GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Hollande tombe le masque

Nous reproduisons un article de Frédéric Lutaud, membre du Bureau national du Parti socialiste pour la motion4 paru dans la revue Démocratie&Socialisme de septembre.

La vraie nature du pouvoir est apparue sans fard, c’est-à-dire telle qu’elle est : brutale, autoritaire et sans partage. François Hollande a purgé en un week-end les éléments contestataires qui appelaient à un peu de modération dans l’austérité. Manuel Valls a exigé de ne voir qu’une seule tête au gouvernement, la sienne.

Pour ceux qui s’étaient indignés de son tournant « social libéral », ce n’est pas une surprise. Mais pour tous les militants qui ont participé sincèrement à la construction du projet socialiste ces dernières années, la désillusion est considérable. Pour bien comprendre l’ampleur de la consternation, il faut revenir à la genèse du projet présidentiel. En 2010, Martine Aubry organise un cycle de conventions nationales du PS afin de rédiger le projet qui sera, selon l’expression consacrée, la « boite à outils » dans laquelle piocheront les candidats aux primaires pour bâtir le programme présidentiel. Malgré le verrouillage de l’appareil, les conventions accouchent d’une orientation marquée à gauche. Il n’est surtout pas question de coupes budgétaires, de « baisse du coût » du travail et encore moins d’un « socialisme de l’offre ». François Hollande en tirera d’ailleurs les conséquences pour mobiliser ses troupes lors de sa campagne électorale déclarant que son « adversaire, c’est la finance ! ».

Une fois au pouvoir, c’est une toute autre histoire. Les banques d’affaires et de dépôts ne seront pas séparées, mais les retraites seront allongées. Puis très rapidement, Hollande annonce une politique social-libérale, pour la « compétitivité » et la baisse du « coût du travail »… Il nomme à la tête du gouvernement Manuel Valls qui a fait 5 % aux primaires. Celui-ci congédie Arnaud Montebourg qui a réalisé 17 % des suffrages aux primaires pour le remplacer par Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaire chez Rothschild. Aujourd’hui, le Premier ministre ne souffre aucune contestation d’une ligne politique en totale contradiction avec les aspirations militantes de son parti.

L’outrance du déni de démocratie témoigne d’une Ve République dans sa déchéance la plus totale. Le Président et le PS, pourtant deux fois humiliés à l’occasion les élections municipales et européennes n’en poursuivent pas moins la politique actuelle comme si de rien était. Le monarque élyséen autiste conduit le pays dans le mur, incapable d’enrayer la montée du chômage de masse, tandis que déflation guette la zone euro.

La gauche consternée doit-elle pour autant s’étonner de ce revirement droitier qui ruine tous ses espoirs ? Aucunement, car l’explication est à l’image du personnage : bassement électoraliste. La mandature de Sarkozy a ouvert un boulevard au centre de l’échiquier politique. Une partie importante de l’électorat de droite ne s’est pas retrouvé dans le communautarisme et le flirt avec l’extrême-droite. Au point que Bayrou a appelé à voter pour le candidat socialiste au second tour des présidentielles, du jamais vu. François Hollande s’engouffre aujourd’hui sans complexe dans cet espace politique dévasté par cinq ans de sarkozysme délétère.

Aussi, le président de la République a t-il décidé de passer par pertes et profits son héritage politique qu’il n’a jamais incarné que par défaut et sans conviction : second couteau occupant par inadvertance le devant de la scène après la démission de Jospin puis chalenger improbable après la chute de Strauss Kahn. Ses deux mandats en tant que Premier secrétaire du PS se solderont par une absence totale de vie intellectuelle au sein du parti. Pour ces raisons, la gauche ne lui a jamais accordé beaucoup de considération et celui-ci le lui rend bien.

Ce technocrate de la cours des comptes a su néanmoins utiliser habilement le Parti socialiste pour servir sa carrière personnelle. Fin manœuvrier, il a saisi les opportunités et compte bien ne laisser aucun espace politique à l’UMP en 2017. En reprenant à son compte le discours de la droite, il oblige celle-ci à se radicaliser pour exister. Coincée entre le Front national et un « socialisme de l’offre » sortie de nulle part, la droite assiste médusée au holdup idéologique d’un Premier ministre déclarant sa flamme à l’entreprise sous les acclamations du Medef.

Manuel Valls ne s’en est jamais caché, il estime que le mot « socialisme » est « dépassé ». Il espère secrètement la liquidation de l’aile gauche du PS avec l’ambition de constituer un grand parti de centre droit. Pour opérer la conversion, un Premier secrétaire du PS, même pas élu par les militants et des Etats Généraux du parti où les questions économiques et sociales sont par avance proscrites. Tout cela vire à la farce politique, au grand désespoir des militants dont plus de 25 000 ont déjà rendu leur carte.

Peu importe, le couple de l’exécutif a déjà calculé son coup : 2017 sera une nouvelle prise d’otage de l’électorat de gauche, un « 21 Avril » à l’envers. Cette fois-ci, il faudra choisir entre Hollande et Marine Le Pen.

Des questions subsistent toutefois. La déflation n’aura t-elle pas entre temps défiguré l’Europe et emporté par le fond les calculs politiciens ? Trouvera-t-on encore des Français pour se résigner à voter Hollande en 2017 ? Juppé, le candidat aux primaires de l’UMP, n’arrivera-t-il pas à incarner mieux que Hollande une politique économique de droite ? Finalement, les patrons ne préfèreront-ils pas l’original à la copie ?

Quant aux militants socialistes, laisseront-ils saccager impunément une tradition politique de près de deux siècles ? Une recomposition des forces de gauche reste ce qu’il y a de plus probable… Aujourd’hui les masques sont tombés, il ne subsiste plus rien de la caution de gauche du gouvernement. Le pouvoir a rompu les amarres avec sa famille politique et s’attaque maintenant aux seuils sociaux, au travail le dimanche, aux 35h(1) et souhaite renforcer le contrôle des chômeurs(2). La gauche n’a rien à attendre du gouvernement de Manuel Valls. Et que ce dernier se rassure, il peut rejeter autant que bon lui semble le mot « socialisme », car c’est avant tout le socialisme qui le rejette.

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(1): « Nous pourrions autoriser les entreprises et les branches dans le cadre d'accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunération. », Emmanuel Macron, ministre de l’économie. (retour)

(2): « Je demande à Pôle Emploi de renforcer les contrôles pour être sûr que les gens cherchent bien un emploi », a-t-il déclaré. Et si ce n'est pas le cas, a-t-il poursuivi, « il faut qu'il y ait, à un moment, une sanction (…). Cette mission de contrôle nécessite un « état d'esprit différent, des convocations et des vérifications (...) Sinon on est radié », François Rebsamen, ministre du travail. (retour)

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