GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Ce n'était pas un fait divers, mais un fait de société

Du 5 mars au 9 mars, les médias bien-pensants, tout au long du procès d'Assises du meurtrier des deux inspecteurs du travail, Claude Duviau, se sont employés, à présenter l'affaire comme un « fait divers » où une sorte de pauvre paysan en difficulté, harcelé par des contrôles administratifs qu'il ne comprenaient pas, se serait laissé aller à un « coup de folie ». On a eu droit à cela dans Libération et encore plus dans Le Monde, France inter, ou Sud-Ouest. On a même eu droit à des magistrats qui feignaient de ne pas bien comprendre le droit du travail, l'importance du « prêt illicite de main d'œuvre », le sens et la portée des condamnations en la matière.

En fait, ils voulaient cloisonner le procès et la présence de 400 inspecteurs et contrôleurs du travail qui y voyaient le premier double meurtre, par un exploitant agricole, en 112 ans d'histoire de l'inspection du travail...

Les deux premières journées ont été consacrées à l'analyse de la personnalité de l'assassin. Il est apparu un homme brutal, violent, souvent menaçant, et qui n'avait rien d'un « paysan » : il a été 17 ans militaire de carrière, bon tireur, (« il ne tire qu'une seule fois dans un volatile », affirmait un témoin de la défense) et 11 ans patron d'une boîte d'assurance, avant d'investir à 53 ans, dans 32 hectares de terre dont il espérait un « profit » à deux chiffres...

Ce n'est pas la terre qui l'intéressait, c'était l'argent.

Contrairement à certaines rumeurs de presse, il n'était pas en faillite, au contraire, il avait accumulé de l'argent et était obsédé par la « transmission » de celui-ci. Il n'était pas pauvre, mais relativement riche, avec ses terres et ses résidences, en comparaison avec l'immense majorité des salariés dont le salaire médian est de 1450 euros et les 7 millions de travailleurs pauvres.

Il n'était pas paysan, non, il ne s'était pas « endetté » pour investir dans ce métier, il avait vendu fort cher sa boîte d'assurance et il avait pensé que cela lui permettrait de gagner davantage d'argent avec 32 hectares de riches terre de vignes de pommes et de pruneaux. La terre il n'y connaissait rien, c'est son associé, avec lequel il s'est disputé, qui devait s'en occuper. Duviau qui avait acquis la terre à bas prix voulait la revendre avec le maximum de marges et organisait lui-même sa faillite en ce but. Il comptait sou à sou, disputant même violemment une douzaine d'heures supplémentaires à l'une de ses employées.

Non, ce n'est pas le côté dépressif qui l'a emporté chez lui, mais le côté tueur. Il n'est pas fait de mal à lui-même, mais il a fait mal aux autres, à deux agents qui agissaient de façon dévouée dans leur mission de service public. Il ne l'a pas fait au hasard, car sa femme est fonctionnaire perceptrice des impôts. Il ne s'en est pas pris aux syndics ou aux autres fonctionnaires, ni au Crédit agricole, ni à la cave coopérative qu'il accusait de l'avoir floué.

Le représentant de l'état à dit « Il y a meurtre avec circonstances aggravantes, ce qui justifie la condamnation à perpétuité : c'est bien parce qu'ils étaient inspecteurs du travail qu'ils ont été tués. »

« Il faut rappeler le rôle des IT: ces contrôles ne sont pas l'inquisition, il s'agit de protéger ceux qui ne sont pas en situation de force , de maintenir le droit des agriculteurs qui respectent les règles. Votre décision doit marquer la protection et l'intégrité physique auxquels ils ont droit: c'est à l'état et à la société que Duviau s'est attaqué. »

Il s'en est pris aux contrôleurs pour des raisons bien précises, c'est qu'ils allaient constater pour la troisième fois, son trafic de main d'œuvre.

Non pas qu'il ait été harcelé par ces contrôles : la première fois, il a été « averti » et « condamné » seulement à 600 eur avec sursis. La seconde fois, il a réussi à faire croire à la contrôleuse Nadine Moreau, qu'il ne connaissait pas loi, ne la comprenait pas, alors elle ne l'a pas verbalisé elle lui a expliqué, lui a donné une notice bien claire sur le sujet.

C'est la troisième fois, alors qu'il avait recommencé, qu'il avait encore des salariés illégaux, de la même société de traite de main d'œuvre, Sheriff Belkeir, à laquelle il était lié, qu' à il a tué les deux inspecteurs avant qu'ils ne terminent le contrôle... et d'ailleurs pour ce fait-là, il a été acquitté car le tribunal a déclaré ne pas avoir les preuves (forcément, il n'y avait pas de procès-verbal des inspecteurs morts ! )

Shérif Belkeir est un pourvoyeur de main d'oeuvre de longue date, déjà signalé en 1992 puis maintes autres fois en 1998, 2001, dans des départements différents sous des étiquette différentes, qui maniait des dizaines de milliers d'euros, mais qui a fait semblant devant le tribunal de ne pas parler français, de ne pas connaître la loi, de ne pas savoir ce qu'on lui reprochait... mais a deux moments il s'est coupé,

