GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Mendes, un tabou ?

Le centenaire de la naissance, le 11 janvier 1907, de Pierre Mendès-France, n'a pas donné lieu à une de ces nombreuses commémorations dont les media ne semblent pas pouvoir se passer. Pas un mot à la télévision, pas une ligne dans la presse... Qu'est-ce qui a dont bien pu devenir honteux dans l'héritage de Mendes-France ?

La personnalité de Pierre Mendès-France est sans nul doute étonnante. C'est un jeune homme surdoué : bachelier à 15 ans, avocat à 21, député à 25, membre du gouvernement Blum à 31, et dont les premiers engagements sont déjà significatifs de ce que sera son orientation politique. Militant anti-fasciste pendant ses études, il sera le seul député de gauche à voter contre la participation française aux Jeux Olympiques de Berlin de 1936. Plus tard, l'extrême-droite, tenant sur lui des propos plus ou moins explicitement anti-sémites et le surnommant «Mendès l'anti-France », en fera une de ses bêtes noires. Député radical pendant le Front Populaire, il est à la fois un des « Jeunes Turcs » du vieux parti d'inspiration libéral, agissant pour l'ancrer dans la gauche, et relativement sceptique des options socialistes, préférant défendre des thèses keynésiennes.

En 1940, alors que le Gouvernement Pétain capitule, il fait partie des élus qui s'embarquent dans le navire Massilia, en partance pour l'Afrique du Nord où ils entendent poursuivre la lutte. Il est, comme les autres, arrêté pour « désertion ». Emprisonné, il parviendra cependant à s'évader en 1941 et à rejoindre les Forces Françaises Libres.

Commissaire aux Finances du Comité Français de Libération Nationale, c'est-à-dire ministre du « gouvernement » de la Résistance présidé par De Gaulle, il devient Ministre de l'Economie du Gouvernement Provisoire mis en place à la Libération.

Son projet d'échange des billets de banques et de blocage des comptes bancaires, qu'il élabore pour contrer l'enrichissement de certains profiteurs du marché noir pendant l'Occupation, se heurte à l'opposition d'une majorité de la classe politique et, en avril 1945, il doit démissionner.

Réélu Député radical-socialiste de l'Eure en 1946, il incarne la gauche du vieux parti de gouvernement dont les caciques retrouvent vite, une fois l'expérience du Tripartisme (gouvernement d'alliance entre communistes, socalistes et démocrates-chrétiens) dissoute dans la Guerre Froide, leurs habitudes de l'avant-guerre : être de tous les gouvernements, sans trop s'attacher à leur orientation politique.

Il se démarque aussi par des prises de positions avancées en matière de décolonisation, critiquant dès 1950 la solution militaire en Indochine.

C'est d'ailleurs le désarroi créé par la large défaite militaire de Dien Bien Phu qui va conduire à sa désignation au poste de Président du Conseil, en juin 1954.

Son rapide passage au pouvoir marque une rupture très importante avec les mœurs politiques de la IVème République. Il compose son gouvernement en prenant en compte les qualités individuelles des ministres, privilégiant de jeunes élus, comme Chaban-Delmas, alors considéré comme l'aile gauche du gaullisme, ou Mitterrand, dont il est finalement assez proche dans la volonté d'une voie politique de gauche indépendante du parti socialiste SFIO, mais aussi la « jeune garde » socialiste de l'époque : Gaston Deferre ou Alain Savary, plutôt que les habitués des maroquins.

Mendès gouverne et, comme il le dit, « gouverner, c'est choisir ». Il rompt avec les atermoiements de l'époque, prenant des initiatives fortes dans le domaine intérieur, depuis une campagne en faveur de l'hygiène et de l'amélioration de la nutrition des enfants, jusqu'à la lutte contre l'alcoolisme.

Mais c'est surtout dans le domaine international qu'il se distingue : il met rapidement fin à la Guerre d'Indochine, mais chute du fait de sa volonté de trancher rapidement avec le projet de Communauté Européenne de Défense, qui suppose le réarmement de l'Allemagne. Les plus européens des députés, notamment les démocrates-chrétiens du MRP, considéreront le vote défavorable de l'Assemblée comme précipité et retireront leur confiance à Mendès.

Après son départ de la Présidence du Conseil, la IVème aura bien du mal à lui trouver un successeur. En décembre 1955, l'Assemblée est dissoute et un Front Républicain, regroupant les socialistes et le centre-gauche (UDSR de François Mitterrrand et radicaux mendésistes) se constitue, fortement soutenu par le journal L'Express, dirigé par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroux, deux proches de Mendès.

