GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Les 50 ans du Manifeste des 343

Nous célébrons cette année le demi-siècle du célèbre manifeste signé par des femmes connues ayant eu le courage de déclarer publiquement, dans les colonnes du Nouvel Obs, avoir eu recours à l’avortement. C’est l’occasion de revenir sur cette histoire riche d’enseignements.

Sous Vichy, la peine capitale était requise contre celles qui se faisaient avorter ou qui avortaient, aggravant ainsi la loi de 1920 qui interdisait l’avortement et l’information sur toute méthode contraceptive afin de « repeupler la France ». Le 30 juillet 1943, M.-L. Giraud est guillotinée dans la cour de la prison de la Roquette pour avoir « aidé » 26 femmes à avorter.

1971 : le Manifeste des 343

Trente ans plus tard, la contraception en France est encore presque inexistante car les décrets d’application de la loi Neuwirth de 1967 la légalisant ne sont pas encore sortis. L’Ordre des médecins (créé sous Vichy) et l’Église catholique s’opposent fermement à tout changement de la loi de 1920. Une chape de plomb continue de peser sur les femmes ... qui avortent quand même dans la clandestinité : les plus riches vont à l’étranger, les autres font encore appel à des « faiseuses d’anges ».

Elles ont donc bien du courage les 343 femmes qui « avouent » avoir avorté, dans un manifeste publié en une du Nouvel Obs, le 5 avril 19711. Car la loi prévoit alors toujours amende et emprisonnement pour cela, le manifeste rédigé par Simone de Beauvoir débute ainsi : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

Après cet acte de désobéissance civile contre une loi inique, aucune des 343 ne sera poursuivie, protégées de fait par l’ensemble des femmes très connues qui ont signé.

Charlie Hebdo, la semaine suivante, titrait en Une « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l’avortement ? » et le terme de « salopes » est resté pour le manifeste. Pour Maud Gelly : « Que cette caricature, visant à ridiculiser un homme politique (Michel Debré), ait au contraire laissé à la postérité une insulte machiste pour qualifier ces femmes, est assez significatif de l’antiféminisme qui préside parfois à la réécriture de l’histoire de la lutte des femmes. »

1972 : procès de Bobigny

Cinq femmes y furent jugées : une jeune femme mineure qui avait avorté après un viol, et quatre femmes majeures, dont sa mère, pour complicité ou pratique de l’avortement.

Violée par un garçon de son lycée à l’automne 1971, Marie-Claire, 16 ans, est enceinte. Elle refuse de garder l’enfant et demande à sa mère Michèle de l’aider. Micheline Bambuck pratique l’intervention en posant une sonde. Elles sont dénoncées par le violeur de la jeune fille.

Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir (qui préside alors l’association féministe Choisir) décident avec l’accord des inculpées de mener le procès politique de l’avortement : loin de demander pardon pour l’acte commis, la défense attaquera l’injustice de la loi de 1920, puisque les Françaises qui le peuvent partent en Suisse ou en Grande-Bretagne pour avorter, tandis que les plus pauvres doivent le faire en France dans la clandestinité et des conditions sanitaires déplorables et des conséquences terribles : des milliers de mortes et des dizaines de milliers de stérilités définitives tous les ans.

Ce procès va donc devenir une tribune pour Gisèle Halimi qui déclare : « J’ai toujours professé que l’avocat politique devait être totalement engagé aux côtés des militants qu’il défend. Les règles d’or des procès de principe : s’adresser, par-dessus la tête des magistrats, à l’opinion publique tout entière. Pour cela, dépasser les faits eux-mêmes, faire le procès d’une loi, d’un système, d’une politique. Transformer les débats en tribune publique. Ce que nos adversaires nous reprochent, et on le comprend, car il n’y a rien de tel pour étouffer une cause qu’un bon huis clos expéditif. »

De nombreuses personnalités viennent défendre les inculpées : des scientifiques (Jean Rostand, Jacques Monod, François Jacob), des comédiennes (Delphine Seyrig, Françoise Fabian), des hommes politiques (Michel Rocard), des écrivains (Aimé Césaire et bien sûr Simone de Beauvoir). Le professeur Paul Milliez, médecin et catholique fervent, affirme à la barre : « Je ne vois pas pourquoi nous, catholiques, imposerions notre morale à l’ensemble des Français ». Ses propos en faveur des accusées lui valent en novembre 1972 un blâme du Conseil national de l’Ordre des médecins.

