GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Poète ET révolutionnaire

En avril 1930 le plus grand poète russe de sa génération Vladimir Maïakovski mettait fin à ses jours à l’âge de 36 ans. 80 ans plus tard sa mémoire reste largement ignorée et son image parfois ambiguë face à la récupération qu’en ont fait les staliniens. Poète de talent, homme épris de liberté, allergique à l’injustice, être ultra sensible il a mis son œuvre au service de ses convictions socialistes sans sombrer toutefois dans le plat réalisme soviétique qui a asséché la culture russe.

La découverte de la poésie… et de la révolution !

Maïakovski est né en 1893 dans une famille modeste sur l’actuel territoire de la Géorgie. Il s’installe à Moscou en 1906 et adhère dés l’âge de 15 ans à la fraction bolchévik du Parti social-démocrate russe !

Au début du XXe siècle, la Russie est une autocratie rétrograde dirigée par le tsar Nicolas II, l’immense majorité de la population est paysanne. Quelques concentrations industrielles existent dans la ville de Saint Petersburg qui a su allumer la mèche ayant embrasé tout le pays en 1905. Sous la direction des bolchéviks et du 1er Soviet dirigé par le jeune Trotski, les ouvriers russes manquent de faire la jonction avec les masses paysannes qui revendiquent le partage des terres et l’expropriation des grands domaines. La répression est impitoyable mais quelque chose a été semé…

Le jeune Vladimir grandit dans cette ambiance d’agitation sociale et politique et prend très jeune le parti des exploités et des pauvres. Il paye le prix de ses engagements en faisant l’expérience durant 11 mois des geôles tsaristes pour propagande social-démocrate.

En 1910, il rentre aux Beaux-arts, il écrit alors ses premiers vers et se lie aux milieux futuristes et avant-gardiste. Ces courants artistiques font voler en éclat les règles académiques de la poésie déjà mise à mal au cours des décennies précédentes. Le jeune Vladimir s’impose rapidement comme le chef de file russe de ce courant novateur mais on sent déjà en lui le personnage tourmenté dans le long texte « Le nuage en Pantalon » en 1914 ou dans « la Flute des Vertèbres » en 1915. Il vient de tomber fou amoureux de la belle Lili Brick, la sœur d’Elsa Triolet (futur épouse d’Aragon), déjà mariée mais si libre et tellement en avance sur son temps.

L’enthousiasme révolutionnaire

Mais la politique n’est cependant jamais loin dans l’existence de Maïakovski. Il dénonce la boucherie impérialiste de la 1ère guerre mondiale dans le poème alors censuré « La guerre et l’univers » en 1916. Le peuple russe lassé d’une guerre meurtrière, les paysans qui réclament toujours avec force la terre à ceux qui la travaillent et les ouvriers marqués par la révolution de 1905 abattent le régime de Nicolas II en février 1917 et se radicalisent au fil des semaines. En octobre, à Petrograd, les bolchéviks qui ont compris en profondeur les aspirations à la paix, à l’égalité et à la justice sociale des masses russes s’emparent du pouvoir.

Maïakovski s’enthousiasme pour l’expérience bolchévik, il soutient le nouveau régime avec fougue et multiplie les conférences à travers la vaste Russie pour éduquer ce peuple asservis sous le joug tsariste depuis des décennies. Un peu à la manière des Montagnards français de 1793, les bolchéviks sont assiégés de toutes parts dés 1918. Les puissances européennes qui craignent la contagion communiste interviennent militairement contre la jeune révolution et la guerre civile se déchaine sur le plan intérieur. Le poète écrit alors, en 1919, le texte 150 000 000 qui évoque la Russie en proie à ces difficultés et ou il redit sa foi dans la révolution victorieuse.

Les déceptions…

Sa passion dévorante pour Lili Brick et leurs séparations-retrouvailles émaillent toute la première moitié des années 1920. Maïakovski sent son amour lui échapper en même temps que la bureaucratisation de l’URSS, sortie essorée de l’épreuve de la guerre civile, confisque le souffle libérateur de 1917. Il sent cette tendance dés 1922 et écrit, en vers, une visionnaire « lettre ouverte au comité central du parti communiste » ou il s’adresse en ces termes à ces camarades : « Que chacun se rajeunissent, dépouille vite son âme aux cheveux gris. Communards ! Préparez une nouvelle révolte dans la future satiété communiste » ! A lire cet appel à retrouver l’esprit originel de la révolution, difficile d’en faire faire, comme certains n’ont pas hésité à l’affirmer, un stalinien féroce !

Très affecté par la mort de Lénine (auquel il dédie une longue fresque) en janvier 1924 puis par sa rupture définitive avec Lili Brick, Maïakovski traine sa mélancolie grandissante et voyage en Allemagne, en France, au Mexique et aux États-Unis. Il sent ses rêves de jeunesse lui échapper au même rythme que progresse la stalinisation du parti et de l’État soviétique. Le rapport de l’artiste avec son pays devient alors complexe : indéfectiblement attaché au caractère libérateur d’Octobre 17 et à l’idéal communiste il est profondément troublé par la médiocrité des bureaucrates staliniens. En même temps, le régime en fait un poète officiel pour mieux le museler et étouffer ses critiques. Pour défendre ses idées, l’écrivain crée la revue « Front gauche des arts » ou il défend un « art de gauche » capable d’éduquer les travailleurs russes par-dessus les bureaucrates mais il reste en marge de l’art prolétarien officiel.

En 1927, pour le 10ème anniversaire de la Révolution il publie le poème « Ça va bien » ou on lit entre les lignes ses critiques du pouvoir stalinien. Deux ans plus tard, il franchit un pallier dans sa critique du régime en publiant la pièce « les Bains » qui est une satire féroce de l’esprit bureaucratique et petit bourgeois qui règne au sommet de l’URSS. La critique officielle l’accable, la pièce est un échec. Depuis sa rupture avec Lili, le poète multiplie les échecs sentimentaux et ne parvient pas à oublier son premier amour. Épuisé et déprimé il se tire une balle dans le cœur le 14 avril 1930. Staline ordonne des funérailles nationales pour mieux récupérer cet esprit libre qui n’a jamais fait allégeance au nouveau maitre du Kremlin et ensevelir sous la censure et l’oubli ses critiques féroces.

La vie de ce grand artiste mérite de sortir de l’ombre en même temps que son œuvre toute entière dévolue à l’amour et à la révolution, les deux grands thèmes maïakovskiens. La belle phrase de Breton «Transformer le monde a dit Marx, Changer la vie a dit Rimbaud. Ces 2 mots d'ordre, pour nous, n'en font qu'un» pourrait résumer l’existence de Vladimir Maïakovski qui, sa vie durant, a inscrit son sillage dans celui de ses deux grands ainés en subversion.

Julien Guérin

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