GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Interview de Gérard Filoche pour le journal AVGI

Gérard Filoche a répondu aux questions du journal AVGI affilié au parti grec Syriza. Retrouvez ci-dessous ses propos.

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1. Vous avez critiqué les commentaires du Commissaire Moscovici qui vient de déclarer que la Grèce devait se conformer aux exigences de Berlin en matière d’austérité. Pourriez-vous expliquer pourquoi?

Je suis membre du Bureau national du Parti socialiste depuis deux décennies et j’y ai donc très longtemps côtoyé, entre autres, Pierre Moscovici. Moi, je sais faire la différence entre la gauche et la droite, entre le progrès et la réaction, entre les salariés et l’oligarchie, entre le développement social et l’austérité. Cette différence, mon parti, normalement, sait la faire aussi : nous avons rédigé un « projet socialiste » et menée une campagne électorale gagnante contre la droite en mai juin 2012 ! Notre projet était une transformation sociale contre « notre ennemi la finance ». Nous voulions une redistribution des richesses pas un creusement des inégalités. Nous voulions reconstruire le code du travail, pas de le déconstruire. Nous voulions faire reculer le chômage, pas le développer. Nous voulions des grands services publics, pas privatiser. Nous voulions une grande reforme fiscale, pas des taxes injustes. Nous voulions une retraite à 60 ans, pas à 66 ans. Le problème est que tout ce que nous avions élaboré ensemble, voté ensemble, défendu ensemble, Pierre Moscovici, et ses amis, au gouvernement, ne l’ont pas fait en France et pas défendu en Europe face à Mme Angela Merkel et ses amis politiques.

Avec mes amis de la gauche socialiste, nous avons obtenu depuis le 18 février 2014, 40 % des voix du Bureau national contre cette politique d’austérité, de baisse du coût du travail, de cadeaux au patronat, et à la finance. Nous sommes donc opposés pour le prochain congrès du PS qui va se tenir les 6 et 7 juin 2015 à Pierre Moscovici et ses proches – avec une légitimité non négligeable.

Mais si nous menons le débat avec lui, il y a une chose qui nous scandalise et qui est hors du domaine du débat, c’est quand il va apporter le soutien à la droite dans votre pays. Ici nous défendons l’unité de toute la gauche, et chez vous, il est clair que Syriza représente aujourd’hui l’espoir de la gauche.

Pierre Moscovici sait bien qu’il ne saurait aller soutenir Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé sans se faire exclure du Parti socialiste et vilipender par la gauche entière. Pourquoi se permet il de le faire en Grèce ? Pourquoi soutient il M. Dimas, et l’austérité chez vous contre la majorité de votre peuple ? Alors qu’ici même, ses amis au gouvernement n’osent avouer publiquement que la politique qu’ils mènent est aussi de l’austérité ? Et alors qu’elle est négative en tous points et qu’elle est rejetée de scrutin en scrutin par les électeurs de gauche ? La présence de Pierre Moscovici à Athènes, s’immisçant dans le processus pré électoral, se parant de l’auréole de représentant nommé par la France à la commission européenne, pour aller donner des coups de poignards aux intérêts de votre peuple, me scandalise. Quand on est de gauche, on soutient la gauche, pas la droite. Quand on est de gauche on combat l’austérité de la finance de Mme Merkel, on ne la soutient pas.

2. Est-ce que vous étendriez votre critique au gouvernement français, en ce qui concerne son comportement par rapport aux exigences allemandes en matière d’austérité ?

Oui, en France nous avions tout pour réussir, tous les pouvoirs, en 2012, dans les villes, les départements, les régions, au Sénat, à l’Assemblée nationale et la Présidence de la République. Assez de pouvoirs dans notre grand pays pour résister facilement à la finance si nous en avions la volonté. Mais au lieu de ça nous avons littéralement capitulé, sans vraiment mener combat, face aux financiers. Il a été prétexté comme chez vous, que la « dette » était trop grande, que les « déficits » devaient être réduits, et comme chez vous, en voulant « réduire les déficits », ils ont torpillé l’économie et augmenté la dette. Comme partout en Europe, capituler devant les exigences des banques, ça se traduit par une tragédie. Les banquiers il ne faut pas les flatter, il faut les mater. Ce sont les gouvernements élus qui doivent diriger la monnaie, pas les actionnaires anonymes et rapaces. Reprendre le contrôle démocratique de l’économie contre l’oligarchie, c’est la tâche de la gauche. La tâche de la gauche ce n’est pas de rétablir les marges, ni de grossir les dividendes. C’est de reprendre les dividendes, d’imposer la redistribution des richesses pour relancer l’économie.

