GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Élections allemandes du 22 septembre 2013 La Grande Clarification

Nous publions ici un article de notre camarade Mathieu Pouydesseau, installé à Berlin, et membre du PS et du SPD. L’enseignement du scrutin fédéral, c’est que sans union de TOUTES les gauches, il n’y a pas de perspective de majorité de gauche en Allemagne. C’est la nouvelle feuille de route, et c’est le SPD qui va porter l’historique responsabilité de structurer et rendre possible cette alternative.

Le verdict des urnes est tombé. Le gouvernement sortant a été battu, mais Merkel triomphe ! Le bloc Union et le SPD sont les deux seuls partis à progresser en voix et en sièges. Les populistes anti-Euro manquent l'entrée au Bundestag pour 90 000 voix, le FDP libéral le quitte pour la première fois dans son histoire pour 30 000 voix.

La Gauche a la majorité absolue en sièges, mais nécessite une refondation complète ; le projet SPD-Verts échoue à construire une majorité, le positionnement des Linke et par rapport aux Linke est au cœur de la refondation à venir.

L'Europe peut et doit devenir le marqueur du clivage entre deux visions antinomiques de la société.

Quelle que soit l'alliance qui gouvernera – l'Europe sera le champ de bataille. Car toutes les avancées sociales que la Gauche souhaitait dans cette campagne – introduction d'un salaire minimum (8,5 € horaire pour le SPD, 10 € pour les Linke) et encadrement des emplois précaires et des mini-jobs, arrêt de la prime aux mères au foyer pour investir dans le système de crèches et assistantes maternelles, réforme des retraites pour abaisser l’âge de départ pour les catégories populaires, relance de l'innovation notamment pour la transition énergétique et de la consommation – ont in fine un rôle pour mettre fin aux déséquilibres en Europe.

Les Résultats :

Résultats électoraux, Élections fédérales allemandes de 2013, source wikipedia

CDU, le parti d'Angela Merkel : 34,1%

CSU, son allié catholique bavarois : 7,2%

Union : 41,5% et 311 sièges, soit une progression de 8% et d'une centaine de sièges

SPD : 25,7% et 192 sièges, + 2,4% et + 62 sièges

Linke : 8,6% et 64 sièges, - 3% et – 12 sièges

Verts : 8,4% et 63 sièges, - 2,3% et – 6 sièges

La gauche totalise ainsi 18 690 174 suffrages à 42,76 %, contre 18 157 256 suffrages et 41,54 % pour l'union CDU-CSU.

Près de 15% des suffrages ne seront pas représentés au Bundestag.

Les libéraux du FDP, alliés au gouvernement d'Angela Merkel, perdent 10 points et tous leurs élus, à 4,7%. 30 000 voix manquent pour atteindre la barre des 5%.

L'Alternative pour l'Allemagne (AfD), parti populiste anti-Euro, réussit pour sa première élection 4,6% et manque la sensation de peu.

Les Pirates, qui avaient réussi à entrer dans 4 parlements régionaux depuis 2011, stagnent au niveau national à 2,2%.

Les néo-nazis du NPD enfin réussissent avec 1,4% à atteindre le minimum de 1% requis pour recevoir le financement public des partis.

Les divers rassemblent encore près de 1,5%.

Analyse politique :

À droite :

Angela Merkel a profondément transformé l'agenda politique de la CDU. D'un parti profondément néolibéral, la CDU s'est déplacée vers le centre, gommant toute position clivante pour apparaître comme le partenaire indispensable à la construction de consensus.

La politique économique de Merkel entre 2009 et 2013 est marquée en Allemagne par le souci d'acheter la paix sociale, sur le dos des Grecs et des Espagnols. La CSU est le garant pour satisfaire la clientèle nationale-conservatrice : prime au maintien des mères au foyer siphonnant les budgets pour le développement des crèches, campagne sur la création de péages autoroutiers réservés « aux étrangers ».

