GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

De l’impunité

Nous publions ci-dessous la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski, parue dans Démocratie&Socialisme n°221 de février 2015.

Quiconque prend au sérieux les notions de droit et de justice, et ne les considère pas comme de simples bannières à brandir en fonction des opportunités ou à laisser soigneusement roulées en fonction des objectifs politiques de l’heure, ne peut que se sentir mal à l’aise, voire écœuré, par la manière dont certains crimes et méfaits peuvent indéfiniment se poursuivre. Le Proche-Orient fournit un exemple éclatant de l’élasticité des indignations et des réactions officielles en fonction des victimes et de ceux qu’il faut bien appeler leurs bourreaux. Cela n’est pas systématiquement sanglant, mais c’est toujours d’une violence insoutenable ; et il est si facile de passer de la terre et des biens aux êtres humains.

Impunités

Si le vol des terres palestiniennes s’est, dans de nombreux cas, paré en Israël et dans les Territoires occupés d’une sorte de cache-sexe prétendument juridique, d’autres actions ne jouissent pas (encore ?) d’une telle protection, et doivent donc être entourées par la sollicitude emplie de compréhension bienveillante de la part d’un État soucieux de la sécurité d’une partie soigneusement délimitée de ses ressortissants.

Ainsi, lorsqu’un groupe de fanatiques, souvent armés, projette d’agrandir sa colonie, il commence par tenter d’intimider les Palestiniens qui exploitent les terres qu’ils convoitent. L’intimidation prend diverses formes : raids nocturnes et ratonnades, incendies délibérés, vols ou destructions des récoltes (c’est par centaines de milliers que les oliviers sont arrachés ou sciés). Par prudence, l’armée la plus morale du monde accompagne les colons, et procède à des arrestations d’enfants. En dernier recours, il reste possible de déclarer le terrain zone militaire (un statut temporaire, avant sous-traitance à des civils de même obédience).

La nouvelle implantation alors créée ne tarde pas à obtenir un raccord au réseau électrique.

Et si jamais l’une des victimes s’avise de porter plainte, pas de panique : elle dépend de la justice militaire, alors que ses agresseurs ne relèvent que de la justice civile israélienne.

Ceux que Idith Zertal et Akiva Eldar appellent les seigneurs de la terre sont bien protégés, et les risques qu’ils prennent sont faibles.

Ils ne sont que le reflet d’un État qui bénéficie des mêmes privilèges.

Impunité

La liste des méfaits de l’État proclamé en 1948 serait trop longue à dresser dans le cadre restreint de cette série d’articles. Contentons-nous dès lors d’en rappeler les plus récents et les plus tragiques, en particulier ceux qui durent toujours et se poursuivent, en dépit quelquefois de condamnations sans effet, contrastant violemment avec des encouragements de fait.

Le blocus de Gaza et les trois agressions meurtrières dont elle a déjà été victime prennent ici la première place. Les habitants de cette immense prison en plein air, auxquels de beaux esprits (sic) reprochent régulièrement d’oser se débattre, ne sont d’ailleurs plus seuls dans le collimateur des barbares : des écoles de l’ONU sont ainsi prises pour cibles, des convois maritimes d’aide humanitaire sont assaillis en haute mer, des médecins s’en voient interdire l’accès, une représentation consulaire (française) est bombardée. Autre ignominie : ce sont des entreprises israéliennes qui se remplissent les poches avec l’aide internationale donnée pour la reconstruction. Rien ne se fait pour la levée d’un blocus à la légalité plus que douteuse. Et moins encore pour juger ceux qui en sont coupables. Mais l’arsenal des engins de mort des agresseurs est complaisamment renouvelé par les puissances occidentales.

