GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le tour de l'Uruguay

La Constitution de l'Uruguay prévoît qu'une loi votée par le Parlement puisse être annulée par référendum, dans le cas où un nombre suffisant de signatures est réuni pour convoquer le référendum en question.

Cela ne fût pratiqué que 3 fois dans l'histoire de ce petit pays de 3 millions d'habitants. La première fois, le référendum a été convoqué mais la loi confirmée, la deuxième fois le Gouvernement a de lui-même retiré la loi.

Cette fois l'enjeu était de taille puisque le Gouvernement avait promulgué une loi qui autorisait la privatisation d'Ancap, l'entreprise nationale de pétrole. Des entreprises américaines étaient déjà sur les rangs pour en acheter les parts.

Mais le 7 décembre 2003 la privatisation a été repoussée. En effet, le syndicat d'Ancap a mené une campagne de signatures pour convoquer un référendum, campagne qui a été reprise par le Pit-Cnt (coordination unique des syndicats uruguayens), et par toute la gauche, à quelques petites exceptions à l'aile droite de la social-démocratie. Mais le Parti Socialiste, force prépondérante au sein du Frente Amplio (Fa), ainsi que les 17 autres partis qui composent le Fa, est bel et bien entré en campagne pour empêcher le Gouvernement de droite de Jorge Battlle de mettre en œuvre cette privatisation. Le Fa a été suivi par une autre coalition de gauche, Encuentro Progresista, conformément à l'accord programmatique qui les unit aujourd'hui, et enfin, les dirigeants " sociaux-démocrates " de Nuevo Espacio sont également entrés dans la bataille.

Tous ensemble, ils ont réuni 700 000 signatures, ce qui a obligé le Gouvernement à convoquer le référendum du 7 décembre. Et ce dimanche-là, le peuple, avec une majorité de 63 %, a annulé la loi. En résistant à une campagne de toutes les forces économiques, les patrons, les médias, à tous les tenants de la pensée unique libérale, le peuple a jugé qu'une entreprise aussi essentielle que l'entreprise qui raffine et distribue le pétrole devait être leur propriété, et gérée par eux, c'est-à-dire par l'Etat.

Bien sûr, cela remet en cause les lois de la libre concurrence. Bien sûr, cela remet en cause les droits des investisseurs étrangers. Mais aucune de ces règles, auxquelles nous européens nous soumettons, n'a trouvé grâce aux yeux du peuple uruguayen.

Cette nette victoire montre le niveau de conscience de ce peuple, et le lien important qui l'unit à sa représentation politique : la gauche. En particulier, le président du Frente Amplio, Tabaré Vasquez, a été le plus fervent militant contre la privatisation d'Ancap, à l'heure où toutes les théories de bonne gestion de l'Etat et de l'économie militent pour les privatisations, et encore plus dans le secteur de l'industrie.

En conséquence, les 63 % du NON à Ancap ont été compris comme un OUI à Tabaré Vasquez, qui brigue le mandat de Président de la République en novembre 2004. Dans la foulée de Lula et le voisinage de l'argentin Nestor Kirchner, le péroniste qui dit " non " au Fmi, la coalition de gauche uruguayenne, qui avait vu le jour en 1971, pourrait enfin arriver au pouvoir en mars 2005, (puisqu'il y aucune période de latence entre les élections et le changement de Gouvernement), après des années d'alternance entre les partis Blanco et Colorado, qui n'ont été entrecoupées que par une sanglante dictature en septembre 1973.

Le Frente Amplio, qui réunit des Congrès et élabore un programme commun, n'a pas pour autant signifié la dissolution des partis qui le composent. Il est plutôt un creuset permanent qui a permis l'émergence d'un socle politique qui a lui même abouti à un accord électoral.

La perspective prochaine de la prise du pouvoir a attiré à lui de nouvelles forces plus à droite de la social-démocratie, mais toujours avec la même démarche, celle de l'élaboration d'un programme commun. Ce programme, c'est un programme de Gouvernement, qui donne la priorité au renforcement du Mercosur (Marché Commun du Cône Sud) comme espace géographique et économique permettant d'organiser la croissance et la redistribution. D'ailleurs, lors du Sommet des Chefs d'Etat du Mercosur et associés qui a eu lieu le 15 décembre 2003 en Uruguay, justement, l'actuel Président uruguayen Jorge Battlle est apparu comme complètement dépassé, car il représente les tenants d'une politique libérale qui recherchent un dialogue avec les Etats-Unis. Au contraire, Tabaré Vasquez, comme chef de l'opposition, a eu des entretiens bilatéraux avec des Chefs d'Etat (Lagos, du Chili, Lula, Kirchner...) que Battlle lui-même n'a pas eu, ce qui montre la crédibilité du projet socialiste dans le Cône Sud de l'Amérique.

Mais surtout, l'unité de la gauche s'est faite sur la mobilisation pour le caractère national d'Ancap. Cela veut dire que là-bas, la gauche se refonde sur des bases radicalement différentes que celles que proposait la social-démocratie européenne.

Ici, confronté à la même situation, le Ps n'aurait pas tenté de réunir les signatures pour empêcher la privatisation. Et encore moins les autres Ps européens. Comment ne pas voir un lien entre cela et les défaites électorales que subissent les partis de la social-démocratie européenne ?

Heureusement, le continent latino-américain donne des signes d'un renouveau de la pensée socialiste, fondée sur une théorie du rôle de l'Etat comme garant de la souveraineté populaire. Les Européens seraient bien inspirés d'en prendre exemple.

Raquel GARRIDO

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