GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Premières leçons de Grèce

Le 20 septembre 2015, les Grecs, malgré le désarroi suscité par la conclusion de l'accord du 13 juillet dernier, ont voté Syriza pour redire leur rejet absolu des sbires des créanciers(1) qui ont appliqué sans résistance – et sans vergogne ! – une politique de destruction sociale d'une ampleur inégalée. En reconduisant Tsipras aux affaires, la population hellène a confirmé de la façon la plus éclatante son aspiration au changement, niée par des créanciers qui, selon Romaric Godin, avaient vu dans l'élection de Syriza « la volonté d'une « orgie budgétaire », alors que les électeurs souhaitaient s'attaquer à la racine du mal grec : le clientélisme et le pouvoir des oligarques ». Ce « message de résistance »(2) envoyé par les électeurs, dont l'abstention populaire constitue en quelque sorte le porte-voix invisible, Alexis Tsipras sera bien contraint de l'entendre. Au risque de payer au prix fort sa surdité.

Mauvais présages

Les premières heures du gouvernement Tsipras 2 ont été mouvementées. Un jour à peine après son investiture, le tout nouveau Secrétaire d’État aux infrastructures, Dimitris Kammenos, venu des rangs des Grecs indépendants (Anel), a été contraint de le quitter en raison des nombreuses accusations portées contre lui. S'il était absolument justifié de limoger un ministre connu pour ses propos homophobes, qui a par ailleurs « comparé le plan de redressement proposé par les créanciers européens à […] Auschwitz »(3), il n'en reste pas moins que cette première « crise » ministérielle – qui à première vue a tout de la tempête dans un verre d'eau – illustre la fragilité de la coalition reconduite entre Syriza et les souverainistes d'Anel(4).

Autre fait inquiétant : les ennemis déclarés du peuple grec se félicitent unanimement de la nouvelle donne politique à Athènes. Ainsi, Jean-Claude Juncker, qui avait tant vitupéré contre les négociateurs grecs depuis janvier, s'est empressé de féliciter Alexis Tsipras après sa victoire électorale. Et le président de la Commission européenne de lui glisser aussitôt qu'il y a « beaucoup de travail à faire et pas de temps à perdre ». L'Union européenne n'a pas mis longtemps à mettre la pression sur le nouveau gouvernement grec… L'agence de notation Mody's a quant à elle annoncé qu'il n'était nullement dans son intention, au moins à moyen terme, de baisser la note de la Grèce. Il est vrai qu'en la matière, la Grèce ne peut tomber plus bas, puisqu'une nouvelle dégradation la mènerait au « défaut de paiement imminent » selon l'échelle de notation de Mody's ! Cette voix zélée de la finance étaye toutefois sa position en faisant valoir « l'approbation du troisième plan de sauvetage et l'émergence d'une configuration politique légèrement plus disposée qu'auparavant à la mise en œuvre des réformes »(5). Les militants de Syriza apprécieront… Comme le dit l'adage, quand on a de tels « amis », on n'a pas vraiment besoin d'avoir d'ennemis !

La composition du gouvernement constitue elle-aussi un indice de l'état d'esprit d'Alexis Tsipras. Comme le font remarquer tous les commentateurs, le Premier ministre a décidé de s'appuyer sur les dirigeants qui l'avaient soutenu dans la tourmente de juillet. Mais un fait vaut la peine d'être étudié plus en détail. Comme le signale Adéa Guillot, « aux finances, sans trop de surprises, on retrouve Euclide Tsakalotos l’un des acteurs-clés de l’accord du 13 juillet ». Il s'agit d'un homme aux conviction de gauche bien ancrées, mais il est par ailleurs un de ceux qui ont cherché au début de l'été à « éviter la rupture avec les créanciers du pays, dont il est [...] très apprécié »(6). La reconduction du successeur d'un Varoufakis jugé par la grande presse « fantasque » ou « inconstant » – comprenez intraitable face à l'Eurogroupe – n'est pas forcément un message de combativité envoyé aux institution européennes !

Un seul mot d'ordre : résistance !

Sa nouvelle équipe à peine installée, Alexis Tsipras s'est envolé pour New-York afin de plaider la cause de son peuple auprès du gouvernement américain et à l'ONU. Le Premier ministre grec ne fait pas de mystère sur l'objectif de cette véritable tournée américaine. Il s'agit bien de trouver des alliés dans son âpre combat pour obtenir une restructuration en profondeur de la dette grecque. Si Adéa Guillot du Monde laisse entendre que cette tournée est avant tout pour Tsipras est « une façon de dire aux Grecs qu’ils ne font pas ces nouveaux sacrifices en vain », au moment où les premières mesures du mémorandum sont censées entrer en application, le ton de Tsipras à la tribune des Nations Unies, le 27 septembre, n'en était pas moins combatif. Il y a notamment affirmé qu'il était impossible de « parler de l’extinction de la pauvreté et du chômage sans aborder les moyens pour [...] améliorer l’État-providence qu’on est en train de détruire »(7). Il faut reconnaître que la voie que s'efforce d'emprunter le leader de Syriza est extrêmement étroite. Le FMI a certes poussé l'Europe a accepter de mettre sur la table le dossier de la dette grecque, mais rien ne permet pour l'instant d'assurer que les États-Unis seront prêts à exiger de leurs partenaires allemands qu'ils aillent au-delà du plan acté par l'Eurogroupe.