Le mur de séparation s’est vu, lui, régulièrement condamné par la Cour Internationale de Justice (CIJ) en 2004. Cet avis consultatif demandait à Israël « de cesser la construction du mur, de démolir les parties déjà construites, et de mettre un terme aux restrictions sévères à la liberté de mouvement des Palestiniens vivant en Cisjordanie »(1). Las, plus de 200 km de mur ont été construits après cette condamnation. Le gouvernement israélien ne se soucie guère des protestations verbales, fussent-elles en conformité avec le droit international.

La poursuite ininterrompue de la colonisation constitue peut-être le défi le plus arrogant et le plus permanent de l’entreprise sioniste. Alors que les Palestiniens font l’objet de pressions multiples pour ne pas prendre d’initiatives susceptibles de gêner de pseudo-négociations, les dirigeants occidentaux n’osent même plus exiger le gel de la colonisation de la part de la puissance occupante – et quant-au démantèlement des colonies… – Pardon, qu’avez-vous dit ? – Euh, juste une idée en l’air… - Bon, restons en là.

A contrario

Tous les personnages du drame ne bénéficient pas de la même mansuétude. Lorsque, par exemple, de jeunes Gazaouis, lassés des conditions de vie inhumaines qui leur sont faites ainsi qu’à leurs familles, se disent qu’ils n’ont plus rien à perdre, qu’ils préfèrent, non comme nos canuts de jadis, « mourir en combattant plutôt que de vivre à genoux », mais mourir d’un coup plutôt que de mourir à petit feu (la seule alternative, lorsque tout espoir disparaît), se révoltent et de rage se lancent dans des actions sans perspective réelle, ce n’est pas seulement sur eux que s’abat la répression : en dépit des démentis officiels, les représailles sont indistinctes. La punition est meurtrière et collective.

Il en va de même lorsqu’un membre d’une famille palestinienne des territoires occupés est présumé avoir participé à une attaque contre les forces de sécurité ou les colons ; les autorités israéliennes procèdent alors à des démolitions punitives des maisons de ces familles, en dépit des traités signés :

Ainsi que le rappelle James W. Rawley, coordonnateur humanitaire pour les Nations unies dans les territoires palestiniens occupés, « Les démolitions punitives constituent des violations des normes internationales des droits de l'homme ainsi que de plusieurs instruments juridiques internationaux que l'Etat d'Israël a acceptés, dont l'interdiction de détruire la propriété privée dans un territoire occupé, l'interdiction absolue de sanctions collectives, et le droit à un procès équitable et une procédure régulière, ou encore le droit à un logement convenable. »(2)

En résumé, oppression d’une part, impunité de l’autre.

Le « S » de BDS

Ces dénis de justice sont inacceptables. Exiger qu’ils cessent semble cependant inopérant, le gouvernement israélien, sous protection américaine, ne se préoccupant guère des condamnations officielles. Il faudra donc imposer le retour du droit par d’autres moyens. Et c’est ici que la campagne BDS (Boycott, Désinvestissements, Sanctions) prend tout son sens et prouve son utilité. Si le « S » de BDS apparaît en dernier, il n’en est pas moins important : last but not least, diraient les anglophones.

La chute du mur de Berlin doit être suivie par la chute du mur israélien ; la fin de l’apartheid en Afrique du Sud doit être suivie par la fin des lois discriminatoires en Israël ; le jugement des criminels de guerre des Balkans et du Rwanda doit être suivi par la mise en jugement des criminels de guerre auteurs des massacres de Gaza.

L’impunité ne peut engendrer que le désespoir ou la haine : ce que personne ne saurait souhaiter.

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L’article en PDF

(1):  Centre d’actualité de l’ONU, « Le mur de séparation israélien en Cisjordanie est illégal et constitue un obstacle à la paix, selon Ban Ki-moon », 9 juillet 2014, consulté le 03-01-2015. (retour)

(2): Centre d’actualité de l’ONU, « Les démolitions punitives de maisons palestiniennes par Israël sont des violations du droit international », 4 décembre 2014, consulté le 03-01-2015. (retour)

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