française »1.

À chaque fois que l’état d’urgence a été prolongé, les députés et les sénateurs ont tranché après des débats expéditifs. Ils ont même durci certaines dispositions inscrites dans les projets de l’exécutif, comme pour montrer qu’ils n’étaient pas en reste en matière de fermeté antiterroriste. Comme si le mal congénital de la Ve République, l’affaiblissement du pouvoir législatif au profit de l’exécutif, et son corollaire, les entorses au principe de l’État de droit et les dérives vers l’État policier, s’étaient bien incrustés dans l’esprit des parlementaires. Mais le mal est plus profond encore : la durée exceptionnelle de l’état d’urgence – vingt-deux mois déjà ! – tient à l’accoutumance de l’opinion publique à cet état d’exception et à l’acceptation in fine des thématiques sécuritaires imposées sous l’injonction à la lutte contre le terrorisme.

C’est pourtant la Commission nationale consultative des droits de l’Homme elle-même qui a plusieurs fois dénoncé l’état d’urgence et demandé sa fin2. La CNCDH estime que les pouvoirs accordés à l’administration confinent à l’arbitraire et qu’ils sont incompatibles avec l’État de droit même dans un contexte de crise, mais aussi que la menace terroriste ne justifie pas le recours à l’état d’urgence, car elle ne constitue pas un « péril imminent », la condition stipulée par la Constitution pour instaurer un tel régime d’exception. Elle pointe d’ailleurs le fait que les pouvoirs publics ne parviennent plus à justifier l’état d’urgence par les résultats en matière de lutte antiterroriste, et estime que son efficacité est quasi nulle à cet égard. Ce qui l’amène à conclure à l’inutilité du dispositif.

Contre le mouvement social

Même le Conseil constitutionnel a censuré, en même temps que les révélations du Monde en juin dernier, une des dispositions de l’état d’urgence qui avait été utilisée contre le mouvement contre la loi Travail en 2016, à savoir le pouvoir donné aux préfets d’interdire à des individus de se rendre dans des lieux publics à des dates précises (ce qui a permis d’interdire la participation à des manifestations).

En effet, un très récent rapport d’Amnesty International sur les limitations du droit de manifester en France3 démontre que l’état d’urgence – soit à travers les mesures qu’il prévoit, soit à travers l’encouragement des forces de police à prendre des mesures arbitraires – a largement été utilisé pour réprimer le mouvement social depuis vingt mois, notamment lors de la mobilisation contre la loi Travail. Les préfets ont prononcé 639 interdictions individuelles de manifester, dont 574 dans le contexte de la loi Travail. Ils ont aussi interdit 155 rassemblements publics au nom de l’état d’urgence et des dizaines d’autres en vertu du droit commun. Soit plus d’une interdiction tous les trois jours. Le tout de manière illégale puisque la loi instaurant l’état d’urgence précise que les pouvoirs accrus accordés à l’administration ne doivent être utilisés que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, le rapport démontre aussi l’usage excessif et non nécessaire de la force déployée par la police de manière répétée, avec comme résultat plus de 1 000 manifestants blessés selon l’association de secouristes Street Medics.

On peut se demander jusqu’où ira le projet gouvernemental de normalisation de l’état d’urgence, tellement il est contraire au principe même d’Etat de droit. La Cour Européenne des Droits de l’Homme ne pourrait par ailleurs que le déclarer illégal. La tactique, en revanche, est bien connue : on fait fuiter des projets de loi puis on charge la barque législative pour tâter le terrain et mesurer l’opposition pour mieux ajuster le tir le moment venu. Ce qui démontre l’intention de l’exécutif : pérenniser les pouvoirs accrus de l’administration qui s’avèrent bien utiles contre le mouvement social, si ce n’est contre les terroristes. L’opposition à la politique économique et sociale du gouvernement ne peut être dissociée de l’opposition à sa politique sécuritaire.

Christakis Georgiou

(1) http://www.europe1.fr/politique/la-future-loi-antiterroriste-souleve-une-fronde-3356000.

(2) http://www.cncdh.fr/fr/actualite/avis-sur-le-suivi-de-letat-durgence-et-les-mesures-anti-terroristes-de-la-loi-du-21.

(3) https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/droit-de-manifester-en-france.

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