Leur "crise" n'est pas la nôtre!
« Ce n’est pas la crise de 1929 » nous assurent, en choeur, gouvernements et économistes
néolibéraux. L’expérience a payé affirment-ils : les Etats n’ont pas commis la
même erreur qu’en 1929, ils n’ont pas laissé les marchés s’enfoncer dans la crise et les
banques centrales, les Etats ont fourni au système bancaire toutes les liquidités, toutes
les garanties nécessaires. Cette prétention paraît de plus en plus injustifiée car la crise
économique est déjà là et bien là et la crise bancaire loin d’être achevée, s’aggrave.
Finis les scénarios sur l’« atterrissage en douceur » del’économie mondiale, sur les pays émergents qui pourraient
éviter que ne se généralise la récession. Partout,
les faillites d’entreprises se multiplient, le chômage explose,
les PIB s’effondrent, les déficits et les dettes publiques crèvent
le plafond. Après les banques et la finance, c’est l’économie
réelle qui est touchée de plein fouet.
La récession se généralise à grande vitesse
Après avoir détruit 655 000 emplois en janvier, les Etats-
Unis viennent d’en détruire 651 000 en février. 3,6 millions
d’emplois ont été supprimés depuis le début de la récession
en décembre 2007. Ce pays compte maintenant 12,5 millions
de chômeurs. Des chiffres jamais vus depuis 1974.
Selon le gouvernement chinois « 20 millions des quelques
130 millions de ruraux qui migrent pour travailler ont perdu
leur emploi ou n’en ont pas trouvé ».
En France, 300 000 personnes sont venues (en 2008) grossir
le nombre (officiel) des chômeurs. Mais ce n’est rien à côté
de ce qui se prépare : 90 200 chômeurs supplémentaires en
janvier 2009, deux fois plus qu’en décembre 2008. Les titulaires
des contrats précaires et atypiques sont touchés de
plein fouet par la crise. Encore un bienfait du néolibéralisme.
Les Etats-Unis entament leur 14e mois de récession et leur
PIB s’effondre : -6,2 % en moyenne annuelle. C’est encore
pire au Japon : -12,7 %, toujours en moyenne annuelle.
La zone euro s’enfonce dans la récession : -2,1 % pour
l’Allemagne, -1,8 % pour l’Italie, -1,2 % pour la France, au
4e trimestre 2008. Et Nicolas Sarkozy a le culot de mettre au
compte de sa politique l’effondrement un peu moins rapide
du PIB français. Alors qu’il s’agit exactement du contraire :
ce sont les retraites par répartition, l’assurance maladie, le
Smic, les allocations chômage, les services publics - tout ce
que Sarkozy veut supprimer ou réduire à la portion congrue - qui servent d’amortisseurs à la Crise et ralentissent la chute
du PIB.
Les pays d’Europe Centrale et de l’Est subissent avec violence
le choc de cette crise. Les deux moteurs de leur croissance
économique viennent, en effet, de tomber en panne.
Les investissements de l’Europe de l’Ouest qui s’élevaient à
250 milliards d’euros en 2008 ne devraient pas dépasser 30
milliards en 2009. Quant aux exportations vers l’Ouest qui
représentent près des ¾ du PIB dans certains de ces pays,
elles s’effondrent. Or, les engagements des banques de la
zone euro, notamment des banques belges, suédoises et surtout
autrichiennes, sont considérables dans les banques des
pays d’Europe Centrale et de l’Est. C’est maintenant la
récession qui amplifie la crise bancaire.
Le déficit public des Etats-Unis va s’aggraver de 1750 M en
2009 et s’élever à 12,3 % du PIB. Le chiffre le plus important
depuis la seconde guerre mondiale.
Selon la Cour des comptes, la dette publique française qui
cumule les déficits annuels, devrait atteindre 83 % du PIB en
2010. En 2008, le déficit public annuel représentait 5,5 % du
PIB, plus de 100 milliards d’euros.
La crise bancaire et financière s’accentue
La soif d’argent liquide des banques et des assurances est
inextinguible. Des milliers de milliards de dollars ou d’euros
leur ont déjà été versés ou offert en garantie. Les taux des
banques centrales sont proches du zéro. Mais rien n’y fait,
les banques sont toujours incapables de remplir leur rôle et
leurs pertes s’accumulent.