L'espace ouvert à droite est béant. Le FDP ne l'a pas compris, et n'en a pas profité. C'est aussi ce qui a permis l'éclosion de l'Alternative pour l'Allemagne, parti populiste national-libéral, dont le message s'est construit sur une analyse économique de l'Europe et de l'Euro.

L'addition cependant d'un électorat vieillissant anti-impôts, de l'électorat anti-Euro et du NPD montre qu'une alliance populiste sur le modèle FN français, FPÖ autrichien ou Wilders hollandais, a un potentiel à 10-11% en Allemagne.

À gauche :

Le SPD a été traumatisé par la défaite de 2009. L'agenda 2010, notamment sa composante en politique sociale et économique, était une trahison de l'électorat traditionnel du parti et des alliés syndicaux. Cette désaffection n'a pas été compensée par un gain sur l'électorat des classes moyennes et supérieures – le pari social-libéral, la stratégie « Terra Nova » pour utiliser une comparaison française, est un échec politique, social et économique.

Sigmar Gabriel, bien qu'issu de l'aile droite, fut un adversaire de Gerhard Schröder au sein du SPD régional de Basse-Saxe. En héritant de la présidence du parti, il comprit que ce qui manquait au SPD était une vision stratégique pour se reconstruire. Il en a proposé une au Conseil national de Francfort, ainsi qu'aux congrès de Berlin et de Dresde : Mitte-Linke, Centre-gauche, ce qui pour un SPD qui s'inscrivait dans un « Neue Mitte », Nouveau Centre, est un gauchissement.

Si le travail programmatique a permis d'établir l'une des plate-formes politique les plus à gauche du SPD depuis la réunification, la perte de substance militante et l'absence de renouvellement à la direction laissent des déficits structurels difficiles à combler.

Passer de 800 000 militants en 1998 à moins de 460 000 en 2013 c'est aussi perdre le maillage du territoire, vivre sur l'engagement de militants dévoués mais vieillissants, se déconnecter des mouvements sociaux et syndicaux par manque de présence locale.

Knut Lambertin, dirigeant syndical DGB et vice-président de l'aile gauche du SPD, me disait dimanche soir : « Gabriel est le seul à avoir cette perspective stratégique. Mais nous sommes dans un état tellement critique, il nous faut plus de 4 ans pour nous reconstruire. Et Gabriel doit rester pour mener ce travail, car il le comprends, il fait ce travail de reconstruction, section par section, fédération par fédération ».

Ce travail sera difficile en entrant dans une grande coalition avec l'Union.

L'aile droite la souhaite, persuadée que c'est sa seule chance pour survivre au sein du parti. L'aile gauche y est opposée, et organise une consultation interne sur le sujet des alliances.

Hilde Mattheis, réélue députée et leader de l’aile gauche, s’est déjà déclarée dans la première réunion du nouveau groupe parlementaire SPD – dans lequel l’aile gauche a augmenté sa représentation – prête pour l’option de nouvelles élections anticipées.

Ralf Stegner, un autre porte-parole de l’aile gauche, a déclaré : « Nous devons être une vraie alternative, et non pas la version gentille de la CDU ».

Le consensus au sein du parti est plutôt à rester dans l'opposition, laissant Merkel gouverner en minorité, et construisant un projet de nouvelle majorité – éventuellement avec les Linke et les Verts – capable de prendre le relais à tout moment.

Le danger ici serait de voir Merkel refuser une telle voie, et tenter de forcer de nouvelles élections en novembre-décembre, recherchant une majorité absolue seule.

Les Verts ont aussi porté l'Agenda 2010. Ceux-ci ont continué une évolution économique libérale, se ralliant aux politiques de l'offre. La contradiction entre leur positionnement et leur électorat cependant est intenable à terme. Ces contradictions sont apparues dès 2011, avec des résultats électoraux brillants gâchés par des scissions dans les groupes écologiques régionaux.

