GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Palestine : mots pour maux

La guerre des mots, une thématique abordée par Bruno Guigue il y a près de vingt ans1, vient d’être brusquement remise à l’ordre du jour avec l’entrée dans l’arène d’une lettre d’Emmanuel Macron lue au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) du 22 février 2022.

« Il y a un abus de termes historiques chargés de honte. Comment peut-on parler d’apartheid ? C’est une contre-vérité ». En coulisse, la députée LREM Aurore Bergé, présidente du groupe d’amitié France-Israël, en rajoute contre « la campagne scandaleuse d’Amnesty International qui parle d’apartheid alors qu’Israël est évidemment une démocratie »2.

Outre le mot « apartheid », d’autres expressions de cette communication ont d’ores et déjà été mises en relief dans une lettre au Président de la République de Bertrand Heilbronn, Président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), datée du 7 mars 2022. Mais elles ne sont pas les seules dont la mention ou le rappel peuvent s’avérer pertinents. En voici quelques échantillons.

Apartheid

Incontournable, le rapport d’Amnesty International de février 20223, rigoureusement fondé et documenté, n’est ni le seul ni le premier à établir ce diagnostic. Un an auparavant déjà l’organisation israélienne B’Tselem en venait aux mêmes conclusions4. Et tout récemment, à L’ONU, le compte-rendu du Rapporteur spécial sur la question des droits de l’Homme dans les Territoires occupés va dans le même sens, allant jusqu’à préconiser de soutenir tout recours aux cours de justice internationale sur ce thème, et de rétablir le Comité spécial contre l’Apartheid afin d’enquêter sur toutes les pratiques d’oppression et de discrimination systématiques paraissant relever de l’apartheid partout dans le monde, y compris dans les Territoires palestiniens occupés5.

Michael Benyair, ancien Procureur général d’Israël, écrit le 10 février : « C’est avec une grande tristesse que je dois aussi conclure que mon pays a sombré dans de telles profondeurs politiques et morales qu’il est maintenant un régime d’apartheid. Il est temps pour la communauté internationale, elle aussi, de reconnaître cette réalité »6. Mais le terme d’apartheid ne suffit peut-être pas à décrire à lui seul le tragique du processus à l’œuvre.

Dé-développement

Il s’inscrivait en effet jadis dans le cadre d’une politique dite de « développement séparé ». Mais aux côtés de la prétendue start-up nation, c’est tellement en vain que l’on cherche les traces du développement palestinien que l’économiste Olivia Elias en a été réduite à créer le terme de dé-développement, car son absence est remplacée par une politique d’obstructions et de restrictions, voire de destructions systématiques : des fruits et légumes destinés à l’exportation peuvent attendre leur autorisation douanière si longtemps qu’ils pourrissent avant de franchir les frontières, des chars manœuvrent à cœur joie sur des champs de blé peu avant la récolte, en veux-tu, en voilà.

Ce qu’on pourrait aussi appeler sabotage ne se restreint cependant pas à l’économie.

Politicide et sociocide

En 2003, Baruch Kimmerling (1939-2007), sociologue israélien, parlait de politicide7.

Dans un registre proche, dix ans plus tard, Marianne Blume, invitée comme témoin au Tribunal Russell sur la Palestine, présentait la politique d’Israël comme un sociocide vis-à-vis des Palestiniens, consistant en une destruction systématique de l’espace, du paysage, des maisons, de la politique, l’économie, la force de résistance mais aussi la culture palestinienne. Elle proposait comme définition de ce terme : “Acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, notamment par le meurtre de membres du groupe, par l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe, et par la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction“

Bien entendu, les vaillants défenseurs de la bonne conscience occidentale se gardaient bien de s’approcher de termes plus tranchants que bistouris.

Et maintenant, comme chats échaudés, réagissent vaille que vaille à l’eau froide de l’apartheid.

Droit de se défendre

N’étant pas en mesure de réfuter les faits rapportés par les rapports d’organisations, d’instances et de personnalités à l’honnêteté reconnue, ils en sont amenés à se focaliser sur les terminologies, et, dans une région où, très officiellement8, tous les hommes ne naissent pas libres et égaux en droit, s’empressent d’invoquer le droit de se défendre… pour l’agresseur !

La guerre des mots bat son plein. Mais n’est que le reflet de tragédies bien réelles.

Cet article de notre ami Philippe Lewandowski a été publié dans le numéro 294 (avril 2022) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1. Bruno Guigue, Proche-Orient : la guerre des mots, Paris, 2003.

2. Jean Stern, « Israël-Palestine. Emmanuel Macron en marche vers Jérusalem », https://orientxxi.info.

3. Amnesty International, « L’apartheid israélien envers le peuple palestinien : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité », https://www.amnesty.fr.

4. B’Tselem, « A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea : this is apartheid », https://www.btselem.org, 12 janvier 2021.

5. https://www.un.org/unispal/document/report-of-the-special-rapporteur-on-the-situation-of-human-rights-in-the-palestinian-territories-occupied-since-1967-report-a-hrc-49-87-advance-unedited-version.

6. Michael Benyair, « « Avec une grande tristesse, je conclus que que mon pays est maintenant un régime d’apartheid », https://agencemediapalestine.fr, 15 février 2022.

7. Baruch Kimmerling, Politicide : les guerres d’Ariel Sharon contre les Palestiniens, Paris, 2003.

8. « Israël n’est pas l’État de tous ses citoyens, [mais] l’État-nation du peuple juif et uniquement du peuple juif» (Benyamin Netanyahou).

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