GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Omc : " Une victoire du business contre l'intérêt public "

Gérard Durand est paysan en Loire-Atlantique. Il est l'un des deux porte-paroles nationaux de la Confédération Paysanne. Avant de partir au Forum Social de Caracas, il a bien volontiers accepté de répondre à nos questions.

D&S : A Hong-Kong, tu as été arrêté et emprisonne 36 heures. Peux-tu nous dire comment cela s'est passé ?

Gérard Durand : Nous étions 6 personnes de la Confédération paysanne et nous avons rejoint 2000 paysans de la Via Campesina (principalement asiatiques).Les rassemblements et les manifestations étaient autorisés mais dans un site et sur un itinéraire bien précis. Le vendredi, la Via Campesina a de s'approcher le plus possible du centre de la convention pour faire entendre la voix des paysans, la voix du peuple. S'en sont suivies quelques bousculades avec les forces de l'ordre. Au final, nous avons réussi à fermer toutes les voix d'accès au centre de négociations créant ainsi une belle pagaille chez les autorités hongkongaises et parmi les délégations officielles. Nous avons alors fait un " sit-in " toute la nuit afin de peser les négociations.

C'est au petit matin que les forces de police nous ont cueillis. Les premières personnes incarcérées l'ont été à 6 heures du matin et les dernières à 12 heures, soit 1300 paysans dont 4 européens. Pour ma part, c'était ma première garde à vue et je suppose que c'est toujours un peu la même chose c'est-à-dire que l'on fait tout pour que le séjour soit le plus désagréable (froid, lumière, bruit etc...) dans l'objectif de nous faire craquer. Pendant ce temps, les copains de la Via Campesina se sont démenés pour sensibiliser les médias et les organisations sur cette formidable rafle, leur plus grosse difficulté a été de nous localiser, nous étions en fait repartis dans de multiple lieux de détention. J'ai été libéré après 36 heures sans avoir vu ni avocat, ni Consul et seulement 3 heures avant mon vol pour Paris. L'ensemble des manifestants l'a été dans les heures qui ont suivi sauf 14 personnes (coréennes et thaïlandaises) libérées plus tard sous caution, pour lesquels nous avons lancé une campagne internationale. La violence ne venait pas des manifestants mais bien des décisions qui allaient se prendre à l'OMC.

D&S : Quelle appréciation la Confédération paysanne porte-t-elle sur l'accord intervenu à Hong-Kong ?

Gérard Durand : Le programme des négociations de Doha a démarré en 2001. Appelé hypocritement " cycle du développement " il a pour but officiel de favoriser les échanges, synonymes pour la pensée libérale de croissance et donc de création de richesse pour tous. Pourtant après 10 ans de cette potion libérale le constat est tout autre, les pays les plus pauvres s'enfoncent, la richesse créée se construit sur l'exploitation des peuples et de l'environnement.

Comme à chaque fois, l'agriculture a été le point de fixation et une monnaie d'échange. L'Union européenne voulant un accord à tout prix sur les services (72 % du Pib) s'est montrée extrêmement zélée dans ses propositions. Les conséquences pour son autosuffisance alimentaire, pour son emploi agricole ou pour son occupation des territoires seront catastrophiques. En viande bovine, ce sont 35 000 exploitations spécialisées qui sont menacées. Les États-unis, eux, n'avaient rien à négocier (pas de mandat du Congrès), leur place de 1ère puissance mondiale les prédispose plus au bilatéralisme qu'à un multilatéralisme plus contraignant. Les pays émergents (Ped), voulant bénéficier de leur avantage comparatif (main d'œuvre bon marché, condition agroclimatique) n'ont cessé de pousser à plus de libéralisation pour conquérir de nouvelles parts de marché au Nord, bien sûr, mais aussi et surtout au Sud.

En fait la négociation a opposé principalement l'Union européenne aux Ped. Le marché a été : " je te donne la suppression des subventions à l'exportation et tu me donnes sur les services l'annexe C (obligation de faire des offres de libéralisation de services). " Les pays les moins avancés (Pma) ont, toute la semaine, musclé leur opposition. Malheureusement, au final, ils se sont faits rouler dans la farine : ils sont bien les grands perdants.

Sur le coton, l'arrêt des subventions à l'exportation des États-Unis est une arnaque, cela ne représente que 10 % de l'ensemble des aides que touchent les 25000 producteurs nord-américains. L'octroi d'une aide de 1 milliard de dollars (éphémère) n'a pour but que d'aider les producteurs à devenir " compétitifs " sur le marché mondial. Vaste programme !

Le libre accès au marché (tout sauf les armes) permet aux Pma d'exporter sans droit de douane ni quotas 97 % de leur production vers les pays riches. Malheureusement, avec les 3 % restants, les pays riches peuvent appliquer des quotas et taxes sur les principales exportations des Pma (riz, sucre, textile...). De plus, ces exportations se feront au prix mondial permettant ainsi aux industries agroalimentaires du Nord de s'approvisionner en " minerai " bon marché. Sous couvert de développement, l'exploitation des hommes et de l'environnement continue.

Sur les services avec l'adoption de l'annexe C tous les pays seront obligés de rentrer dans les négociations. C'est-à-dire, obligés de faire des offres de libéralisations de leurs services publics. Tous les services de première nécessité sont en fait menacés : eau, énergie, éducation,...

