GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le retour de madame Thatcher

Aujourd’hui âgée de 84 ans et sévèrement

affectée par la maladie

d’Alzheimer, Madame Thatcher

n’apparaîtra probablement plus jamais en

public. Le trentième anniversaire de son

arrivée au pouvoir est quasiment passé

inaperçu. Et pourtant, la Dame de fer est de

retour : ses idées se portent admirablement

bien.

En léger reflux à partir de la deuxième

moitié des années 90, les voici de nouveau

irriguant la droite et une partie de la

social-démocratie européenne : privatisations,

réduction de la dette publique,

coupes budgétaires dans les services

publics, célébration de l’argent, de la compétitivité,

discours moralisant sur les questions

de société. La dernière crise cyclique

du capitalisme semble avoir apporté dans

ses bagages cet inattendu passager clandestin.

Côté pile, la droite britannique s’apprête à

retourner au pouvoir armée du catéchisme

néolibéral thatchérien. A l’occasion du dernier

congrès du parti conservateur, David

Cameron, le leader de l’opposition, et

George Osborne, le ministre des finances

dans le Shadow cabinet, ont dévoilé leur

plan d’action gouvernemental. Osborne a

déclaré que le coût de la crise serait « partagé

par tous ». En réalité, ce seront les

catégories travailleuses et populaires qui

seront touchées par les mesures qu’il

entend mettre en œuvre : réductions de

salaire pour 80% des salariés de la fonction

publique ; les professions manuelles et

faiblement rémunérées devront travailler

une année supplémentaire pour faire valoir

leur droit à la retraite (66 ans), alors que

leur taux d’espérance de vie est de sept

années inférieur à celui des classes supérieures

; 500000 personnes perdront une

partie de leurs allocations sociales. Au

moment même où la presse britannique

épinglait les profits records enregistrés par

les banques (renfloués par de l’argent

public) et que les bonus ont recommencé à

couler à flots dans les poches des banksters

de la City, Osborne affirmait sans rire :

« Nous nous réservons le droit de prendre

des mesures supplémentaires (lesquelles

?), si les fonds publics continuent

d’être investis dans des salaires et des

bonus injustifiables»

. Le monde de la

finance a dû en frémir… de plaisir.

Cameron et Osborne, dans leurs discours

respectifs, ont balisé le revival thatchérien

en des termes qui ne souffrent d’aucune

ambigüité : les malheurs de l’économie

britannique (et, partant, européenne) proviennent

de la dette publique. Il aurait

certes été surprenant que ces messieurs

s’en prennent aux marchés, à l’économie

capitaliste ou critiquent Gordon Brown

pour avoir été leur zélé serviteur depuis

douze ans. Cette analyse souligne le retour

à un mode de pensée néolibéral orthodoxe

: la crise capitaliste serait donc due au

big government, l’Etat qui dépense

«inconsidérément» l’argent des contribuables

dans des programmes sociaux

aussi «coûteux» qu’« inutiles » et qui, en

conséquence, incitent les individus à se

« complaire dans l’assistanat ».

Aucun des deux aspirants au pouvoir n’a

crû pertinent de parler de récession économique,

de l’augmentation du nombre de

chômeurs, des faillites bancaires, du tarissement

du crédit, de la faible demande des

ménages. Cette analyse ne tient pas la

route. D’une part, le Royaume-Uni demeure

moins endetté en 2009 que la France ou

l’Allemagne avec respectivement 54% du

PIB, contre 75% et 73,4% (Eurozone:

77,7%). La situation de la dette britannique

n’est donc pas à ce point catastrophique

pour justifier de telles coupes dans

les programmes sociaux. Nombre d’économistes

reconnaissent qu’il est socialement

irresponsable de tenter de réduire un déficit

budgétaire – fût-il important – dans une

période de crise économique profonde et

durable. Ce dont les économies européennes

ont besoin, ce n’est pas d’une nouvelle

cure d’austérité (selon le mantra

thatchéro-néolibéral), mais une forte injection

d’argent publique dans l’économie,

surtout au moment où les effets de la crise

de liquidité n’ont pas encore été réglés. En

outre, seul l’Etat peut massivement intervenir

dans une situation de crise car les

investissements privés sont, pour le

moment, largement gelés.

Les héritiers de Madame Thatcher aux

portes de Downing Street se font également

les porte-parole d’une vision apocalyptique

des rapports internationaux et

communautaires. Les eurodéputés conservateurs

ont quitté le Parti populaire européen

(PPE) au parlement européen au

motif qu’il serait trop « europhile » et

« fédéraliste ». Ils viennent de rejoindre le

groupe des Conservateurs et réformistes

européens (CRE), une nébuleuse de formations

europhobes, antisémites et d’individus

qui réfutent la thèse du changement

climatique (le parti lithuanien pour la

Patrie et la Liberté - TB/LNNK, soutient

les marches annuelles d’anciens Waffen

SS. Le parti conservateur les a présentés

comme des « soldats qui n’ont fait que

défendre leur pays »). Au nom de sa croisade

contre le communisme international,

Margaret Thatcher n’avait jamais hésité à

apporter son soutien politique et personnel

à Augusto Pinochet au Chili ou au régime

d’Apartheid en Afrique du Sud. La droite

dure thatchérienne est donc de retour.

Côté face, les courants du thatchérisme

européen (Sarkozy, Merkel, Berlusconi)

pourraient aller repêcher leur soutien indirect

mais indéfectible pendant les années

90 et jusqu’en 2005 : l’ex-premier ministre

Tony Blair. Représentant le Quartet depuis

2007, l’émissaire Blair en charge du dossier

israélo-palestinien peut se prévaloir

d’un bilan des plus modestes. De fait,

aucune de ses initiatives n’ont permis de

faire progresser la situation de quelque

manière que ce soit. Il est vrai que le fidèle

allié de GW Bush est très pris par le

lucratif circuit des conférences qui permet

aux ex-chefs d’Etats de se construire une

fortune personnelle en un temps record.

On parle donc du candidat Blair à la présidence

de l’Union européenne. Il s’agit

d’une nouvelle fonction créée par le Traité

de Lisbonne (un mandat de 2,5 ans, renouvelable

une fois). Le nouveau président

aura à présider les quatre réunions

annuelles du Conseil européen (qui réunit

les chefs d’Etat et de gouvernement des

Etats membres). Aucun candidat de

« poids » ne semble se dégager pour barrer

la route à Tony Blair. Les grandes puissances

européennes le soutiennent car il

assurerait une nouvelle inflexion de la

politique communautaire dans un sens plus

atlantiste et moins social (Blair fut, plus

que tout autre premier ministre des années

1997-2005, celui qui freina les plus

modestes propositions d’harmonisation

sociale). Architecte de la guerre d’Irak et

de la division européenne, issu d’un pays

non membre de la zone euro, Blair pourrait

devenir prochainement le premier président

de l’Union européenne.

Les deux faces du thatchérisme britanniques

auront pour ambition de légitimer

cette nouvelle étape néolibérale et de l’exporter

dans l’Europe entière. Elles y trouveront

de nombreux soutiens. De leur côté,

les gauches européennes devront lutter

contre cette nouvelle offensive et mettre la

candidature Blair en échec.

Philippe Marlière

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