GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Écologie

L’écologie au pied du mur : le temps de la maturité

La crise sanitaire va s’accompagner d’un recul sans précédent des émissions de CO2. Le coronavirus plus fort que Vandana Shiva et Greta Thunberg. L’arrêt des emplois « non essentiels » questionne en profondeur notre modèle de développement. La pandémie résonne comme un ultime avertissement. Nos sociétés d’abondance compromettent jusqu’à notre sécurité sanitaire.

L’écologie a l’immense mérite d’être transversale au champ politique et par essence internationaliste. La bataille pour le climat et la biodiversité, et maintenant la bataille sanitaire ne peuvent se gagner dans un seul pays. Cela nécessite une coopération globale qui s’accommode mal des frontières et des nationalismes. L’écologie rebat les cartes de notre organisation sociale car elle nous met au pied du mur.

On ne peut continuer comme avant. Jusqu’à maintenant une minorité opprimait la majorité, les riches exploitaient les pauvres, les pays industrialisés asservissaient les deux tiers de la planète mais cette dernière n’en restait pas moins le terrain des luttes sociales nourrissant tous les espoirs d’émancipation à moyen et long terme. Aujourd’hui, ce sont les conditions de vie même de l’espèce humaine qui sont menacées. L’urgence écologique frappe à nos portes et nous prenons enfin conscience collectivement que personne ne pourra échapper au désastre si nous n’arrivons pas à enrayer la destruction méthodique et irréversible de notre environnement. Bref, si nous perdons ce combat, nous perdrons tous les autres et le temps nous est compté.

Une force politique

Cela se traduit aujourd’hui par un discours offensif qui veut faire de l’écologie politique « le nouveau paradigme » autour duquel doit se restructurer l’opposition au « productivisme ». Il s’agit dès lors de redéfinir un corpus idéologique pour construire un parti « capable d’exercer le pouvoir ». Sur le terrain électoral, les résultats sont encourageants avec un score à deux chiffres aux européennes de mai dernier1. Aux municipales, la poussée d’EELV se confirme avec une percée nette dans plusieurs grandes villes du pays2. « La marche du Siècle » a quant à elle réunit 350 000 personnes selon ses organisateurs, un beau succès. L’écologie n’est pas simplement devenue populaire3, elle s’est élevée au rang de vecteur de politisation et de mobilisation incontournable pour de nombreuses générations de militants. Et ce n’est pas la crise sanitaire qui viendra contrarier la nécessité de privilégier les circuits courts, de relocaliser une partie de la production ou encore d’assurer l’autonomie alimentaire des nations afin d’éviter le réchauffement climatique et les grandes migrations, nouveaux défis du siècle. L’écologie politique a donc une immense responsabilité.

C’est pourquoi elle ne doit pas se bercer d’illusions en se plaçant en dehors (ou au-dessus) des rapports de classe. Ce serait sa plus grande erreur. L’écologie politique a tout à gagner en ne reniant pas l’héritage historique du mouvement ouvrier, car elle n’installe pas « un nouveau clivage »4, comme on l’entend parfois, mais renforce plutôt l’opposition séculaire entre capital et travail incarnée par l’opposition gauche/droite. Le concept d’anthropocène doit faire place à celui de capitalocène. L’écologie est l’enfant naturel du socialisme et s’inscrit directement dans son prolongement pour un dépassement du capitalisme plus nécessaire que jamais.

Productivisme ou capitalisme ?

L’écologie appartient à la grande famille du socialisme authentique. Pour s’en convaincre, il faut partir des fondamentaux. Marx termine la livre I du Capital par ces mots : « Le capital épuise la terre et les hommes » qui ne manquent pas de nous interpeller quelque cent cinquante ans plus tard. Ce n’est pas une figure de style pour complaire aux « décroissants ». À l’époque, la crise écologique n’existe pas. Pourtant, Marx anticipe, sans en mesurer l’ampleur, le drame écologique à venir.

Le chapitre, qui clôt significativement la section que Marx consacre à la production de la plus-value relative, s’intitule « Grande industrie et agriculture ». Il peut être résumé par cette citation : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès dans l’art d’exploiter le travailleur mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité »5. Un constat confirmé depuis par l’agronome Claude Bourguignon : « Nous ne faisons plus de culture en Europe, nous gérons de la pathologie végétale. [...] Quand on a commencé à montrer que les sols mourraient biologiquement, on nous a demandé de nous taire »6.

