De Karsky à Goldstone
Les rapporteurs d’évènements tragiques ne relevant pas du
fait divers rencontrent rarement une oreille attentive,
notamment des institutions censées responsables et soucieuses
du sort humain. C’est ainsi que Jan Karski, qui le premier
apporta aux puissances alliées un témoignage direct sur
l’extermination des juifs d’Europe par les nazis, ne rencontra
dans un premier temps que l’incrédulité et le silence (1).
Le caractère fondamentalement criminel du régime hitlérien
avait pourtant déjà été signalé par plusieurs témoignages issus
de l’intérieur même de l’Allemagne : mais le gouvernement
français, par exemple, n’avait pas voulu les entendre (2).
L’histoire de la surdité, de l’aveuglement et du silence des puissants
serait-elle en train de se répéter, en dépit du slogan « Plus
jamais ça ! »
brandi à l’issue de la seconde guerre mondiale ?Même s’il ne s’agit évidemment pas d’une tentative d’extermination
industrielle comme ce fut le cas en Europe, le nettoyage
ethnique d’un pays conquis et en voie de colonisation, la
Palestine, ne semble guère troubler beaucoup de consciences
bien établies, en tout cas pas au point de les convaincre de
prendre des mesures dissuasives réelles, c’est-à-dire des sanctions.
Et pourtant, cette fois, ce ne sont pas des individus ou des anonymes
qui donnent l’alerte :
En 2005 et 2008, ce sont des diplomates européens en poste à
Jérusalem qui dénoncent la colonisation de Jérusalem-Est par la
puissance occupante (3). Mais « le rapport de décembre 2008,
qui était destiné en principe au Département des relations extérieures
de l’Union européenne, c’est-à-dire aux services de
Javier Solana, demeure toujours, quatre mois plus tard, un
« document de travail confidentiel » au statut incertain » (4).
L’agression israélienne contre
Gaza a suscité une commission
d’enquête internationale composée
de personnalités unanimement
respectées : Richard
Goldstone, Christine Chinkin,
Hinja Jalin et Desmond Travers.
Cette commission a publié un
rapport volumineux (5), dont le
contenu dérange visiblement
ceux-là même qui auraient la
possibilité d’en tirer les conséquences
pratiques, ne serait-ce
qu’en reconnaissant qu’aucun
État ne devrait pouvoir se placer au-dessus des lois internationales.
Car ce que d’aucuns nomment haute politique ou diplomatie
s’apparente bien plus à de la veulerie ou à de la complicité honteuse.
N’est-ce pas ainsi que l’a d’ailleurs parfaitement compris
la soldatesque israélienne qui n’hésite pas à malmener les diplomates,
voire même à déféquer sur les drapeaux (symboles
nationaux) de certains de leurs peu brillants alliés (6) ?
Il n’est certes pas pire sourd que qui ne veut entendre. Il n’en
est que plus nécessaire d’interpeller inlassablement des institutions
qui sont censées nous représenter, de rappeler que cette
politique-là ne se fait pas en notre nom, et qu’il ne saurait y
avoir de crime sans châtiment !
Il faudra aussi nous interroger sur les actions que nous pouvons
d’ores et déjà mener, sans attendre pour cela la permission dite
d’en haut.
Philippe Lewandowski
(1): Lire sur ce sujet le document littéraire de Yannick Haenel, Jan
Karski
, récemment paru aux Éditions Gallimard. (retour)(2): Citons notamment Das deutsche Volk klagt an (1936) = Le peuple
allemand accuse (1938)
, réédité par L’association des amis de la fondationpour la mémoire de la déportation (Délégation territoriale du
Gard). (retour)
(3): Voir Jérusalem : le rapport occulté, présenté par René
Backmann (Salvator, 2009). (retour)
(4): Idem, p.32. (retour)
(5): Texte intégral (en :anglais),
consulté le 16-10-2009. Synthèse (en français) (retour)
(6): Article de Libération, consulté le 16-10-2009. (retour)