GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

À Gauche

La gauche a besoin de démocratie

Cela fait longtemps que les partis et organisations de gauche souffrent d’une insuffisante démocratie. Cette question récurrente a pris plusieurs formes selon la période.

Les plus anciens se rappellent que le bilan des pays de l’Est était jugé « globalement positif » par les dirigeants du PCF (1). Et cela ne souffrait aucun débat. D’autres pourraient rappeler comment la question de la décolonisation – par exemple au moment de la lutte de libération nationale en Algérie – a divisé le mouvement socialiste.

Bonapartisme, quand tu nous tiens…

La méthode de sélection des candidats aux élections a écœuré nombre de militants. Pendant longtemps, non-parité, non-prise en compte de la diversité, cumul des mandats ont gangrené littéralement la vie politique. Et ce n’est pas entièrement fini. Les clans, les coteries ou un fonctionnement via les seuls membres des appareils ont été la norme. On pourrait multiplier les exemples. Plutôt que de renforcer les partis politiques, l’absence de démocratie en a fait des passoires. La trahison des programmes, les ambitions ont fait le reste.

En France, la Ve République n’a pas arrangé les choses avec la recherche d’un César ou plus près de nous d’un « Jupiter », là où depuis 150 ans la plus belle chanson du monde du travail affirme que l’émancipation du salariat ne demande « ni César, ni tribun » (2). L’élection au suffrage universel du président de la République depuis 1965, après la réforme constitutionnelle approuvée par référendum en 1962, a consolidé l’essence « bonapartiste » de l’actuelle constitution. Ce qu’il faudra profondément modifier dans cette VIe République démocratique et parlementaire, que nous appelons de nos vœux.

Aujourd’hui, l’engagement au niveau politique est faible. Avec internet, les pétitions en ligne (parfois utiles) et les « clics » ont remplacé la confrontation des idées, la construction de projets, la réflexion et l’élaboration collectives… Il y a certes encore des militant.e.s de terrain, mais le maillage du territoire – ou dans les entreprises –, qui a longtemps existé, s’est étiolé. Enfin, les réseaux sociaux en poussant à la simplification, aux petites phrases ont abîmé un peu plus la construction de valeurs et d’objectifs communs.

La démocratie n’est pas une simple norme de fonctionnement, c’est une question centrale pour aller vers l’émancipation, construire un programme pour aller dans ce sens, unifier. Nous avons écrit fin 2022 sur le sujet un document utile à relire : « Sans démocratie, pas de socialisme. Sans parti démocratique, non plus » (3).

Responsabilités partagées

De la théorie à la pratique, il y a du chemin. Qu’on en juge par les dernières semaines.

À EELV, un référendum interne a été rendu impossible par des manœuvres bureaucratiques. Il ne sera pas dit qu’on puisse débattre à nouveaux frais de la question d’une liste commune de la NUPES aux européennes. Et début octobre, la direction ne pourra même pas discuter de la situation au Proche-Orient. Silence dans les rangs. Cela n’empêche pas des milliers de militantes et militants de se saisir de l’outil EELV, tant la crise climatique exige des mesures fortes.

Au Parti communiste français, c’est le groupe parlementaire qui affirme qu’on doit continuer à discuter dans l’intergroupe NUPES lorsque le Comité exécutif national voudrait en sortir. Au PS, c’est l’inverse : le groupe parlementaire suspend sa participation avant le débat du Conseil national.

Alors que les critiques fusent sur la FI – y compris de l’intérieur –, force est de constater que les problèmes ne viennent pas que d’un côté.

Dans tous ces épisodes, les militantes et les militants n’ont pas été associés, ou si peu. Et à LFI, nombre d’activistes allant aux « Assemblées représentatives » en reviennent pour partie déçus. Et chez nombre de députés il se manifeste des désaccords de méthode et de fond. C’est au sommet – et dans des sommets un peu éclatés parfois – que tout se passe. Et c’est ce qu’il faut changer !

Aux origines de la crise

Il en va de la NUPES comme des formations qui la composent. Depuis sa création il y a eu des réunions de l’intergroupe à l’Assemblée nationale. Pendant quelque temps, les dirigeants des cinq formations (quatre seulement parfois, quand Génération.s était « oubliée ») se réunissaient sans que personne n’en ait de compte rendu.

A contrario, le développement dans les localités, les départements pour que les militantes et les militants, voire les sympathisantes et les sympathisants, puissent se mobiliser est resté limité. Des réunions publiques ont néanmoins eu lieu pendant la bataille sur les retraites. Parfois organisées localement, parfois parachutées d’en haut.

Cette mécanique de rétrécissement sur le sommet date de bien avant la crise qui secoue la NUPES aujourd’hui. Et elle n’est pas étrangère à la faiblesse structurelle de l’Union. Par exemple, son parlement a été très peu réuni. De mémoire une fois, le 15 octobre 2022.

Pour passer d’une campagne électorale très centralisée, que ce soit pour la présidentielle ou pour les législatives, à la construction d’un cadre unitaire à gauche il y a besoin d’ancrage sur le terrain. La dynamique pour préparer une marche nationale à Paris peut être utile si elle trouve des prolongements ensuite dans la vie locale. CE qui n’est possible qu’en laissant les militantes et les militants, les sympathisantes et les sympathisants s’exprimer, en prenant en compte leur avis.

Que faire ?

Qu’on le veuille ou non, la question va se poser pour les prochaines municipales si l’objectif est de gagner des municipalités pour la gauche.

Plus globalement, il est fini le temps où une instruction venant de Paris suffisait à mobiliser sur le terrain. Après des années de montée de l’abstention aux élections, cela devrait relever de l’évidence.

Il ne suffit pas plus de retourner sur les marchés parce que des élections vont advenir. C’est tous les jours que la confiance se construit, se gagne dans les cités, dans les campagnes ou encore sur les marchés. Sinon, c’est le sentiment d’extériorité de « politiques coupés du terrain » qui domine.

C’est la responsabilité des militants de recréer des dynamiques locales, des lieux de rencontres et d’échanges. Il n’y aura pas de raccourci. Il faudra des outils pour y aider. Pas pour reproduire les erreurs accumulées. En la matière, la question démocratique est essentielle : elle constitue le passage obligé pour construire la gauche de demain de la base au sommet.

Cet article (écrit fin octobre) de notre camarade Jean-Claude Branchereau a été publié dans le numéro 309 novembre 23) de Démocratie&Socialisme la revue mensuelle de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(1) Rapport de Georges Marchais, secrétaire général du PCF devant le 23econgrès du PCF, le 10 mai 1979.

(2) L’Internationale, Eugène Pottier, 1871, 2ecouplet.

(3) Sans démocratie pas de socialisme, sans parti démocratique non plus (texte de la GDS  de décembre 22 à retrouver en cliquant ICI )

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