Arjowiggins : de l'argent pour fermer, pas pour produire
Le groupe Sequana, dirigé par Pacal Lebard, comporte deux branches d’activité : la production de papier (les usines Arjowiggins) et la logistique du papier (le groupe Antalis). En 2008, la décision est prise d’arrêter la production de papier et de se concentrer sur la logistique du papier. Avec cette brillante logique que moins on produit de papier en France, plus on a besoin de logistique (stockage et transport du papier). Capitalisme de la misère, misère du capitalisme...
S’ensuivra la fermeture des papeteries Arjowiggins à Wizernes. En 2019, c’est la papeterie de Jouy-sur-Morin (200 salariés) qui fabrique le papier à billets de 150 pays, puis celle de Bessé-sur-Braye (600 salariés) qui sont liquidées. La papeterie du Bouray à Saint-Mars-la-Brière (72) sera, elle, partiellement reprise.
La Banque public d’investissement (BPI) a injecté 250 millions d’euros en dix ans, via des prêts à taux particulièrement élevés (10 à 14 %). Elle est même entrée au conseil d’administration du groupe Sequana et a accompagné, sans mot dire, le démantèlement de l’activité.
Un coup des « 500 familles »
Est-il sérieux de laisser les « 500 fortunes de France » jouer avec l’industrie ?
Pascal Lebard fait en effet partie des 500 familles les plus riches de France. Son père, Daniel Lebard, a fait fortune en liquidant des activités pour les grands groupes, notamment la chimie du groupe Rhône-Poulenc (affaire Rodhia). Quant au groupe papetier Arjowiggins, il appartenait jusqu’en 2008 à la famille Agnelli (Fiat). Pascal Lebard, qui travaillait pour les Agnelli, a pris la direction de Sequana via une holding créée par son père. Puis il a méthodiquement fermé les activités de production de papier en faisant payer à l’État les plans sociaux et les trous dans la trésorerie.
Pour la fermeture de l’usine de Jouy-sur-Morin (77), il a revendu en 2018 l’usine à des fossoyeurs d’entreprise (un fonds d’investissement germano-suisse) déjà condamnés en France pour faillite frauduleuse, avant d’avoir dépouillé lui-même l’entreprise de sa valeur. En effet, trois mois avant la liquidation, il vend les brevets de fabrication des billets de banque au principal concurrent, Oberthur Fiduciaire, dirigé par Thomas Savare (lui aussi membre du club des 500 premières fortunes de France). Il n’a laissé aucune chance aux 200 salariés de Jouy-sur-Morin.
Pour la liquidation de l’usine de Bessé-sur-Braye (72), la direction de Sequana a aggravé elle-même la déconfiture de l’activité en siphonnant la trésorerie alors que l’entreprise était placée en redressement judiciaire. Ce trou dans la caisse, accroissant le passif, a écarté le groupe Lessebo, repreneur potentiel, qui a finalement préféré racheter une usine de production de papier recyclé en Allemagne.
Vers la reprise ?
Aujourd’hui, les salariés, fortement qualifiés, ont élaboré des projets de reprise d’activité écologique.
Les salariés de Jouy-sur-Morin ont amélioré et déposé des brevets de fabrication de papier à base de lin (culture plus respectueuse de l’environnement que le coton) et ceux de Bessé-sur-Braye travaillent à un projet de fabrication de papier recyclé, la pâte nécessaire à cette production étant fabriquée à Tours, à 70 km de là. Les engagements de la COP 21 conduisent à une augmentation de la consommation de papier recyclé. La demande sera donc soutenue. Actuellement, la France achète ce produit en Allemagne ou en Autriche. Mais il n’y a aucun « entrepreneur », aucune banque pour financer ces reprises d’activité. La BPI est aux abonnés absents et Bruno Le Maire... réfléchit sans doute à la prochaine édition d’un de ses livres sur « papier bouffant ».
À Bessé-sur-Braye, dans la Sarthe, à côté de l’intersyndicale, c’est un comité « d’action citoyenne pour l’intérêt général » qui regroupe les salariés, y compris les 120 intérimaires, les sous-traitants, ainsi que des élus politiques locaux, et qui se mobilise pour que l’usine soit relancée. Il a déjà obtenu l’interruption de la vente d’un stock de papier. Alors qu’un repreneur vient de se manifester, il a besoin de faire connaître le projet de reprise. Il veut également que toute la lumière soit faite sur le rôle de la BPI et de Pascal Lebard dans la liquidation de l’usine de Bessé-sur-Braye.
Si, à Jouy-sur-Morin, les salariés ont saisi les prud’hommes pour contester leur licenciement (délibéré le 29 janvier 2020), à Bessé-sur-Braye, l’avocat de l’intersyndicale, Thomas Hollande, a négocié pour les 600 salariés une transaction mettant fin à tout contentieux judiciaire. Un accompagnement qui interroge.
Cet article de notre camarade Anne de Haro est à retrouver dans le numéro de novembre de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
Anne de Haro