GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

« La loi doit l’emporter sur le contrat »

Le 17 mars 2007 le président Chirac a promulgué un « nouveau » code du travail, 994 pages format A4. C’était un code entièrement ré-écrit, simplifié et réduit. On était en pleine campagne électorale présidentielle, aucun des candidats, aucun, ne s’y est intéressé et n’en a parlé. Le Medef se taisait, trop heureux de ne pas attirer l’attention sur cette opération. En fait, c’était une vieille idée du CNPF, Yvon Chotard, déjà, cherchait en permanence à y parvenir : mais ce qu’on nous dit être la crise d’aujourd’hui est bien plus grave que les menaces de l'époque.

Pour Chirac en mars 2007, il s'agissait d’une ordonnance de décembre 2004 qui visait déjà à réduire le code du travail, en le « simplifiant ». Une commission avait été mise en place rien qu’avec des amis du Medef. Elle a tout « re-codifié » : elle a supprimé 1,5 million de signes, elle a supprimé 1 livre sur 9, elle a enlevé 500 lois, elle a réduit le texte de 10 %, elle a re-numéroté les 1150 lois par alinéas en 3850, en passant ainsi le code à l’acide des exigences patronales. Ce n’était pas, ça ne pouvait pas être « à droit constant » comme ils le prétendaient, je l’avais démontré en détail dans un livre et de nombreux articles. Quand cela a été définitif, au bout de 4 ans, le 1er mai 2008, la droite a dit que le texte était simplifié, lisible et réduit et ils se sont félicités ! Celui qui était responsable de toute cette opération manipulatrice pour le compte de Larcher, de Fillon, de Raffarin, de Chirac, de Bertrand et de Villepin, s’appelait déjà Jean-Denis Combrexelle.

À l’époque, le 23 décembre 2007, le Sénat avait ratifié en 20 minutes les 994 pages, format A4, sans s’émouvoir. J’avais réussi à rédiger 150 amendements pour défendre le droit ancien par rapport aux changements introduits, prétendument à droit constant. Et notre groupe parlementaire les avait défendus, le 4 décembre 2007, il avait courageusement tenu tête 8 heures à l’Assemblée contre la ratification du « nouveau » code et la « manipulation Combrexelle ». Et voilà que c’est « oublié ».

Tout le monde l’a oublié tellement le code du travail émeut peu ceux d’en haut. En 2010, Darcos distrait, lui aussi, avait à nouveau proposé de le ré-écrire – toujours pour plaire au Medef.

En quoi le code du travail est-il « illisible » ? Quid du code des impôts, du code du commerce, du code des affaires maritimes, du code de la construction, du code de la sécurité sociale ?

En fait le code du travail est le plus petit de nos codes. Il fait 675 pages de lois, pas plus. Mais il est édité par Dalloz avec 3300 pages de commentaires. Comme si on éditait Françoise Sagan commentée par Marcel Proust. C’est le plus simple de nos codes. 10 articles servent aux prud’hommes ! Et la France est un des pays européens où il y a le moins de saisines des tribunaux.

Bayrou n’avait jamais ouvert le code du travail quand il l’a accusé d’être trop gros, à DPDA devant 7 millions de téléspectateurs ! Et quand il présentait le code du travail suisse, il trompait tous ceux qui ne savent pas ! Il n’y a pas de code du travail en Suisse mais un vieux « traité pour la paix au travail » signé entre les cantons, et dans chaque canton, il y a un droit du travail civil beaucoup plus gros et illisible ! Car les contrats sont plus « illisibles » que les lois. Il existe 700 « accords » et « conventions collectives » : il faut 8 armoires pour les contenir et lorsque c’est le patronat qui tient la plume c’est beaucoup plus compliqué, plus long plus illisible que quand ce sont nos parlementaires.

Aux États-Unis le droit civil consacré au travail fait 36 000 pages ! Et ils viennent de faire un pas décisif dans le fait que les salariés des entreprises sous traitantes doivent être alignés sur les salaires et droit des maisons mères, tandis qu’ici, Macron fait le contraire.

Il faut autant de lois que nécessaire et autant de contrats que possible, mais la loi de la République doit l’emporter sur le contrat. Sinon on viole la Constitution !

L’article 34 de la Constitution précise bien que c’est le Parlement qui légifère en droit du travail. Laurence Parisot voulait déjà en 2005 que Villepin change cet article de la Constitution pour que la loi soit faite dans les entreprises pas au Parlement. Si le contrat devenait la loi, on entrerait dans un autre régime, un régime corporatiste ni plus ni moins. L’État de droit dans l’entreprise serait mort. L’ordre public social serait mort. Tout deviendrait relatif et soumis aux exigences du profit et pas aux exigences du respect des droits universels des humains. Le Parlement, et avec lui le suffrage universel deviendraient impuissants.

Par exemple, la protection contre des licenciements abusifs est un droit de l’homme : déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, charte européenne des droits de l’homme de 1999, convention 158 de l’OIT (que Gattaz exige que nous dénoncions). Un salarié menacé de licenciement doit être informé, le licenciement doit être motivé, le salarié doit pouvoir se défendre, il doit pouvoir faire un recours, et il doit obtenir réparation si le licenciement est abusif. Les entreprises doivent se plier aux droits de l’homme et pas l’inverse.

En 1906 on a séparé, après la catastrophe de Courrières, le ministère de l’Economie et le ministère du Travail. C’était un grand progrès qui signifiait que le droit du travail des humains ne devait plus être soumis aux exigences de l’économie. Dire aujourd’hui qu’il faut « adapter le droit du travail aux réalités de l’entreprise », c’est une vraie contre-révolution historique. Car il faut exactement le contraire, le code du travail est précisément là pour obliger les entreprises à tenir compte des droits des humains !

Et d’ailleurs c’est l’intérêt bien compris des entreprises et des employeurs intelligents car ceux qui produisent le plus et le mieux, ce sont les salariés bien formés, bien traités et bien payés. Plus il y a de droit du travail, plus il y a de garanties, de protection, de sécurité, plus le salariat est efficace et productif. Ce ne sont pas les précaires ni les flexibles qui produisent le plus et le mieux. Un bon code du travail, c’est un bon travail. Un bon code du travail c’est un bon salaire. Un mauvais code du travail c’est le recul pas seulement social mais économique. Le « contrat » est signé entre deux parties inégales, employeur et salarié. S’il n’est pas soumis à la loi, c’en est fini de l’ordre public social. Les attaques permanentes contre le code du travail de la part du patronat sont obscurantistes : ils ne voient que le profit, pas les humains. Et en ne respectant pas les humains ils creusent la tombe de leurs profits.

Il a fallu un siècle pour bâtir le code du travail, c’est une construction sociale exceptionnelle réalisée par des forces et des évènements immenses, de 1905 à 1936, de 1945 à 1968. Il a été fait de luttes et de larmes, de sueur et de sang et il ne peut pas être « ré-écrit » à froid, ni par deux personnes à la suite d’un diner en ville, ni par un « think tank » composé de gens qui n’y connaissent rien, ni par une nouvelle commission Théodule chargée de le passer à l’acide des exigences de M. Gattaz.

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