  • lorsqu'il a dit "qu'il y en avait 200 comme lui dans le département" (vu qu'il reconnaissait avoir deux « chantiers » de 10 salariés cela veut dire que 4000 saisonniers au moins sont concernés par ce type de trafic !)
  • lorsqu'il a dit que ses salariés apportaient des "paniers pour la cueillette des prunes" essayant ainsi d'avancer un prétendu argument de technicité pour justifier ses "prestations" ! Lui aussi, comme Duviau, connaissaient la loi contre les trafics de main d'œuvre et essayait d'embrouiller les choses en prétendant que c'était de la « sous-traitance ».
  • Il avait annoncé une semaine avant que « son nom serait dans les journaux et pas en bien ». Duviau, très bon tireur, a reconnu avoir pris la décision de prendre toujours avec lui son fusil en changeant de balles : lui qui était chasseur de palombes a abandonné le plomb pour les balles Bronnecques à tirer les sangliers. Ce sont celles qui ont été tués Daniel Buffiere et Sylvie Trémouille, ont explosé dans leurs corps, et les ont laissé agoniser plus de quarante minutes dans le champ avant l'arrivée des premiers secours... Ce n'était pas un « coup de folie », car il n'a jamais crié, il a réfléchi longtemps, il a d'abord parlé dix minutes sans élever la voix avec les deux contrôleurs, et il a fait semblant d'aller chercher le registre ou ne figuraient pas les salariés travaillant ce jour là pour lui, ( forcément ils travaillaient pour Sheriff Belkeir). Duviau a d'abord essayé d'appeler son complice. Puis il a réfléchi dix minutes avant de ressortir et d'abattre froidement de face, à bout portant, Daniel puis Sylvie qui essayait de s'enfuir. Ensuite, il a fait semblant de se tirer dessus, s'est raté et n'a pas recommencé, maintenant il est devenu « croyant », et se repent, en pleurnichant.

    Le procès de Périgueux, hélas, n'a pas cherché à savoir si Duviau avait d'autres influences, politiques, et culturelles, s'il était raciste, fascisant, s'il connaissait la Coordination rurale, ni d'où lui est venue cette haine centrée contre les inspecteurs du travail.

    Gilles Trémouille : « - J'étais un jeune con, Sylvie m'a aidé à devenir un homme, elle m'a aidé à me construire, calmement. Personne n'a le droit d'attenter à la vie. Je ne supporterai jamais d'etre séparé d'elle. Avec mon fils, après sa mort, on a décidé de se battre dans la dignité. : je suis contre la peine de mort mais que jamais cet assassin ne sorte de prison. ll faut préférer l'amour aux biens matériels, j'irai même sous les ponts, je ferai n'importe quoi si ça pouvait la faire revenir, justice doit etre faite. C'est un fait de société et pas un fait divers »

    Lorsque Le Pen tient des propos racistes, il y a toujours des exaltés à l'autre bout du pays qui tirent sur un maghrébin. C'est la première fois qu'à l'heure où Mme Parisot peut affirmer, sans être contredite, dans tous les grands médias, que « la liberté de penser s'arrête là où commence le Code du travail, c'est la première fois que, dans cet « air du temps » de déréglementation et ou André Daguin déclare son admiration pour les assassins (cf. D&S n°141), un excité prend un fusil et tue deux inspecteurs du travail.

    Lorsque cela s'était produit au Brésil en janvier 2004, le soir même, le Présdent Lula avait pris la parole à la télévision, leur avait rendu hommage et avait appelé a poursuvire leurs missions contre le travail forcé.. on attend encore un mot du Président Chirac ou du ministre de l'intérieur Sarkozy

    Depuis deux ans, dés 20 h le soir du 2 septembre 2004, j'ai mené bataille pour que justice soit faite, pour que l'inspection du travail soit dédendue, valorisée et renforçée face à ce crime, pour que les grands médias le comprennent (ils parlèrent davantage, au début, de la mort de l'ours Cannelle que de celle de mes collègues), pour que les autorités Chirac, Sarkozy, Gaymard, De Saint-Sernin, Raffarin, Villepin, Larcher, Borloo, qui ont voulu étouffer l'affaire n'y parviennent pas.

    Ce qui est arrivé, avec la plaidoirie des parties civiles, du procureur, et la condamnation de Duviau donne enfin raison à ceux qui avaient compris dés la première minute l'importance historique - pour l'état de droit dans les entreprises, pour tous les salariés - de ce double meurtre.Il s'agissait bien “d'un fait de société, pas un fait divers”, comme cela est affiché depuis deux ans, dans mon bureau de l'inspection du travail, là où je reçois les ayant-droits.

    Deux ans de bataille acharnée, un livre de 285 p, un film de 52' (Jacques Cotta), une pièce de théâtre (Gérard Streiff) montée et jouée deux fois par Ariane Mnouchkine, des magnifiques états généraux (21 et 22 mars 06 à la Bourse du travail de Paris) avec 850 de nos collègues unanimes, des centaines de meetings partout, une mobilisation collective unitaire à Périgueux de 400 inspecteurs pendant une semaine, j'ai milité pour tout cela, parfois tout seul, au départ, et à contre courant, parfois face à du mépris et de l'indifférence, mais avec la réaction unanime permanente solidaire consciente de tous nos collègues et finalement l'unité syndicale Cgt, Cfdt, Fsu, Sud, Unsa, Fo.

    Gérard Filoche


    Notes prises au procès

    Communiqué de l'intersyndicale du ministère de l'Agriculture

    Communiqué de la Confédération Paysanne

    Communiqué de l'intersyndicale du ministère du Travail

    Communiqué du PS

    Compte-rendu CFDT

    Déclaration de la FSU du ministère de l'Agriculture

    Tract de l'intersyndicale du ministère du Travail

    Tract intersyndical de Dordogne

    Tract SNU-FSU


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  • Communiqué de l'intersyndicale du ministère de l'Agriculture

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