GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Décolonisation sans fin sur le Caillou (*)

Le 13 mai 2024 Darmanin a présenté à l’Assemblée nationale un projet de révision constitutionnelle relatif au dégel du corps électoral néo-calédonien et ouvrant le scrutin provincial aux résidents installés depuis au moins dix ans sur l’île. Ce projet, adopté par le sénat le 2 avril et par l’Assemblée nationale le 15 mai, devrait être ratifié par un congrès dont la convocation à Versailles est prévue pour le mois de juin. Cette ratification aurait pour effet de rajouter des milliers d’électeurs d’origine métropolitaine a priori favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans l’État français. Les indépendantistes avaient annoncé depuis plusieurs mois qu’ils n’accepteraient pas cette réforme constitutionnelle et c’est le rejet massif de cette proposition de révision, notamment par la jeunesse kanake, qui a déclenché les manifestations du 13 mai, manifestations qui ont mené à des affrontements violents et à une situation quasi insurrectionnelle à Nouméa essentiellement.

Rappel historique

La Kanaky dite Nouvelle Calédonie a été colonisée en 1853 et la première révolte kanake contre le colonisateur a eu lieu en 1878. A partir de 1887, le code de l’indigénat s’applique aux populations autochtones, les dépossédant de leurs terres, leur imposant travail obligatoire, restrictions de circulation et du droit de propriété, taxes spécifiques. Le code de l'Indigénat n’est définitivement aboli qu’en 1947, le territoire conservant officiellement son statut de colonie jusqu’en 1946.

L’or vert, c’est-à-dire le nickel, transforme l’archipel grâce au dynamisme économique et à l’afflux de migrants Européens, ce qui a conduit à l’augmentation de population de 20% en moins de 10 ans dans les années 1970.

A partir de 1984, les tensions entre une population kanake qui veut l’indépendance et les descendants de colons montent en puissance et se transforment en quasi-guerre civile avec plus de 90 morts.

Les accords de Matignon en 1988 et les accords de Nouméa de mai 1998 passés entre l’État, la droite caldoche et les indépendantistes kanaks pour un processus de décolonisation permettent de retrouver une situation de paix et de sortir de la crise.

Ces accords stipulent dans leur préambule : « Il est aujourd’hui nécessaire de poser les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie permettant au peuple d’origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun » (fin de citation) ce qui est une assez bonne définition de ce qu’est une nation. Le préambule poursuit, je cite : « il convient d’ouvrir une nouvelle étape marquée par la pleine reconnaissance de l’identité kanak, préalable de la refondation d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France sur la voie de la pleine souveraineté ».

L’objectif ainsi clairement défini est à terme la constitution à travers un processus pacifique et consensuel d’une nation néo-calédonienne composée des descendants des colons établis depuis des décennies et des populations kanakes autochtones.

Un processus non abouti

Il y a eu suite à cet accord 3 référendums entre 2018 et 2021 pour demander à la population si la Nouvelle Calédonie devait être indépendante. Les deux premiers ont été remportés par le Non avec un score plus serré lors du deuxième référendum. Le 3ème a été effectué dans la période délicate du Covid où les décideurs kanaks avaient demandé un report vu la période de recueillement à cause de la crise sanitaire.

Le gouvernement français n’a pas accepté de retarder le dernier référendum, ce qui va marquer le début de la crise actuelle. Pour rappel un premier référendum a eu lieu en 1987 où déjà les modalités d’organisation avaient été contestées, ce qui montre que les gouvernements français n’apprennent pas de leurs erreurs.

Les 3 référendums ont été effectués dans un cadre de décolonisation, ce qui autorise à prendre un corps électoral restreint (seuls les habitants de longue date peuvent voter pour ne pas fausser la volonté du peuple colonisé par un afflux de colons dans un temps réduit). Comme nous sommes dans un statut de décolonisation un gel du corps électoral a été toléré par la cour de justice européenne en 2005.

Or pour le gouvernement le processus de décolonisation est terminé avec le 3ème référendum, ce qui légitime le dégel du corps électoral car la Nouvelle Calédonie ne serait plus à décoloniser. Bref la fin de la parenthèse…pour la droite coloniale.