Le montant des pertes des géants américains de l’assurance
ou de la banque ne cesse d’enfler : AIG, Freddie Mac, Fannie
Mae, Bank of America, City group… Au total, le Président
américain envisage de verser 250 milliards supplémentaires
pour tenter de sauver les banques et les assurances américaines.
Les banques européennes ne vont guère mieux, le géant suisse
UBS, la banque franco-belge Dexia, la banque française
Natixis, la banque britannique Royal Bank of Scotland
annoncent, elles-aussi, des pertes considérables.
Le Figaro du (03/03/2009) apprécie à sa juste valeur l’état
des banques : « La crise s’apparente à un puits sans fonds.
Les différents plans de sauvetage mis en oeuvre depuis un an
n’ont toujours pas permis de l’enrayer (…) le FMI estime
désormais à 2 200 milliards de dollars le montant total des
pertes des banques dans le monde. Plus pessimiste encore,
l’économiste de la New York University, Nouriel Roubini,
parle de 3 600 milliards de dollars ».
La Bourse continue sa propre « descente aux enfers » (terme
revenant de façon lancinante dans les grands médias), même
si quelques soubresauts viennent, sporadiquement, ralentir sa
chute. C’est bien d’un krach qu’il s’agit même s’il s’étale
dans le temps : l’indice Dow Jones a perdu 34 % de sa valeur
en 2008, sa plus mauvaise performance depuis 1931. Il faut
reconnaître que les annonces à répétition de pertes bancaires
abyssales et de la récession qui s’emballe ne sont pas faites
pour rassurer les spéculateurs. Là aussi, la récession amplifie
la crise financière.
Car la crise bancaire (et avec elle la crise boursière) est loin
d’être achevée. Après la vague des « subprimes », deux
autres vagues venues de la finance se préparent. (Il faut absolument,
sur ce sujet, lire l’article aussi lucide que jubilatoire
de Frédéric Lordon « Surtout ne changez rien ! » sur le blog
du Diplo).
La deuxième vague, succédant à celle des « subprimes » est
celle des crédits immobiliers (Alt-A) en principe moins risqués
que les « subprimes » mais que la crise et la récession
ont entraîné dans le même maelstrom. Pour un encours de
1 300 milliards de crédit Alt-A, la banque d’affaire Golden
Sachs prévoit 600 milliards de dollars de pertes pour les
banques américaines. 1 000 milliards si l’on prend en compte
une autre catégorie de crédits, les «options ARM».
Frédéric Lordon souligne ainsi la cruauté de la situation :
«La perspective d’un deuxième service alors que la finance
gît encore la tête dans la cuvette des subprimes a tout du film
d’horreur ».
La troisième vague est celle de tous les autres excès d’endettement
: crédits auto, LBO, cartes de crédit…
Une quatrième vague, venue quant à elle de l’économie réelle,
a déjà commencé à amplifier la crise bancaire. C’est celle
des créances d’entreprises. Jusqu’à ce que se déclenche la
récession, ces créances étaient (pour la plupart) des créances
saines, parfaitement recouvrables.
Mais la crise, les faillites en chaîne d’entreprises transformant
nombre d’entre elles en créances pourries, irrécouvrables
et amplifie la crise bancaire.
Créer des «banques poubelles»
pour sauver le système bancaire!
La nouvelle solution miracle passerait par la création de
«banques poubelles», tout un symbole, qui permettrait
d’isoler les actifs « toxiques » ou « avariés » des banques
dans une structure spécifique financée essentiellement par
des fonds publics. Jamais la volonté de nationaliser les pertes
n’a été aussi prégnante, aussi évidente…
Cette solution avait été d’abord retenue par le plan américain
de sauvetage des banques. Quelques semaines plus tard,
l’Etat fédéral changeait son fusil d’épaule. Aujourd’hui, il
revient à la première solution. Ce qui illustre à merveille le
désarroi dans lequel se trouve la finance américaine mais
aussi européenne qui va avoir recours aux mêmes expédients.
Il n’est pas sûr du tout que cette solution fonctionne.
Théoriquement elle devrait permettre aux banques, débarrassées
de leurs créances pourries et donc de la nécessité de
mobiliser des capitaux pour faire face à ces risques de pertes
financiers, de jouer pleinement leur rôle de prêteur aux entreprises
et aux ménages. Mais c’est sur les Etats que les problèmes
sont reportés et les sommes mobilisées atteignent une
telle ampleur qu’il n’est pas sûr que ces Etats puissent assumer
leurs engagements. La solution sera alors, afin d’éviter
la banqueroute, de repasser la patate chaude aux banques
centrales qui financeront la dette (comme à chaque fois) en
laissant filer l’inflation. Malheur alors aux salariés, aux
retraités, aux chômeurs, à tous ceux dont les revenus ne sont
pas indexés sur l’augmentation (convenablement mesurée)
des prix.
