GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Le pacte d’irresponsabilité

Nous publions ici une tribune que Frédéric Lutaud (membre du BN du PS au titre de la motion 4) a écrite fin janvier pour la revue Démocratie&Socialisme (numéro de février). Notons qu’avec la décision de la CFE-CGC de ne pas signer le pacte de responsabilité qui rejoint les refus de la CGT et de FO, ce pacte est clairement soutenu par seulement une minorité syndicale (CFDT et CFTC).

Pour ceux qui en doutaient encore, François Hollande a tourné officiellement le dos à tout projet de transformation sociale. Après le krach boursier de 2008, la communauté internationale avait déclaré unanimement « plus jamais ça ! Il faut changer de modèle développement ». Le Président des Français épouse maintenant sans complexe les thèses libérales qui ont discréditées la droite. Son « pacte de responsabilité » nous propose de produire plus pour travailler plus, la surenchère compétitive, la poursuite de l’allègement du coût du travail et, bien sûr, la réduction des dépenses publiques. En souscrivant aux revendications du patronat, son « gagnant/gagnant » se limite à un « observatoire des contreparties ». Nous savons ce qu’il en est de la « moralisation du capitalisme », nous savons ce qu’il en sera d’une politique sans mesure contraignante pour le capital.

Ses déclarations tournent le dos aux principaux enjeux de notre époque. D’abord, le discours formaté qui voit dans la croissance l’alpha et l’oméga de toute politique économique en pleine crise écologique est suicidaire. Aucune percée technologique majeure ne vient confirmer la possibilité d’une « croissance verte » qui soulagerait la pression sur les ressources naturelles.

Ensuite, vient l’affirmation effarante comme quoi « l’offre crée la demande ». Celle-ci est notoirement réfutée par n’importe quel économiste compétent. François Hollande a choisi de devenir la risée des intellectuels du monde entier pour rassurer les marchés financiers qui ont pourtant conduit à la récente faillite du système.

La suite n’a aucune raison de nous surprendre. Une rhétorique de droite assimilant « charges » et « cotisations sociales » continue de justifier la nécessité de baisser « le coût du travail ». La vérité, c’est qu’il n’y a pas de problème de charges mais un problème de marges. Les marges des petites et moyennes entreprises sont confisquées par leurs donneurs d’ordres.

Les grands groupes captent depuis 30 ans l’essentiel des gains de productivité pour rémunérer leurs actionnaires

En 2013, ce sont 299 milliards d’euros versés au capital pour seulement 197 milliards d’investissements. Dès lors, le capitalisme actionnarial prélève sur l’économie réelle (en dividendes et rachat d’actions) plus qu’il n’apporte de financement aux entreprises. Le problème, c’est le coût du capital, pas celui du travail. La compétitivité est un miroir aux alouettes pour mieux soumettre les travailleurs à la concurrence généralisée dans une Europe où doit s’organiser la coopération et l’harmonisation des protections sociales.

Au lieu de cela, nous assistons à une fuite en avant dans le dumping fiscal intra-européen. La suppression de 30 milliards de cotisations familiales pour les entreprises d’ici 2017 est un nouveau coup de canif dans notre contrat social républicain. Qu’avons nous obtenu en échange des 200 milliards d’exonérations fiscales aux entreprises ? : le chômage de masse. Une politique de gauche doit redonner du pouvoir d’achat aux Français et investir massivement dans la transition écologique afin de relancer la demande et permettre une montée en gamme de la production débouchant sur une consommation écologiquement responsable, mais François Hollande poursuit sa distribution de cadeaux fiscaux et la réduction les dépenses publiques. C’est le monde à l’envers.

« Nous n’avons pas encore gagné la bataille pour l’emploi » semblent être les paroles les plus sensées de notre président. Malheureusement, selon lui, la croissance crée l’emploi. Nouvelle erreur de diagnostic. La principale cause de réduction de l’emploi est l’amélioration de la productivité qui représente 65% des pertes d’emploi depuis 2000. Il n’y a d’autre solution au chômage de masse qu’une répartition équitable du volume d’heures travaillées car celui-ci a diminué de 10% en 60 ans de croissance tandis que la population a augmenté de 23%. Il faut diminuer le temps de travail. Pour que les temps partiels subits aient la possibilité de travailler plus, il faut que ceux qui travaillent trop puissent travailler moins, ce qui permettra aussi d’intégrer les exclus du marché du travail.

Les orientations mercantiles et productivistes de François Hollande ne pourront qu’aggraver la situation.

La course à la croissance dispense de s’interroger sur la répartition de la richesse existante et l’urgence à satisfaire de nombreux besoins sociaux.

Sans encadrement des hauts salaires (depuis la crise de 2008, la rémunération moyenne des dirigeants du CAC 40 a augmenté de 21% en moyenne) et plafonnement des dividendes, il n’y aura aucune réduction significative des inégalités salariales et les entreprises ne retrouveront pas leur capacité d’investissement. La semaine de 4 jours, permettant de vaincre le chômage de masse, n’a pas retenu l’attention du gouvernement. La finance est confortée dans son monopole de la création monétaire. Nous assistons à la démission du politique devant les intérêts du capital. C’est la politique d’une gauche sans projet, si ce n’est le règne de la marchandise qui réduit notre humanité au rôle de consommateur («l’offre crée la demande » bien sûr !). Ne nous étonnons pas dans ses conditions d’assister à la montée du chômage et des nationalismes en Europe. La feuille de route de François Hollande n’est ni responsable économiquement, ni responsable écologiquement.

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