Les Verts n'ont pas su offrir une plate-forme crédible et alternative au projet libéral. Leur médiocre résultat, perte de 2 points par rapport à 2009, mais score inférieur aux Linke et à presque 8 points des sondages de l'été 2011, les plonge dans une profonde crise de leadership, de positionnement, de programme. C'est la raison principale pour laquelle un projet de majorité de gouvernement à gauche est improbable, la raison pour laquelle Angela Merkel ne souhaite pas gouverner avec eux.

Les Linke sortent affaiblis en voix et en sièges des élections (-3%, perte de 12 sièges), et pourtant, ils en sortent renforcés sur la scène politique. Malgré des contradictions aussi profondes qu'au sein des Verts, notamment entre l'aile syndicaliste issue des scissions du SPD en Allemagne de l'Ouest, violemment opposée au moindre compromis avec le SPD, et l'aile ex-communiste issue du PDS est-allemand, dominée par des pragmatiques ayant déjà gouverné avec le SPD au sein d’exécutifs régionaux, le parti a réussi à s'établir comme incontournable pour construire l'alternative à Angela Merkel.

Le principal défi est analogue à celui du Front de gauche : faut-il accepter de soutenir un gouvernement dominé par des figures sociales-libérales pour obtenir des avancées sociales, ou bien refuser la compromission de la participation gouvernementale ? Le parti a t-il vocation à gouverner ou à articuler une position tribunitienne ? Ce sont des débats aussi vieux que le mouvement socialiste, aussi pertinents en Allemagne qu'en France.

Beaucoup de Linke espèrent la reconduction d'une Grande Coalition pour pouvoir attaquer le SPD et grossir à son prix. D'autres espèrent que le SPD fera le choix de rester dans l'opposition pour créer les ponts nécessaires à la construction d'un projet de majorité plurielle. Cette ambivalence rend cependant la constitution dès 2013 d'un gouvernement d'union de la gauche très difficile.

L'Europe :

Le nouveau paysage politique allemand renforce en apparence Angela Merkel. Cependant, parce qu'elle n'a plus de majorité, parce qu'elle n'a pas de pression de son aile droite à redouter et à instrumentaliser, elle en devient plus vulnérable en Europe.

Le SPD ne la soutiendra plus sur l'Europe. La campagne a montré que Steinbrück gagnait des points en attaquant Merkel sur l'Europe. Le succès du parti anti-euro AfD, qui frôle les 5% nécessaires à une représentation parlementaire, est aussi un signal fort. La bataille politique va se gagner sur le front européen, qui conditionne d'ailleurs tous les autres fronts sociaux et économiques.

Conclusion :

Le gouvernement sortant a été sorti, la chancelière triomphe, mais ce pourrait être une victoire à la Pyrrhus.

La clarification est particulièrement saine pour la gauche : sans union de TOUTES les gauches, il n'y a pas de perspective de majorité en Allemagne. C'est la nouvelle feuille de route, et c'est le SPD qui va porter l'historique responsabilité de structurer et rendre possible cette alternative.

Espérons que le SPD saura aussi se renouveler, structurellement et personnellement, pour conduire la Gauche allemande et européenne dans ce chemin.

C’est aussi une bonne nouvelle pour nous : la voie Schröder est définitivement enterrée. La Gauche allemande est dans l'état de la Gauche française en 1993, avant la constitution du projet de majorité plurielle.

C'est donc une chance unique de voir la Gauche européenne retrouver son identité et sa mission historique qui s'ouvre aujourd'hui.

Mathieu Pouydesseau

Bureau Fédéral et Conseil Fédéral FFE (section de Berlin)

Mandataire Maintenant la Gauche FFE

Membre de Forum DL21 (SPD)

Initiateur de l’appel Pour une autre Europe

Berlin-Londres, le mardi 24 septembre 2013.

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