Un changement de majorité

Depuis 2021, la majorité au congrès (assemblée délibérante qui vote notamment le budget) résulte d’une alliance entre le FLNKS et l’Éveil Océanien, qui représente la communauté wallisienne et futunienne, issue d’une immigration encouragée par l’État français pour venir travailler dans les mines et les travaux publics ; la présidence de l’exécutif néo-calédonien est assurée par Louis Mapou, militant indépendantiste et dirigeant du FLNKS.

Cette situation est difficilement supportée par la droite calédonienne représentant les grandes familles multimillionnaires qui tiennent entre leurs mains l’essentiel de l’économie et pour qui la perspective d’une Kanaky indépendante tient plus du cauchemar que du rêve.

Le gel du corps électoral prévu par les accords avait pour effet de garantir la majorité démographique à la population kanake (40 % des habitants de l’archipel contre environ 27 % d’Européens).

A l’inverse, la résultante de la révision constitutionnelle voulue par Macron aurait pour effet à terme de renverser le rapport de force démographique au détriment des populations autochtones (elle rajouterait environ 42 000 électeurs).

C’est une offensive politique anti-indépendantiste qui se situe dans la droite ligne de la déclaration de Pierre Mesmer, lequel alors Premier Ministre, écrivait le 19 juillet 1972 à son secrétaire d’Etat aux DOM-TOM : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.

À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés. »

Une place stratégique

La Nouvelle Calédonie représente 25 % des réserves mondiales de nickel, matériau stratégique notamment pour la fabrication des batteries de véhicules électriques ; elle est de plus un point d’appui militaire stratégique pour la présence française dans le Pacifique dans le cadre de la politique commune avec les USA et l’Australie, et est un rempart contre l’expansion chinoise dans le Pacifique. De plus l’indépendance réduirait notablement le domaine maritime revendiqué par la France. Ceci ajouté à la pression exercée par la droite locale, on comprend l’acharnement de Macron à vouloir conserver l’archipel dans le giron de l’État français en rendant irréversible la colonisation.

Et la suite ?

Nous devons aussi tirer des enseignements des accords de Matignon et de Nouméa qui ont donné une autonomie totale sur presque tous les sujets démocratiques tout en gardant les compétences régaliennes et une partie des compétences diplomatiques de l’archipel. Or ce dispositif d’autonomie a surtout permis à la droite de faire une politique libérale et de laisser sur le bas-côté la jeunesse avec un chômage massif. La politique de redistribution n’a pas eu lieu ce qui est un véritable échec et c’est aussi l’une des principales revendications de la population. Comme dans le droit du travail avec le régime de faveur, l’autonomie ne doit pas permettre de faire du moins disant social ou fiscal.

Les accords de Nouméa ont permis de retarder une indépendance de la Nouvelle Calédonie en proposant une autonomie législative large et des consultations sur l’avenir de l’archipel. La sortie de cet équilibre a remis le feu aux poudres avec 7 morts et d’innombrables dégâts matériels qui vont provoquer une crise économique majeure sans aide de l’État. Tout cela pouvait être évité en privilégiant le dialogue et le compromis et en ne prenant pas parti pour la droite locale, mais le gouvernement a préféré l’affrontement ou pire a fait preuve d'incompétence.

Pour sortir de cette crise il faudra de la patience et donner une perspective sur une possible indépendance et aussi une politique sociale ambitieuse pour l’ensemble de la population. Le sénat coutumier de la Nouvelle Calédonie qui garantit les coutumes, l’identité et le droit des Kanaks peut être renforcé dans ses pouvoirs pour contrebalancer un dégel du corps électoral et ainsi de suite. Il faut surtout un nouveau pouvoir en France pour ne plus brutaliser la population et retrouver de la sérénité.

En tout état de cause un retrait du projet de loi est le préalable pour sortir d’une situation bloquée et nous réaffirmons le droit à l’autodétermination de la Nouvelle Calédonie.

(*) La Kanaky-Nouvelle Calédonie est surnommée le Caillou en raison de ses ressources en nickel.

Pour voir la vidéo de l'intervention de notre camarade Catherine Touchefeu (au nom de GDS44 et Ensemble44) au rassemblement unitaire Kanaky à Nantes le 22 mai, cliquer ICI.

 

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