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Retrouvez Paul Nizan avec « Les chiens de garde »

Vous souvenez-vous de Paul Nizan ? En dehors de quelques dévoreurs de livres ou d’étudiants en philosophie zélés, peu de gens pourraient répondre par l’affirmative. Pourtant, avec seulement 35 ans de vie, ce philosophe forcené laisse à la littérature française six œuvres majeures et une vie exceptionnelle. Compagnon de Sartre, Beauvoir et Aron à l’École Normale, il est reçu troisième à l’agrégation de philosophie derrière Sartre et Beauvoir. Paul Nizan part à Aden au Yémen en 1925 comme précepteur du fils d’un négociant anglais pour fuir l’ennui et la pesanteur de la société française. « Dernier essai pour trouver une solution individuelle » selon Sartre. Il en ramènera son premier essai, Aden Arabie, que Sartre contribuera à ressusciter. Dans ce récit autobiographique et pamphlétaire, il raconte les désillusions qu’il a éprouvées et y fustige la bourgeoisie, sa culture, sa philosophie et conclut qu’« il ne faut plus craindre de haïr, il ne faut plus rougir d'être fanatique », car « il n'existe que deux espèces humaines qui n'ont que la haine pour lien, celle qui écrase et celle qui ne consent pas à être écrasée ».

De retour en France en 1927, il adhère au Parti Communiste et quitte l’enseignement pour entreprendre une carrière journalistique et littéraire qu’il voit comme un moyen d’énoncer et de dénoncer. Chroniqueur littéraire et rédacteur diplomatique d’abord à L’Humanité puis, à partir de 1937, au nouveau quotidien Ce Soir, journal fondé avec l’argent du gouvernement républicain espagnol pour défendre sa cause, il s’est penché sur tout ce qui compte à un moment où le monde tremble : conflit italo-éthiopien, remilitarisation de la Rhénanie, guerre d’Espagne, l’Anschluss ou les accords de Munich. Sa conception de la presse, à l’image de sa vie, s’exprime dans ses articles au style inimitable. Truculent, il s’indigne, dénonce et use d’une rhétorique caustique pour tout dire, tout livrer aux lecteurs.

En 1932 il publie son deuxième essai qui reste comme son œuvre majeure : « Les chiens de garde ». Dans ce pamphlet philosophique qui vise les philosophes universitaires comme Bergson ou Lalande, il décrit sa vision de la philosophie et des philosophes. Paul Nizan considère qu’il existe deux philosophies : celle de « la connaissance du monde » et celle de « l’existence des hommes ». Il considère la première comme une philosophie « idéaliste », limitée à une étude épistémologique qui ne tient aucun compte des conditions réelles et quotidiennes des hommes (maladie, chômage, guerre, pauvreté, …) Son analyse, tend à démontrer que l’idéalisme de ces philosophes, plus porté par le moralisme que la réalité, n’a de but, finalement, que de justifier les valeurs morales et économiques des classes bourgeoises et leur interdit toute analyse de l’exploitation des classes populaires. Considérant qu’il n’existe pas de philosophie neutre, puisque toute affirmation, toute proposition est une prise de parti, il oppose à la philosophie des « oppresseurs » une philosophie des « opprimés ». La seule philanthropie qui ne lui paraisse pas fausse se trouve dans l'action qui se lie au monde réel, à l'humain, et non à un pseudo-humanisme. L'idée de Nizan rejoint ici la sixième thèse de Karl Marx contre Ludwig Feuerbach, qu'il complète par cette citation de Marx sur le rôle de l'intellectuel, du philosophe et du militant : « Nous ne faisons pas autre chose que lui montrer (au monde) pour quels buts il lutte en réalité. Il faut qu'il acquière la conscience de lui-même, même s'il ne le veut pas. » C'est par une pratique modeste et patiente que s'incarne, selon Nizan, la philosophie marxiste : la moindre assemblée syndicale comporte plus de points d'application de la pensée concrète qui est la véritable philosophie que n’importe quel ouvrage des philosophes bourgeois.

Le reste de ses publications, essentiellement des romans autobiographiques, ne sera qu’une suite de chefs d’œuvre (Antoine Bloyé en 1933, Le cheval de Troie en 1935, La Conspiration en 1938) où il dénoncera, tour à tour, l’aliénation féminine, le fascisme et la bourgeoisie.

En 1938, encensé par la critique, il obtient le prix Interallié pour La Conspiration. Mais ses succès littéraires et son militantisme acharné ne lui valent pas le respect des dirigeants du PC. Paradoxalement, seule la direction du PC reste réservée sur l’œuvre littéraire de Nizan, tant il est vrai que celle-ci sort des clous et de l’orthodoxie du communisme d’alors.

En 1939 paraît son dernier ouvrage Chronique de Septembre. Il y démonte les mécanismes des négociations lors des accords de Munich. La signature du pacte germano-soviétique, la même année, le surprend en vacances. Il rentre aussitôt à Paris et attend la position du Parti qui approuve finalement le pacte. Fidèle à ses convictions anti-fascistes, Nizan démissionne publiquement du PC le 25 septembre 1939. Ce divorce le plongera dans une profonde solitude et une détresse intellectuelle dont il n’aura pas le temps de se remettre. Mobilisé, il continue de militer sur le front, défendant ses idées avec passion auprès de ses camarades. Il est tué à Audruicq le 23 mai 1940 lors de l'attaque allemande sur Dunkerque.

La lecture de Nizan dont l’œuvre est aussi belle et tragique que sa propre vie, rend vivant un temps où la polémique était légitime, l’indignation noble et où les défis du monde se trouvaient contrebalancés par des plumes qui n’hésitaient pas à entrer dans la bataille.

Antony Gratacos

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