GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Un autre regard sur la résistance palestinienne

Les grands médias occidentaux ont trop souvent tendance à présenter la résistance palestinienne à l’occupation israélienne comme exclusivement violente : actions armées, attentats suicides, bombardements par roquettes. Alors qu’en réalité, ces méthodes représentent bien plutôt l’exception de ce qui constitue un mouvement à la fois pacifique, tenace, et extraordinairement créatif. C’est ce que se propose de démontrer Mazin B. Qumsiyeh, un professeur des universités de Bethléem et de Birzeit, dans son dernier ouvrage, malheureusement non (encore ?) traduit en français.

L’une des particularités de l’historique qu’il expose est de ne pas passer sous silence l’écart existant entre les masses palestiniennes et ce que les sociologues ont coutume d’appeler les élites. Il cite ainsi l’historien britannique George Antonius qui, dès 1938, écrivait (à propos de la grande révolte de 1935-1939) :

« La révolte d’aujourd’hui, bien plus que jamais auparavant, est une révolte de villageois, et sa cause immédiate est le schéma de partition proposé, et plus particulièrement son aspect envisageant le déplacement éventuel de nombreux paysans arabes en vue de faire place aux citoyens immigrants de l’État juif. Les esprits qui guident la révolte ne sont pas les dirigeants nationalistes, dont la plupart sont en exil, mais les hommes des classes laborieuses et agricoles qui risquent leurs vies dans ce qu’ils croient être le seul moyen qui leur est laissé pour sauver leurs maisons et leurs villages » (p.78-79).

Cette dichotomie semble pratiquement constante, et perdure encore aujourd’hui, prenant même, après les accords d’Oslo, des aspects caricaturaux pour ce qui concerne une partie de la dite Autorité Palestinienne :

« Soudain les vieux noms palestiniens réapparurent, ceux-là même qui avaient été discrédités pour leur échec à créer une patrie palestinienne dans les années 30, 40 et 50. Ce ne sont pas des combattants et ils n’ont pas d’estomac pour encaisser des coups, mais ce sont les hommes de l’argent en relation avec les cheikhs et les émirs, qui oeuvrent comme ambassadeurs dans les capitales européennes et prennent des postes de consultants et de conseillers auprès de Yasser Arafat » (p.232).

À cela s’ajoutent encore la fragmentation politique et les querelles dues à une tradition non libérée des influences négatives des structures et patronages de clans :

« Les deux « autorités », à Gaza et en Cisjordanie, se comportent comme des chefs de bandes en prison ; dures l’une envers l’autre et faibles en s’adressant aux gardiens de la prison » (p.237).

Le plus important de l’ouvrage est néanmoins le tableau impressionnant qu’il donne des formes qu’a trouvées et que continue d’inventer le mouvement populaire réel du peuple palestinien. Il serait impossible d’en faire ne serait qu’une énumération dans le cadre d’un bref article, mais quelques exemples s’avèrent incontournables.

Mazin B. Qumsiyeh rappelle l’ampleur et la signification de la première Intifada, appelée l’Intifada des pierres (Intifadet al-hijara, 1987-1991), qui a pris de court tant l’occupant israélien que… la direction traditionnelle de l’OLP :

« Ces actions comprenaient des grèves, l’érection de monuments commémorant les victimes de l’occupation, le refus de payer des impôts, le développement de l’autosuffisance par l’agriculture et d’autres méthodes, des démissions de masse (de la police, des conseils municipaux et d’autres institutions), le refus de payer des amendes civiles et criminelles alternées, des prières publiques, le refus d’obéir aux ordres militaires de fermer les universités et les écoles (les cours avaient lieu dans des maisons privées, des mosquées et des églises, et même des caves et des grottes), le refus de se conformer aux ordres militaires de fermer les magasins et d’autres institutions privées, le déploiement du drapeau palestinien (ce qui était interdit par l’armée), ainsi que beaucoup de nouvelles formes d’action » (p. 141).

La conséquence politique essentielle de ce qui doit être considéré comme une authentique insurrection populaire doit être mis en avant :

« Elle a développé des institutions locales à partir de comités populaires, créant un État au sein de l’État – le véritable commencement de l’indépendance palestinienne en dépit de l’occupation ; elle a donné naissance à une direction politique qui a transféré le poids de l’activisme de régions situées hors de Palestine à l’intérieur de cette dernière » (p.161).

C’est dans cette lignée que se situe l’appel de la société civile palestinienne au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre Israël du 9 juillet 2005, « jusqu’à ce que ce dernier remplisse son obligation de reconnaître les droits inaliénables du peuple palestinien à l’autodétermination et applique entièrement le droit international »(1), ainsi que la formation du Comité National BDS en Palestine même.

C’est dans cette lignée également que se situent les luttes autogérées des villages manifestant régulièrement contre le mur et les empiétements des colons sur leurs terres.[[La nouvelle [ou l’autre] résistance palestinienne, dans Démocratie socialisme n°174, avril 2010.]]

C’est encore dans cette lignée que s’inscrivent les commémorations de la journée de la terre (30 mars) et de la Nakba (15 mai).

Mazin B. Qumsiyeh rappelle que son étude est loin d’être exhaustive :

« Combien d’occidentaux ont-ils entendu parler du mouvement des femmes dans les années 1920 contre l’occupation britannique et son soutien au sionisme colonial ? Combien ont-ils entendu parler de l’emprisonnement de dirigeants religieux musulmans et chrétiens emprisonnés en 1936 pour avoir dit que la Palestine devait rester une société multiethnique et multi religieuse et non pas être transformée en un État juif ? Combien connaissent-ils la lutte des Palestiniens à l’intérieur de l’État d’Israël où beaucoup de leurs villages survivants demeurent non reconnus ? » (p.234)

S’il prend très nettement parti en faveur d’une stratégie privilégiant la non-violence, il n’en demeure pas moins conscient que la résistance palestinienne forme en réalité un tout qu’il serait vain de nier :

« Alors que quelques idéologues essayaient de décrire les Palestiniens comme se rattachant soit au camp prônant la violence soit à ceux défendant la non-violence, les sondages indiquent que la majorité soutient les deux » (p.242).

« Dès le début, il y eut des luttes entre ceux qui privilégiaient la coopération avec les occupants dans l’espoir d’obtenir quelque chose et ceux qui favorisaient la confrontation et la non coopération. […] Ceci est un phénomène naturel de la résistance à l’oppression coloniale, et la fin d’une oppression coloniale n’est jamais arrivée exclusivement par voie de coopération ou de non coopération. Par conséquent : les Palestiniens peuvent être contraints (et l’ont effectivement été) d’agir simultanément au sein de structures de pouvoir distinctes (réellement existantes ou encore à naître), à la fois pour contrôler le pouvoir de leur propre direction politique et pour soutenir la force de la lutte » (p.243).

Enracinée dans son histoire, la résistance populaire palestinienne constituait peut-être un authentique précurseur du réveil arabe(2). Elle est loin d’avoir dit son dernier mot.

Philippe Lewandowski

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(1): BDS, dans Démocratie socialisme n°169-170, novembre-décembre 2009. (retour)

(2): Le livre cité de l’historien George Antonius s’intitulait : The arab awakening : the story of the national arab movement. Originellement paru en 1938, il a été réédité en 1985 (London : International Book Center). (retour)

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