Tsipras et ses proches semblent donc hésiter entre deux tactiques. Si, officiellement, il s'agit bien, depuis la défaite de juillet, de faire d'un côté des « réformes » – c'est-à-dire d'appliquer le nouveau mémorandum – pour avancer de l'autre sur la restructuration de la dette, reste que le discours du Premier ministre grec à l'ONU indique en creux une autre issue. Car s'il veut vraiment régler la crise humanitaire qui ne manquera pas de sévir de nouveau en Grèce après ces quelques mois de répit, le nouveau gouvernement devra nécessairement organiser une sorte de résistance passive face aux exigences des créanciers. L'expérience nous prouve en effet que l'appétit des requins de la finance est insatiable et qu'ils ne sont pas prêts à lâcher leur proie. D'autant plus que la proie s'est rendue à leurs conditions en abandonnant la seule arme qui lui restait après l'échec d'un mouvement massif de solidarité à l'échelon européen. Cette armée résidait toute entière dans la capacité de Tsipras à renverser la table. Or, nous le déplorons, mais, face à l'odieux chantage de Schaüble et Cie, il a montré au début de l'été qu'il craignait davantage la perspective d'un Grexit que celle de la signature d'un accord dicté par l'Eurogroupe...

Cet été, une première bataille a été livrée et elle a été perdue. Inutile d'y revenir. Pour résister et pour recommencer à avancer, il convient toutefois de le reconnaître. Ce serait également une faute grave que de minimiser la pression qui est mise aujourd'hui sur les épaules de Tsipras et des siens. Les men in black ont de nouveau investi Athènes et ils s'y promènent comme s'ils étaient en pays conquis. L'épée de Damoclès de la « Troïka » se rappelle au bon souvenir du peuple hellène. Cependant, même si Tsipras est tenté de collaborer, la violence du coup d'état permanent de l'Eurozone pourrait bien l'amener à résister à de nouveaux oukases. Jens Weidmann ne vient-il pas de déclarer qu'à l'avenir « la souveraineté ne d[evra] plus permettre aux États membres d’échapper à leurs responsabilités en matière budgétaire » ? Et le président de la Bundesbank de suggérer la création d'une « autorité indépendante » charger d'exercer un sévère « contrôle des comptes publics »(8) !

Dès le 16 juillet, la Vouli a voté une loi instaurant deux nouvelles tranches d'imposition pour les plus fortunés, malgré l'opposition des créanciers considérant évidemment « qu’un taux aussi élevé risquait de favoriser l’exil fiscal »(9). Malgré les pressions titanesques qui s'exercent sur lui, c'est cette voie – celle de la redistribution des richesses – que Tsipras doit suivre s'il veut améliorer le sort des plus fragiles et mobiliser son peuple contre les diktats de la finance.

En Grèce, le combat ne fait décidément que commencer...

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(1): Nouvelle Démocratie ne recueille que 28 % des voix, le Pasok franchit difficilement la barre des 6 % et To Potami chute à 4 %. Voir « Confirmation du refus de l'austérité », Démocratie Socialisme 227, septembre 2015. (retour)

(2): « La Grèce entre en résistance », La Tribune, 20 septembre 2015. (retour)

(3): « Nouveau gouvernement Tsipras : et maintenant ? », Toute l'Europe, 25 septembre 2015. L'ancien Secrétaire d’État s'est toutefois excusé selon Lepoint.fr, 23 septembre 2015. (retour)

(4): La coalition au pouvoir s'appuie à la Vouli sur 155 sièges (145 et 10) contre 162 (149 et 13) entre janviers et août. (retour)

(5): « Moody's maintient la note grecque après les élections », Tribune de Genève, 26 octobre 2015. (retour)

(6): « Tsipras dévoile un nouveau gouvernement de fidèles », Le Monde.fr, 23 septembre 2015. (retour)

(7): « Dette : en tournée américaine, Alexis Tsipras se cherche des alliés », LeMonde.fr, 29 septembre 2015. (retour)

(8): « Renforçons la surveillance budgétaire au sein de l'UE », LeMonde.fr, 30 septembre 2015. (retour)

(9): « Alexis Tsipras a bien tapé sur les plus riches », Liberation.fr, 22 septembre 2015. (retour)

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