GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Du rêve au cauchemar

De leurs socs, ils ont forgé des glaives : Histoire critique d’Israël

Arno J. Mayer.- Paris : Fayard, 2009.

Le 9 mai dernier, Hashek écrivait sur le forum général du site de « Démocratie socialisme » :

« Encore un autre regard : l’historien luxemburgo-usaméricain d’ascendance juive Arno Mayer, « De leurs socs, ils ont forgé des glaives ». Il est bien plus critique que les « meilleurs » auteurs français. »

Il vaut la peine d’y jeter un coup d’œil.

La manière dont l’auteur se présente dans la préface est des plus alléchantes : « Je me reconnais dans la définition du « Juif non juif » d’Isaac Deutscher(1), qu’il situe « sur les limites entre différentes civilisations, religions et cultures nationales », dont « les influences culturelles diverses se croisent et se fertilisent réciproquement » (p.11). » Ce choix le place d’emblée au cœur du monde réel, au centre même d’un carrefour dont l’ensemble des perspectives permet une vision universaliste, à mille lieues des points de vue étriqués martelés à satiété par les médias dominants. On ne peut que s’en réjouir, et regretter au passage que ce cas de figure ait apparemment échappé à l’analyse essentialiste (et donc idéaliste, au sens philosophique du terme) de Gilad Atzmon(2).

Le fil conducteur de l’histoire narrée par Arno Mayer (le premier chapitre ne s’ouvre qu’à la page 155) comprend un leitmotiv dont la fonction consisterait à rappeler que le sionisme politique comportait dès son origine un courant prenant en compte l’existence des Palestiniens et mettant en avant la nécessité d’une entente, plus, d’un « vivre ensemble » avec eux, représenté notamment par les noms d’Ahad Haam, Judah L. Magnes et Martin Buber, et d’autre part un courant niant, puis, devant l’évidence, cherchant à se débarrasser des habitants présents de Palestine par tous les moyens, y compris (devenu surtout) la force, dont le pionnier fut Vladimir Jabotinsky, « hybride de Gabriele D’Annunzio et de Benito Mussolini (p.206). » Arno Mayer raconte comment cette seconde orientation, « plaçant toute sa confiance dans le glaive et l’action unilatérale », partie de la droite la plus extrême, a inexorablement contaminé « toute l’élite politique et stratégique d’un bout à l’autre de l’échiquier politique. David Ben Gourion, Golda Meir, Yitzhak Rabin et Ehoud Barak l’ont adoptée tacitement ; Menahem Begin, Benjamin Netanyahu, Ariel Sharon et Ehoud Olmert l’ont approuvée sans équivoque (p.33). »

Tout au long de ces chapitres, et sans, à nul moment, perdre de vue le contexte économique et politique mondial, ce que d’aucuns célèbrent comme une épopée se présente comme une tragédie dont même les auteurs ne sortent pas indemnes. Les Palestiniens vivent indubitablement un enfer. Et le rêve de ceux qui croyaient en un Israël devenant « un phare qui éclaire le monde (p.68) » s’est transformé en cauchemar. Imprimée en italiques, la fin abrupte de l’ouvrage confirme cette impression : « À quoi bon poursuivre ce récit alors que les idées, les problèmes et les actions demeurent immuables ? J’ai donc entrepris de rédiger les Prolégomènes thématiques, dont la perspective se situe tout à la fois à long terme, à court terme, et dans l’instant présent… (p.618) »

Il s’agit d’une invitation claire à revenir (ou à se rendre, pour ceux qui auraient sauté les préliminaires) au texte long et touffu qui précède le chapitre I. Il s’agit d’un appel à se réveiller, à ouvrir les yeux, et à ne pas prendre pour argent comptant ce que prétend la propagande en démocratie. Il s’agit de rappels tant historiques que géopolitiques. N’en citons que trois :

  • Sur les civilisations de l’islam et du christianisme : « N’importe quelle comparaison entre l’histoire de l’islam et du Proche-Orient et celle du christianisme et de l’Occident accordera à ces derniers la palme de l’inhumanité de l’homme contre l’homme : les croisades, l’Inquisition, les guerres de religion, les guerres napoléoniennes, deux conflits mondiaux, le judéocide, Dresde, Hiroshima – et la liste n’est pas close (p.42). »
  • Sur l’Iran : « Affirmer que l’Iran constitue un danger imminent pour Israël, pour le Proche-Orient et pour le monde relève de la contrevérité flagrante. L’état de préparation du pays est une réponse à des menaces extérieures qui ne datent pas d’hier et qui vont croissant (p.141). » Faut-il rappeler que l’Iran moderne, quels que soient les régimes qui l’ont dirigé, n’a jamais attaqué ses voisins ?
  • Et que choisir pour le troisième ? Les réfugiés palestiniens ? Les colons dans les territoires occupés ? L’emprise d’une caste politico-militaire qui n’hésite pas à s’appuyer sur les intégrismes religieux pour conforter son pouvoir ? L’apparition d’une « yerida, une descente vers le galuth(3), alors que l’immigration en Israël est en perte de vitesse (p.67) » ?
  • Il semble légitime de poser une question qui, si elle n’est pas formulée par l’auteur, peut néanmoins s’inscrire dans un des prolongements possibles de sa problématique : ne serait-il pas temps de parler de l’impasse éthique du sionisme politique réellement existant ?

    Philippe Lewandowski

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    (1): Historien ayant milité dans l’opposition de gauche en Pologne à la fin des années 1920 et au début des années 1930. Auteur notamment de la première biographie d’envergure de Léon Trotsky. (retour)

    (2): Gilad Atzmon, “ The wandering who ? ”, Winchester Washington : Zero books, 2011. Traduit en français sous le titre : « La parabole d’Esther : anatomie du peuple élu », Paris : Editions Demi-Lune, 2012. (retour)

    (3): L’exil (retour)

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