GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Intervention de Gérard Filoche

Comment faire pour rassembler la gauche, quand le Premier ministre a déclaré qu’il existait « deux gauches irréconciliables » ? Et on ne peut pas dire que ses actes nuancent ses propos : car en actes, tous les jours, par la brutalité de ses comportements, par sa volonté d’imposer par 49 - 3 une loi minoritaire, Manuel Valls creuse le fossé entre les deux gauches telles qu’il les décrit, les sculpte et les pratique.

On peut penser que c’est clairement sa stratégie : rechercher une alliance avec la droite, une variante d’unité nationale plutôt qu’une unité de la gauche. Ce qui va à l’encontre de ce fameux referendum lancé par notre parti et le premier secrétaire en octobre dernier : comment réclamer l’unité de la gauche, en faisant passer une loi de droite ?

Car le projet El Khomri a été aggravé jusqu’au bout et non pas atténué, jusque dans ses articles 27 ou 52 : il s’agit bien de soumettre « les droits du travail aux besoins des entreprises » et de rompre ainsi avec un siècle d’histoire de France, de la gauche et du socialisme, où nous luttions pour que le bon fonctionnement des entreprises soit soumis aux droits du travail. C’est une coupure épistémologique, une rupture historique, théorique, juridique et pratique avec le combat de toujours de notre parti. Il s’agit bien de casser la durée légale du travail telle que nous l’avons promue avec Léon Blum, les 40 h, il y a 80 ans jour pour jour, et avec François Mitterrand les 39 h sans perte de salaire, et de rompre avec la bataille centrale de Lionel Jospin, les 35 h sans perte de salaire. Puisque la durée légale se caractérise par le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et que dorénavant le taux de ces heures supplémentaires ne sera plus d’ordre public social mais pourra être baissé de 25 % à 10 % (ou pire « compensé »), entreprise par entreprise, boutique par boutique. Ce n’est plus le droit du travail universel, celui des droits de la femme et de l’homme au travail, celui de l’OIT, c’est celui de la priorité à la boutique, de l’asservissement à l’employeur au cas par cas, selon les rapports de force et non plus selon la loi protectrice de la République. Et il ne s’agit pas du seul article 2 qui ouvre la voie à l’inversion de la hiérarchie des normes, puisque 50 autres articles imposent déjà un contenu de défaveur, sur les durées maxima du travail à 12 h, à 60 h, sur le fractionnement du repos quotidien, sur la forfaitisation des horaires, sur le forfait journalier et même sur l’abominable calcul des heures supplémentaires sur 3 ans !

En refusant, alors qu’il est hyper minoritaire, de revenir en arrière, de retirer ce projet maudit, que cherche le gouvernement ?

Il faut renforcer le Code du travail et non pas l’affaiblir comme nous le disions dans notre « projet socialiste » ! Il faut renforcer la hiérarchie des normes, comme le disait la motion majoritaire du congrès de Poitiers, et non pas y mettre fin. Il faut s’appuyer sur le salariat pour sortir de la crise, et non pas sur le patronat qui la nourrit, exprès.

Le gouvernement est totalement isolé et dans l’impasse.

Cet isolement est nuisible pour notre parti, pour la gauche comme pour le pays, pour le présent comme pour les élections futures. Les conflits se prolongent et s’étendent, le 14 juin sera gros ! Je reviens du Havre ou la mobilisation est incroyable : la ville entière génère et soutient 30 000 manifestants ! Même Jérémy Corbyn a envoyé un message de soutien aux salariés français en lutte contre la loi de casse du Code du travail !

Mais il n’y a pas que Le Havre, il y a aussi les ports et docks de Lorient à St-Nazaire, ou Fos, les raffineries, la chimie, les déchetteries, les transports, sans compter des centaines de conflits dans des centaines d’entreprises, de XPO à Amazon ou Peugeot. Nous ferions bien de ne pas nous laisser tromper par les 95 % des médias des 7 milliardaires qui n’aiment pas les mouvements sociaux d’une telle ampleur, et les minorent en les faisant passer derrière les effets des crues ou les promesses de buts.