La surexploitation des sols permise aujourd’hui par l’industrialisation de l’agriculture n’est pas une dérive productiviste du capitalisme corrigeable par une fiscalité verte. Le productivisme est endogène au procès de production capitaliste. Marx précise : « Dans l’agriculture moderne de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de la productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail »7. La surexploitation du vivant – qu’il soit humain, animal ou végétal – procède de la même origine structurelle. C’est pourquoi la question écologique reste intimement liée à la question sociale donc à la lutte de classe.

La conquête du pouvoir par le salariat pour le contrôle démocratique de la production constitue le seul débouché politique réellement écologique. Il ne peut y avoir ni d’écologie de droite, ni d’écologie s’autonomisant dans une Maison commune de « tous les partis et mouvements qui mettent l’écologie au cœur de leur projet politique »8, mais une écologie en rupture avec le captalisme. Toute velléité d’« unité nationale » sur le sujet est un leurre qui politiquement subira le destin funeste d’un Nicolas Hulot ou rélève d’un pur opportunisme.

Un devoir de résultats

Il n’y a de limite à l’accumulation du capital que son impossibilité à trouver des débouchés pour écouler une surproduction qui ne peut qu’accentuer le pillage des ressources naturelles entre deux crises financières. Une partie du patronat n’est certes pas insensible aux enjeux environnementaux. Elle pourra prêter l’oreille à certaines revendications écologiques, surtout si cela valorise l’image de marque de ses entreprises. Mais en attendant, comme le déclare sans ambages Patrick Pouyanné, le PDG de chez Total : « Les énergies fossiles représentent aujourd’hui 90 % du mix énergétique mondial. [...] On ne va pas faire disparaître tout cela d’un coup de baguette magique. [...] Ce que les actionnaires veulent assurer, c’est surtout la durabilité des dividendes »9.

Aucune « résponsabilité individuelle » ne peut s’opposer aux objectifs de rentabilité du CAC 40. Aucune force politique ne rendra le capitalisme vert, pas plus qu’elle ne le rendra philanthrope. Ce n’est pas en multipliant les taxes carbone pénalisant les populations les plus pauvres que nous sauverons la planète. Et comme les 1 % les plus riches émettent neuf fois plus de carbone que les 10 % les plus pauvres10, il faut s’attaquer à la racine du problème. La répartition de la richesse est indissociable de sa production responsable et solidaire.

Le temps de la maturité est venu pour l’écologie politique : celui où elle assumera sa nature de classe et affrontera sans détour la question du type de rapport de propriété nécessaire à un nouveau modèle de développement. Elle pourra alors contribuer à rassembler la famille qui est la sienne, la gauche de transformation sociale, à laquelle elle a tant à apporter. L’écologie doit être un élément moteur pour la

cohésion du salariat et de tous les opprimés afin de mener les luttes qui feront accéder la gauche au pouvoir. Elle doit allier urgence et efficacité. Permettre à 8 milliards d’individus de vivre dans la dignité dans un monde fini passe nécessairement par la mutualisation des ressources. Parce que son devoir de résultats demande une autre organisation du travail libérée du rapport d’exploitation, l’écologie est révolutionnaire. En d’autres termes, il n’y aura pas de réponse à la crise écologique sans socialisme.

Cet article de notre camarade Frédéric Lutaud est à retrouver dans le numéro 275 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1.Si l’on comptabilise les voix recueillies par EELV (13,2 %) avec l'apport des listes Urgence écologique (1,82) et du Parti animaliste (2,17), on obtient un total de 17,46 % des voix aux européennes de 2019.

2.Les écologistes seront présents au second tour des municipales dans au moins 122 communes, soit six fois plus qu’en 2014.

3.« La question de la protection de l’environnement a progressé de dix points en un an», selon Gilles Finchelstein, « Nette percée environnementale dans les préoccupations des Français », lemonde.fr, 13 mars 2020.

4.« Le projet écologiste construit un clivage politique nouveau, par-delà les seuls clivages du XXesiècle, qui malgré l’explosion des appareils politiques, restent dominants aujourd’hui», L’écologie est un paradigme nouveau qui bouscule les repères politiques, entretien avec Julien Bayou, Le vent se lève, 2019.

5.Karl Marx, Le Capital, I (1867), 4esection, chap. 15, 10 (https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital -I/kmcapI-15-10.htm)

6.Claude Bourguignon est fondateur du Laboratoire d'analyse microbiologique des sols.

7.Karl Marx, op. cit.

8.« Le Temps de l’écologie », motion soumise aux adhérents à l’occasion du congrès 2019 d’EELV.

9.Le PDG de Total, Ouest-France du 15 janvier 2020.

10.Données de la World Bank’s Global Consumption, 2019.

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