Pour la première fois, dans le système commercial multilatéral, tous les pays membres de l'Omc vont être tenus d'appliquer une formule unique de réduction des droits de douane. Ainsi, les produits manufacturés des pays riches vont pouvoir concurrencer ceux des pays en développement sans que ces derniers puissent protéger leurs entreprises, leurs propres activités manufacturières. Comme si les uns et les autres se trouvaient sur pied d'égalité dans cette compétition. En définitive, ce ne sont pas des pays qui gagnent contre d'autres, mais une victoire du business contre l'intérêt public.

Propos recueillis par Eric Thouzeau


Et les services ?

Ce sont les modalités préconisées par l'Union Européenne qui ont été adoptées. Il sera donc désormais possible de contraindre un Etat à libéraliser ses services.

En 2001, déjà, l'Union Européenne (c'était alors Pascal Lamy le négociateur de l'Union, il est maintenant Directeur général de l'Omc) avait préconisé le système des offres. Chaque pays (pour les pays de l'Union Européenne, c'est l'Union qui décide pour les Etats-membres) pouvait offrir d'ouvrir ses services à la concurrence d'autres pays. Mais le résultat ne fut pas celui escompté : seuls les pays industrialisés faisaient des offres importantes.

L'accord de Hong-Kong (reprenant la décision unilatérale de la Commission européenne à Genève, en 2004), prévoit donc maintenant, dans le cadre de l'Accord Général sur le Commerce des Services, (Agcs) l'obligation d'une libéralisation minimale dans une liste de " secteurs ".

Aucun pays n'aura plus maintenant le droit de définir le périmètre de ses services publics et de les soustraire à la concurrence qu'il s'agisse des transports, de l'enseignement, de la culture, de la santé ou de l'enseignement.

En Europe même, la Commission et son négociateur ultra libéral, le blairiste Peter Mandelson, ont agi en trois temps. Dans un premier temps ils ont défini, dans la plus grande opacité, les modalités qu'ils préconisaient pour la libéralisation des services dans le cadre de l'Omc. Dans un deuxième temps, ils ont fait adopter ces préconisations par l'Omc. Dans un troisième temps, ils vont pouvoir exiger des 25 pays de l'Union Européenne qu'ils libéralisent leurs services en présentant cette obligation comme une obligation de l'Omc !

JJC


Une libéralisation du commerce qui se heurte à une forte résistance

L'Omc a un seul et unique objectif : généraliser le libre-échange à l'ensemble des pays de la planète et à la totalité de leurs produits : agriculture, industrie, services... Cette marche à la libéralisation sans limites doit trouver sa traduction dans des accords signés lors de Conférences interministérielles de l'Omc qui réunissent les ministres des 150 pays appartenant à l'Omc.

Mais cette marche n'est pas irrésistible : les conférences se suivent mais ne se ressemblent pas.

En 1999, la Conférence de Seattle fut un échec pour les dogmatiques du libre-échange à la suite de puissantes manifestations qui avaient vu se réaliser la jonction du mouvement " altermondialiste " et des syndicats américains.

En 2001, la Conférence de l'Omc eut lieu à Doha, la capitale du Qatar, un lieu où toute manifestation de masse était pratiquement impossible.

Si l'on croit Le Figaro (pour une fois presque lyrique, dans son édition du 28 décembre 2005) fût lancé à Doha un cycle de négociation " dans un élan de générosité pour le Sud après le choc des attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001 à New York ".

Raoul-Marc Jennar a une vision un peu différente de cet " élan de générosité " : " Le conférence se tenait quelques semaines après le 11 septembre, au moment de l'invasion de l'Afghanistan. M. Robert B. Zoellick, ministre US du commerce, et son collègue européen, le socialiste français Pascal Lamy, Commissaire européen au commerce n'ont pas cessé de répéter qu'un accord à Doha " contribuerait à la lutte contre le terrorisme ". Ce qui signifiait que bloquer un accord, c'était encourager le terrorisme ! Aucune délégation du Sud n'a voulu prendre le risque d'une telle accusation... " La conférence de Doha fut donc un triomphe pour les apôtres du libre-échange avec le lancement du " cycle de Doha " qui devait permettre un saut irréversible dans la libéralisation du commerce mondial à l'horizon 2006.

En 2003, au Mexique, à Cancun, toutes les manœuvres des Usa et de l'Union Européenne n'arrivèrent pas à diviser entre eux les pays du Sud. Les peuples avaient gagné le round, le business l'avait perdu.

En décembre 2005, à Hong Kong, les Usa et l'Union européenne ont réussi à diviser les pays du Sud et permis le triomphe des multinationales occidentales.

Une nouvelle conférence interministérielle devrait se tenir, d'ici quelques mois, au siège de l'Omc à Genève. Au fur et à mesure que les mesures de l'Omc se préciseront, les tensions ne pourront que s'accroître entre les pays signataires de l'accord de Hong Kong. La poursuite du " cycle de Doha " pourrait donc être remise en question. Comme à Seattle en 1999, comme à Cancun en 2003, une mobilisation de masse de tous ceux qui refusent la mondialisation libérale y contribuerait efficacement. Tous les syndicats, les associations, les partis politiques (et notamment le Parti socialiste) partisans d'une autre mondialisation, devraient appeler à une telle manifestation.

JJC


Voir aussi :

  • Pourquoi la direction du Parti Socialiste ne se bat-elle pas contre l'accord de l'OMC signé à Hong Kong ?
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