Une «régulation» des marchés financiers
dont il n’y a rien à attendre
Pendant ce temps, les actionnaires et les dirigeants des
banques continuent à se gorger d’argent. Les actionnaires de
la BNP Paribas qui vient de recevoir une aide publique de 2,5
milliards d’euros, se distribuent 900 millions d’euros de dividendes.
700 millions de dividendes seront également distribués
aux actionnaires de la Société générale après que la
banque ait reçu 1,7 milliard d’euros de fonds publics.
Libération du 05/02/09 après l’audition des six dirigeants
des principales banques par la Commission des Finances de
l’Assemblait Nationale résumait clairement la situation :
«Les banquiers aux députés : on va verser des dividendes,
on reste dans les paradis fiscaux et on vous emmerde ! » Et
c’est à ces gens-là que le G20 qui se réunira en avril prochain,
souhaite confier la « régulation » de la finance !
La City de Londres s’estime déjà suffisamment réglementée
et se plaint du « harcèlement » qu’ont à subir les fonds spéculatifs.
La Suisse s’obstine à vouloir distinguer « fraude fiscale
et évasion fiscale » pour protéger son secret bancaire.
L’UDC, partie de la droite nationaliste demande même que
le secret bancaire devienne un principe inscrit dans la constitution
suisse. Partout des voix s’élèvent pour affirmer qu’il
faut règlementer mais « pas trop » de crainte de tuer « l’innovation
financière ». Une « innovation » qui a pourtant largement
contribué à nous plonger jusqu’au cou dans la crise
actuelle.
Il ne faut donc mieux ne rien attendre du G20, pourtant
annoncé comme un nouveau « Bretton Woods » du nom de
la conférence internationale qui avait, en juillet 1944, instaurée
un nouveau système monétaire international. De toute
façon, quelques soient les décisions prises par cet organisme,
elles ne pourraient pas changer grand-chose à la crise bancaire
actuelle. Elles ne pourraient, au mieux, si le G20 décidait
de changer radicalement de politique, qu’empêcher les
suivantes.
Qui paiera les frais de la crise ?
Patrick Artus, dans le Bulletin de Natixis (Special Report du
27 janvier 2009) examine les statistiques disponibles et
constate une réaction extrêmement forte des entreprises qui
multiplient les plans sociaux pour maintenir leur profitabilité.
Une réaction dont la rapidité tranche avec les récessions
précédentes.
La politique de Sarkozy leur a grandement facilité la tâche en
favorisant la précarité, le chômage partiel, en supprimant des
dizaines de milliers d’emplois dans la fonction publique, en
rendant les heures supplémentaires moins chères que l’embauche,
en se refusant à augmenter le Smic ou à poser la
moindre entrave aux « droits » des licencieurs dont beaucoup
prennent prétexte de la crise pour sortir les plans sociaux
qu’ils avaient depuis longtemps dans leurs tiroirs.
Les grands médias commencent à souligner l’ampleur du
déficit prévu pour la Sécurité sociale fin 2009 : 15 milliards
d’euros. Ils oublient de souligner que ce chiffre est dérisoire
comparé aux sommes (360 milliards d’euros) accordés aux
banques mais réaffirment ainsi que la Sécurité sociale (assurance
maladie, retraite, politique familiale) reste l’une des
cibles privilégiées de Sarkozy.
Il n’y a donc aucune ambiguïté : le patronat et le gouvernement
ont déjà décidé qui devrait payer la crise. Non pas les
responsables de cette crise, les banquiers, les rentiers ou les
employeurs qui ont fait reculer de plus de 100 milliards par
an la part des salaires dans la répartition de la richesse nationale,
mais ceux qui subissent déjà depuis près de 30 ans les
politiques néolibérales : les salariés, les chômeurs, les jeunes,
les retraités.
Il ne reste plus au salariat, à ses syndicats et aux partis de
gauche, qu’à tirer toutes les conséquences de cette véritable
déclaration de guerre.
Jean-Jacques Chavigné