GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Gaza

Nous publions ici la deuxième partie de l’article « Gaza : 8 questions, 8 réponses » de notre camarade Jean-Jacques Chavigné (voir lettre de D&S de la semaine dernière).

3 - Les Palestiniens ont-ils le droit de résister à la domination Israélienne ?

Ce droit leur est accordé, comme à tout peuple colonisé, par l’ONU

Intitulée « programme d’action pour l’application intégrale de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », la Résolution 2621 de l’Assemblée générale de l’Onu a été votée le 12 octobre 1972.

Elle déclare notamment : « Réaffirmant que tous les peuples ont le droit à l’autodétermination et à l’indépendance et que l’assujettissement des peuples à la domination étrangère constitue un grave obstacle au maintien de la paix et de la sécurité internationale (…) :

1- Déclare que la persistance du colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations représente un crime qui constitue une violation de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et des principes du droit international

2- Réaffirme les droits inhérents des peuples coloniaux de lutter, par tous les moyens nécessaires dont ils peuvent disposer, contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance. »

Il est difficile d’être plus clair. Les peuples coloniaux ont le droit de lutter « par tous les moyens nécessaires » contre les puissances coloniales et la résolution condamne le colonialisme « sous toutes ses formes ».

Israël est une puissance coloniale

Une puissance coloniale qui pratique un colonialisme de peuplement

Il est nécessaire, pour comprendre les relations entre Israël et la Palestine, de les intégrer dans une histoire plus générale de la décolonisation et non de les analyser en termes de luttes entre deux nationalismes ou d’une guerre de religion opposant Juifs et Musulmans.

Israël est une puissance coloniale qui, pour reprendre les termes de la résolution 2621 de l’Onu « réprime les aspirations à la liberté et à l’indépendance » des Palestiniens.

Israël occupe Jérusalem-Est et la Cisjordanie depuis 1967. La bande de Gaza dont le port et l’aéroport ont été détruits et interdits de reconstruction est formellement « indépendante » » mais subit depuis huit ans un blocus terrestre, maritime, aérien qui la laisse sous l’entière dépendance d’Israël malgré l’évacuation, très médiatisée, de 8 000 colons israéliens, en août 2005. Israël va même jusqu’à contrôler et bloquer, selon son bon plaisir, le paiement des droits de douanes qui devraient être versés à l’Autorité palestinienne. Israël est reconnu comme « occupant » de la bande de Gaza par l’Onu et la Cour internationale de justice de La Haye.

L’historien australien Patrick Wolfe considère que l’Etat d’Israël pratique un colonialisme de peuplement dont le but premier n’est pas d’exploiter les autochtones mais de les remplacer en les expropriant de leurs terres. Il estime qu’Israël se retrouve face à deux développements possibles : soit continuer l’expulsion des autochtones, soit l’apartheid. Il précise que dans le cas israélien, il n’y a pas forcément d’étanchéité entre ces deux possibilités. Israël est le seul pays au monde qui se refuse à fixer ses frontières et la logique d’expulsion est donc toujours possible.

C’est bien cette politique qui avait continué à être mise en œuvre lors de la guerre de 1967 : 250 000 Palestiniens étaient alors venus s’ajouter aux 800 000 déjà expulsés en 1948. Cette politique continue aujourd’hui avec la politique du « fait accompli » d’Israël qui étend continuellement ses colonies et annexe de plus en plus de territoire palestinien au moyen de routes de contournement et du « mur » de séparation. Dès la fin de l’agression israélienne sur Gaza, en août 2014, Israël a décidé, malgré les protestations des États-Unis, de s’approprier 400 nouveaux hectares de terre en Cisjordanie, dans les environs de Bethléem.