3. On peut distinguer deux approches différentes. Une approche plus ‘laxiste’ à l’encontre des ‘grands’ pays à qui on donne le temps de ‘respirer’, et une autre plus stricte à l’encontre des ‘petits’ pays comme la Grèce ou Chypre qui doivent se conformer tout de suite aux exigences de la Commission, sans prendre en compte les effets humanitaires des politiques d’austérité. Qu’en pensez-vous ?

Oui, bien sur, la finance n’a aucune pitié pour les peuples, aucune compassion pour ses victimes, elle ne s’arrête jamais, sauf si le rapport de force le lui impose. La finance c’est la grande peste noire, elle coure d’un pays à l’autre, tant qu’on ne lui oppose pas un puissant remède. Elle attise délibérément les crises tant qu’elle peut en retirer des marrons du feu. Elle prône la « dérégulation », la « souplesse », la « flexibilité » ce qu’elle baptise « réformes structurelles » parce que tout ce qui est déréglé augmente ses marges de manœuvre, affaiblit les défenses des salariés, augmente le chômage en accroissant les profits. Pour la combattre, il faut restaurer des lois, des droits, du contrôle, de la démocratie. Il faut la contraindre, il faut lui passer la corde autour du cou, même sans la serrer, car elle ne cède qu’aux rapports de force.

Alors dans l’Union Européenne, oui, les défenseurs de la rente ont attaqué en premier les pays les plus « petits » pays jugés plus vulnérables comme la Grèce ou Chypre. Mais ils n’ont pas hésité à généraliser l’exemple au Portugal, à l’Irlande puis à l’Espagne et l’Italie. Ils s’en prennent à la France et à la Belgique… La seule chose qui les freine, ce sont les mobilisations sociales et les échecs électoraux de la droite. Au printemps 2013, les Portugais ont été 1,5 million à manifester, et ils ont fait peur aux intégristes libéraux de l’UE. En ce moment, ce sont les belges qui, en grève générale, les effraient. Et vous, qui avez si vaillamment résisté, c’est la possible victoire électorale de Syriza à Athènes qui leur fait peur. On sent jusqu’à Paris, les ondes de votre potentielle victoire. Le jour est proche où ça basculera dans toute l’Europe et on s’apercevra alors que les espérances des peuples sont capables de donner matière à des soulèvements simultanés et généralisés. Vivement que la finance connaisse cette grande frayeur !

4. Quand on entend parler les dirigeants socialistes en Europe, on a du mal à voir ce qui les sépare de leurs homologues conservateurs. Quel est, selon vous, l’avenir de ces partis socialistes/sociaux-démocrates en Europe ?

François Hollande faisait campagne en mai 2012 en exigeant que « la BCE prête directement aux états ». Il ne l’a plus jamais défendu depuis. Il défendait la lutte contre la fraude fiscale, contre la délinquance financière en criant « la République vous rattrapera » et puis il a nommé un homme au budget, Jérôme Cahuzac qui fraudait lui-même tout en mentant « les yeux dans les yeux ». Cela a fait un énorme scandale. Le problème de la social-démocratie c’est que son électorat est de gauche et attend des réponses de gauche. La droite, elle, a les coudées franches et cyniques, elle est le parti de l’oligarchie et de ceux, peu éduqués, qu’elle parvient à tromper. La gauche c’est le parti du salariat éduqué qui exprime ses revendications légitimes et espère que ses « chefs » vont lui donner satisfaction. Ca fait à la fois la force et la faiblesse de la social démocratie : la force quand elle conquière le soutien de 70 % des salariés. La faiblesse quand elle les trahit et les voit se dresser contre elle. Pour aller jusqu’au bout des processus contre la dictature des financiers, et créer des conditions nouvelles, des espoirs et des réalisations, il faut que ces partis sociaux démocrates, soient transformés ou remplacés, entrainés ou balayés, dans un mouvement de toute la gauche unie. C’est ce mouvement de la gauche unie qui mettra en place un programme de transformation sociale dont les peuples rêvent. Le socialisme, de ce point de vue, est une idée neuve.

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