De fait, le Front Républicain l'emporte ; beaucoup de ses électeurs ont « voté Mendès ». Mais la logique institutionnelle de la IVème prend le dessus : le Président de la République, René Coty, appelle le chef de file du principal parti de la coalition à prendre la direction du Gouvernement, et ce n'est pas Mendès, mais le socialiste Guy Mollet.

Mendès est Ministre sans portefeuille dans le Cabinet qui est alors constitué, mais la dérive très « Algérie Française » du Président du Conseil, qui va déconsidérer le parti socialiste pour longtemps auprès de toute une partie de la gauche, le conduit à démissionner en mai 1956.

L'agonie de la IVème et l'arrivée au pouvoir de De Gaulle le conduit à se rapprocher de François Mitterrand au sein de l'Union des Forces Démocratiques, qui rassemble la gauche non-communiste hostile à ce que Mitterrand appelle alors le « coup d'Etat permanent ».

Battu, comme bien des opposants au gaullisme, lors des législatives de 1958, il rejoint ensuite le Parti Socialiste Unifié (PSU), où il retrouve des socialistes hostiles à la politique algérienne de la SFIO et à l'alignement des socialistes sur De Gaulle.

Dans les années 60, cependant, son itinéraire l'écarte de Mitterrand. Pourtant issu comme lui du libéralisme « avancé », Mendès refuse l'union de la gauche avec les communistes et ne comprend pas qu'il y a une véritable aspiration populaire à des changements non seulement dans les mœurs politiques, mais aussi dans le domaine économique, avec une réelle demande de démocratie sociale.

Homme de la IIIème République, où l'accès aux fonctions exécutives étaient plus le fait des individualités et des amitiés parlementaires que le résultat de mouvements de fond dans la société, il ne perçoit pas le besoin de doter la gauche française d'un grand parti incarnant une vraie rupture sociale.

Perdu dans un PSU dont il partage de moins en moins les orientations, il retrouve cependant son siège de député, en Isère, en 1967.

En 1968, il passe, comme une bonne partie de la gauche française, à côté de la formidable mobilisation de la jeunesse et des salariés. Son apparition muette au meeting de Charléty suscite l'hostilité de la droite et l'incompréhension de la gauche.

Battu lors des législatives de juin, il rompt avec le PSU et se rapproche des socialistes, participant activement à la campagne de Gaston Deferre pour la présidentielle de 1969, qui se solde par un résultat calamiteux de 5%, qui va précipiter la fin de la SFIO et enterrer la stratégie molettiste d'union de la gauche sans les communistes.

Mendès ne participe cependant pas au Congrès d'Epinay et, malade, abandonne la vie politique à partir de 1972. Il soutiendra cependant la candidature de Mitterrand en 1981, et en sera remercié par le Président de la République. Il meurt en octobre 1982.

Pendant longtemps encore, Mendès va être une référence pour toute une « deuxième gauche » longtemps incarnée par Michel Rocard au sein du Parti Socialiste. Depuis plusieurs années, cependant, on ne le cite plus très souvent.

S'il est vrai que Mendès a pu, à un certain moment, incarner un renouveau d'une gauche coincée entre le stalinisme et les compromissions de la « Troisième force » (stratégie de coalition entre les socialistes et la droite), il n'a pas pu, ou pas su, accompagner les changements de la société française qui ont conduit à la radicalisation de la gauche dans les années 70 et à la conquête du pouvoir par le Parti Socialiste dans les années 80.

Pour autant, ce silence assourdissant cache peut-être un tabou. Nul doute que ce que l'on reproche le plus à Mendès, dans certaines sphères dirigeantes, c'est d'être finalement leur principale source d'inspiration politique. Comme lui, la droite du parti socialiste défend des orientations plus « libérales avancées » que réellement socialistes, comme lui, elle ne fait pas reposer ses analyses et ses propositions sur des bases marxistes, mais, au mieux, keynésiennes.

Mais il est vrai que se réclamer d'une figure tutélaire qui, si elle a bien incarné une rupture avec une démocratie confisquée par une élite politique, a aussi été incapable d'accéder au pouvoir durablement et de changer la vie, n'est sans doute pas très enthousiasmant.

Hervé LE FIBLEC

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