Cette politique vise, aussi, à morceler la Cisjordanie et à rendre impossible la création d’un État palestinien viable. Elle vise, enfin, à amener les Palestiniens à se décider à « choisir » l’exil en leur rendant la vie quotidienne de plus en plus insupportable. Pour y arriver, Israël multiplie les check-points en Cisjordanie, les incursions militaires, le blocus de Gaza, l’accès de plus en plus difficile à l’eau, aux produits alimentaires de base, aux soins... Les opérations meurtrières successives contre la bande de Gaza : « Pluies d’été » en 2006, « Plomb durci » en 2008-2009, « Piliers de défense » en novembre 2012 et « Bordure protectrice » en 2014, ont bien évidemment, aussi, pour fonction de conduire les Palestiniens à se demander si leur vie ne serait pas plus paisible ailleurs.

Une puissance coloniale fondée sur un double mythe

1er mythe : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre »

Pendant des décennies, l’État d’Israël a nié l’expulsion des Palestiniens des terres qu’ils occupaient en 1948 et affirmé que la Palestine était « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Les nouveaux historiens israéliens, Benny Morris et Lian Pappe(1) notamment, ont mis à mal ce mythe et établi que la guerre de 1948, avait provoqué l’expulsion de 800 000 Palestiniens.

2e mythe : Le retour à la « terre promise » par Dieu à Abraham

À la veille de sa visite en France, Ariel Sharon déclarait (Le Figaro du 22 juillet 2005) : « La Bible est plus forte que toutes les cartes politiques ». Mais si la Bible est plus forte que le droit et la politique, pourquoi n’en serait-il pas de même pour le Coran ? Il est urgent de rompre avec cette logique religieuse suicidaire.

La question du terrorisme

Israël, particulièrement depuis le 11 septembre 2001, n’a cessé de brandir l’épouvantail du « terrorisme » pour tenter de disqualifier ces adversaires, d’abord le Fatah puis le Hamas.

La plupart des dirigeants des luttes anticoloniales ont été taxés de « terrorisme » avant que leurs pays accèdent à l’indépendance ou que l’apartheid soit mis à bas. Ce fut le cas des dirigeants du FLN algérien, du FNL vietnamien, comme de Nelson Mandela, futur prix Nobel de la Paix.

Certains dirigeants israéliens, et non des moindres, n’ont pas été en reste. Menahem Begin dirigeait l’Irgoun Zvaï Leoumi, qui a commis l’attentat de l’hôtel King David de Jérusalem le 22 juillet 1946 (91 tués !). Cela n’empêchera pas Menahem Begin de devenir premier ministre d’Israël et prix Nobel de la paix. Le « groupe Stern » fut (notamment) responsable de l’assassinat du représentant des Nations unies pour le Moyen-Orient, le comte Folke Bernadotte. Ce lourd passé de « terroriste » n’empêcha pas son dirigeant, Yitzhak Shamir, d’occuper le poste de Premier ministre d’Israël d’octobre 1983 à septembre 1984 et d’octobre 1986 à juillet 1992.

La notion de « terroriste » est donc relative, sans véritable base juridique en droit international, et varie souvent en fonction des intérêts politiques des grandes puissances, en particulier ceux des Etats-Unis. Ces derniers avaient armé les Talibans dans leur lutte contre l’URSS mais le jour où ils se sont retournés contre eux, ils sont devenus des « terroristes ». Les combattants kurdes, les Peshmergas, étaient, hier encore, considérés comme des « terroristes », ils sont aujourd’hui devenus les héros de la lutte contre l’ « Etat islamique ».

Le Hamas

Il est tout à fait possible de n’éprouver que fort peu de sympathie pour le Hamas, comme pour tout mouvement « intégriste », qu’il soit islamique, chrétien ou juif.