Verdict : la loi de 1920 n’est plus applicable. La jeune fille est relaxée et sa mère condamnée à une amende de 500 francs avec sursis.

1973 : naissance du MLAC

Le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) adopte, en avril 1973, sa charte qui réclame la diffusion d’une information sexuelle, la liberté de la contraception et la liberté de l’avortement. Il regroupe des militant.es du Planning familial, du MLF (Mouvement de libération des femmes) et du GIS (Groupe information santé). C’est un mouvement mixte rassemblant médecins et non-médecins, voulant que l’avortement soit exercé à la simple demande de la femme et remboursé par la Sécurité sociale, en tant qu’acte médical. Le MLAC agira notamment en pratiquant des IVG (grâce à la méthode Karman par aspiration, plus simple et moins traumatisante que le curetage pratiqué jusque-là) et en organisant des avortements à l’étranger où des lois moins rétrogrades existaient.

1975 : loi Veil

Personne ne nie le courage d’une femme de droite qui va défendre cette loi, mais elle est adoptée « à l’essai ». Cette précision est importante : où a-t-on vu jusque-là qu’une loi était adoptée à l’essai ? Ce n’est que parce qu’il y a eu une forte mobilisation en 1979 qu’elle l’a été définitivement. Elle sera élargie et améliorée par la loi Aubry en 2001.

Rien n’est jamais acquis

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Ô combien cette phrase de Simone de Beauvoir est d’actualité, car depuis plusieurs années, bien des régimes veulent revenir sur cette liberté fondamentale. Aux États-Unis cette année, plus de 500 projets anti-avortement sont étudiés. Début mars, le gouverneur de l’Arkansas a promulgué une loi interdisant l’avortement même dans les cas de viol ou d’inceste. La Pologne continue sur sa lancée. Désormais, c’est seulement en cas d’inceste ou de viol, ou si la vie de la mère est en danger, que les IVG pourront être pratiquées. Même si le fœtus présente une malformation, l’IVG est interdite2. Et on ne compte pas les pays où ce droit est encore bafoué alors que 225 millions de femmes dans le monde n’ont toujours pas accès à la contraception.

En France, l’IVG est toujours un parcours de combattantes, on constate qu’il y a de moins en moins de médecins qui veulent les pratiquer, que trop de femmes se rendent encore à l’étranger – quand elles en ont les moyens – parce que le délai légal de douze semaines est dépassé, et les divers confinements que nous vivons depuis plus d’un an ne vont pas arranger les choses, d’où la nécessité d’un allongement à 14 semaines. Cette année, un nouveau Manifeste des 343 a vu le jour, publié dans le JDD et relayé par le Planning familial, lui aussi signé par diverses personnalités du monde du spectacle, des journalistes, des responsables politiques3

Femme avertie…

Certes, l’allongement de deux semaines du délai légal pour une IVG a été rejeté en janvier par la majorité de droite et centriste du Sénat. En février, à l’Assemblée nationale, la droite, en déposant des dizaines d’amendements, a mis un coup d’arrêt à l’examen du texte en seconde lecture au grand dam de la gauche. Mais une chose est sûre : c’est que les femmes seront toujours debout, qu’elles continueront à se battre ici et là pour avorter librement et en toute sécurité et que les jeunes ont repris le flambeau !

Cet article de notre camarade Sybille Fasso (ex-BN du MLAC) a été publié dans le numéro d'avril de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

  1. « Le “Manifeste des 343 salopes” paru dans le Nouvel Obs en 1971 », www.nouvelobs.com/societe.
  2. Voir l’article de Claude Touchefeu dans D&S282, février 2021, p. 16.
  3. https://www.lejdd.fr/Societe/exclusif-le-manifeste-des-343-femmes-qui-exigent-lallongement-des-delais-legaux-dacces-a-livg-4036089

 

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