Les sondages sont constants et donnent 75 % d’opposants à cette loi, 78 % chez les jeunes. On a 85 % de syndiqués et de syndicats opposés : la CGC a confirmé son hostilité dans son congrès, des fédérations de la CFDT et de l’UNSA aussi. Comment imposer une loi sur le dialogue avec les syndicats contre une majorité de syndicats hostiles ?

Je ne comprends pas que François Hollande se fasse plus dur que Balladur en 1994 ou Chirac en 2006. Balladur avait fini par retirer le CIP, et Chirac l’avait fait même après un 49-3. Que veulent prouver François Hollande et Manuel Valls ? Qu’ils sont plus durs et déterminés contre les salariés, que la droite ne le fut ? Quel intérêt a pareil bras de fer, alors que le texte est isolé, rejeté, critiqué de toutes parts et que pour la première fois, il a même suscité une cassure dans notre propre parti et la recherche d’une motion de censure par 28 de nos députés ? Il faut se rendre à l’évidence, et ne pas bloquer le pays, ne pas accumuler les rancœurs, ne pas aggraver l’isolement de l’Elysée avec le refus d’un retrait qui paraît si logique et si nécessaire !

Quand la CFDT a essayé de faire soutenir sa ligne le 12 mars, même sa base ne s’est pas déplacée, il y a eu 500 personnes à Paris et 200 à Marseille. Il n’y a pas de « bloc « réformiste » contre un « bloc radical » ! Une seule gauche ! Et je ne crois pas judicieux de faire meeting, contre le Sénat qui plus est, dans des Salons du 12° de Paris, sur invitations contrôlées et fermées, le 8 juin, avec le gouvernement et le parti. Ça ne ressemble à rien ni ne rassemble ; il ne manquerait plus que Macron et son costard !

Tout cela mène dans le mur, et puisque tu as parlé, Jean-Christophe, du congrès du PCF et des primaires, j’en profite pour redire qu’elles sont plus que jamais nécessaires. Il faut sauver la gauche de la catastrophe annoncée et obtenir un candidat unique, sinon, comme tu l’avais dit ici, le désastre des cinq dernières élections se répétera, et il restera en juin 2017 « 25 députés socialistes et zéro FdG, zéro EELV ».

J’ai été invité au Congrès du PCF, et j’y suis allé pour la première fois de ma vie, 50 ans après en avoir été exclu (c’était en 1966). J’ai assisté au vote de l’amendement en faveur des primaires, à 62,5 % des voix. La porte est restée ouverte, et c’est pour ça que j’ai peu apprécié le tweet de JCC qui disait qu’elle était « fermée » : non ! La direction du PCF a laissé tout possible, une plateforme commune de référence, un dialogue avec toute la gauche, et des candidatures pour une candidature unique. Il faut maintenir les primaires les 4 et 11 décembre, et maintenir l’accord qui existe pour les modalités des débats, des candidatures, et chacun concédera que le candidat arrivé en tête au bout de 2 tours sera soutenu par tous les autres…

Je rajoute, et je suis clair sur ce sujet depuis janvier, qu’il n’y a pas de « candidat naturel ». Il faut le dire lucidement : François Hollande est mal placé pour jouer ce rôle, car il est, du fait de sa politique (chômage, 41 milliards de CICE gâchés, déchéance de la nationalité, loi El Khomri), à contrecourant de la majorité de la gauche, il est perdu et perdant. Et même il pourra être derrière Mélenchon (comme le PSOE en Espagne), mais à quoi bon ? Tout cela ne servira à rien, car quels que soient leurs scores respectifs, cette concurrence divisera la gauche en deux gauches battues, éliminées, elle assurera le désastre et tuera toute la gauche !

Je n’ose espérer que Manuel Valls compte sur ce genre d’issue pour prouver ses « deux gauches irréconciliables » ! Il faudrait dire à François Hollande, au nom du parti, de ne pas se présenter, ni aux primaires, ni hors primaires. Ce serait un service rendu à toute la gauche. A nous désormais de trouver un ou une candidate rassembleuse sur une réorientation à gauche dans l’unité.

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