Il faut bien constater, cependant, qu’Israël n’a laissé aucune chance aux mouvements laïques de libération de la Palestine et notamment au Fatah. Non seulement il les a dénoncés comme organisations « terroristes » et leur a fait subir une lourde répression militaire et policière mais il n’a fait aucune concession à l’OLP de Mahmoud Abbas au cours de plusieurs années de « négociations ». Israël n’a jamais rien cédé, ni sur le statut de Jérusalem, ni sur le sort des réfugiés palestiniens, ni sur l’instauration d’un Etat palestinien indépendant et viable. Il n’a cessé, au contraire, d’étendre la colonisation en Cisjordanie, de construire le « mur de séparation» au mépris du droit international, de maintenir les « check points » qui pourrissent la vie des Palestiniens... C’est donc sciemment qu’Israël a permis au Hamas de se hisser à la place qu’il occupe.

Il faut bien constater, aussi, que le Hamas est, aujourd’hui, la principale force de résistance à la domination coloniale israélienne et qu’en 2006, il avait gagné les élections législatives palestiniennes (Cisjordanie, bande de Gaza, Jérusalem-Est). Il avait alors emporté, avec 74 sièges sur 132, la majorité absolue au Conseil législatif palestinien. 900 observateurs internationaux avaient attesté de la régularité de ces élections.

Si Israël voulait creuser un fossé entre la population de Gaza et le Hamas, il a échoué. C’est l’inverse qui s’est produit. Uri Avnery, militant pacifiste et ancien membre du Parlement israélien (la Knesset), expliquait les raisons de cet échec(2). Après avoir décrit le point de vue des principaux médias d’Israël pour qui l’armée israélienne ne s’attaquait qu’à des cibles « terroristes », même quand elle tuait des civils, il rendait compte du point de vue des Palestiniens : « Vues par des yeux arabes, les choses apparaissent sous un jour quelque peu différent. Le Hamas est un groupe patriotique, combattant avec un courage incroyable contre des forces considérables. Ses combattants ne sont pas une force étrangère insensible aux souffrances de la population, ils sont les enfants de cette population elle-même, membres de ces familles qui se font actuellement tuer en masse, élevés dans ces maisons que l’on est en train de détruire… »

4 - Israël a-t-il le droit de protéger sa population ?

Israël a non seulement le droit mais le devoir de protéger sa population, tout comme il a, selon le droit international, le devoir de protéger la population palestinienne qui, aussi bien dans la bande de Gaza qu’en Cisjordanie, est sous sa domination.

Tout le problème est donc de savoir comment Israël peut, à la fois, protéger sa population et la population palestinienne.

La réponse n’est pas militaire : l’armée israélienne n’est pas une armée « pleine de retenue »

Le respect du droit international n’a jamais été un problème vital pour Israël. Cependant, pour pouvoir continuer à bénéficier des livraisons d’armes et du soutien politique, diplomatique, financier des grandes puissances, en particulier des États-Unis, il lui faut donner l’illusion que son armée agit avec une grande humanité, qu’elle est une « armée morale », « pleine de retenue ».

Cette image, propagée par le gouvernement israélien et son armée et, malheureusement, reprise par les principaux médias en France et dans le monde anglo-saxon est une pure fiction.

Daniel Levy, ancien négociateur israélien sous Yitzhak Rabin et Ehud Barak n’hésite pas à déclarer : « La propagande israélienne - car s’en est une- qui consiste à dire que nous faisons tout pour éviter les victimes civiles est tout simplement un énorme mensonge »(3)

Yehuda Shaul, fondateur de l’ONG israélienne « Breaking the silence », une organisation de soldats israéliens, vétérans ou en activité, va dans le même sens en déclarant : « Plomb durci(4) a été la première offensive au cours de laquelle nous avons utilisé des techniques et tactiques de guerre contre des civils, délibérément. En Cisjordanie, l’armée effectue un travail de police, plus violent sans doute. Mais c’est très différent des tactiques de guerre, où vous envoyez l’avion bombarder, et où l’infanterie vient seulement après pour finir le travail »

Il souligne la raison de cette nouvelle tactique : « Limiter les risques de pertes dans nos rangs ». Selon ce spécialiste, l’armée israélienne, si « pleine de retenue », si « morale », n’hésite donc pas à employer des tactiques de guerre qui font tant de victimes civiles dans le but d’épargner ses propres soldats.

Yehuda Shaul illustre, avec précision, les conséquences de cette tactique dans l’utilisation de l’artillerie : « Les tirs d’artillerie font énormément de dégâts et sont très peu précis, des obus, qui représentent l’équivalent de huit tonnes de TNT, tuent dans un carré de 50 mètres sur 50, et blessent dans un rayon de 150 mètres (…) Les règles d’utilisation sont simples : vu les dommages que cela produit, on ne tire pas d’obus d’artillerie à moins de 350 mètres de nos propres troupes, 250 s’ils sont dans des tanks. Pendant « Plomb durci », l’ordre était de ne pas tirer à moins de 25 mètres des habitations ! (…) Vous comprenez maintenant comment des écoles de l’ONU ont pu être atteintes… »

L’État israélien a toujours présenté ses offensives meurtrières contre les Palestiniens comme des opérations défensives, des ripostes à des attentats ou à des tirs de roquettes. Lors de l’opération « Bordure protectrice » (une appellation défensive pour une nouvelle opération d’agression), Israël n’a pas manqué à la règle et a, comme d’habitude, aussitôt oublié un chaînon essentiel dans l’escalade de la violence. Ce chaînon, en l’occurrence, était l’opération « Gardiens de nos frères » qui a causé la mort de 12 Palestiniens, l’arrestation de plusieurs centaines de personnes en Cisjordanie et la destruction de plus de 1 000 maisons et immeubles. C’est la violence de cette opération qui a provoqué la riposte du Hamas.

La réponse ne peut-être que politique

La réponse à la question comment protéger à la fois la population israélienne et la population palestinienne ne peut donc être militaire. Elle ne peut être que politique.

Au bout de 47 ans, les Palestiniens n’acceptent toujours pas l’occupation israélienne. Chaque combattant palestinien, chaque civil tué par l’armée israélienne, chaque humiliation infligée par les forces d’occupation, en Cisjordanie ou à Gaza, suscitent de nouvelles vocations de résistance. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi, à moins d’expulser tous les Palestiniens, un « crime contre l’humanité » selon le droit international.

Le fond du problème, c’est la politique de colonisation pratiquée par l’État d’Israël. C’est cette politique qui est la cause de l’insécurité permanente ressentie par la population israélienne et, dans de toutes autres proportions, par la population palestinienne. C’est à cette politique qu’il faut mettre fin.

La solution politique passe par la négociation avec le Hamas car c’est avec ses ennemis que l’on négocie. C’est ce que souligne Esther Benbassa, Sénatrice EELV : « Le Fatah aussi était considéré comme terroriste, et puis il y a eu les accords d’Oslo. Il faudra bien se mettre un jour avec le Hamas autour d’une table, sans quoi il n’y aura pas de paix »(5).

L’agression militaire israélienne a été un échec politique pour le gouvernement de Benjamin Netanyahou qui a été obligé de négocier le cessez-le-feu aujourd’hui en cours avec le Hamas. Il faut maintenant qu’il continue à négocier avec le Hamas, comme avec le Fatah, pour arriver à un accord politique global.

Les 6 autres parties du texte de notre camarade Jean-Jacques Chavigné ont été publiées dans le numéro de septembre de la revue Démocratie&Socialisme et chaque semaine dans la lettre de D&S.

  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (1/5)
  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (2/5)
  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (3/5)
  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (4/5)
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    L’article en PDF

    (1): Lian Pappe « Le nettoyage ethnique de la Palestine » Fayard – 2004. (retour)

    (2): Uri Avnery « Rencontres dans un tunnel » - 5 août 2014 – AFPS. (retour)

    (3): Déclaration rapportée par Thomas Cantaloube « Israël contre le reste du monde » - Mediapart – 6 août 2014. (retour)

    (4): Agression de l’armée israélienne contre la bande de Gaza en 2008-2009. (retour)

    (5): L’Humanité – 31 juillet. (retour)

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