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Le douloureux atterrissage de la croissance américaine

Après neuf ans de croissance ininterrompue, à des taux impétueux depuis 1996 (7 % au dernier trimestre 1999, 5,2 % en 2000 ! ) l'économie américaine connaît aujourd'hui un ralentissement brutal de sa croissance. La plupart des économistes prévoient, au mieux, une croissance de 1,5 % en 2001 après vraisemblablement une récession( une baisse du PIB) au premier trimestre.

Ce ralentissement sera-t-il durable ? Quel pourra être son impact sur l'économie européenne et sur la croissance en France ?

Quelle sera l'ampleur et la durée du ralentissement de la croissance aux USA ?

La baisse du marché des actions des sociétés de nouvelles technologies (le Nasdaq) de plus de 40 % depuis septembre 2000 a déclenché un ralentissement brutal de la croissance aux USA. Après des années d'interrogation sur le degré de brutalité de l'économie américaine, la réponse est là : l'atterrissage est douloureux.

" L'Expansion " du 18 au 31 janvier fait le point sur la situation : les ventes de maisons neuves ont diminué de 9 % au cours de la dernière année, les immatriculations d'automobiles ont baissé de 10 % au cours des derniers six mois, le rythme des hausses de commandes de produits de hautes technologies est tombé de 30 % l'an à 0 % depuis l'été. Les demandes d'allocations chômage augmentent rapidement. Le nombre d'heures travaillées diminue. Des entreprises comme General Motors, Gilette, Whirpool ou Xerox licencient des milliers de salariés.

La plupart des économistes prévoient une baisse de la production au premier semestre 2001 et donc une récession. Tous sont d'accord pour considérer que le taux de croissance, s'il ne devient pas négatif, ne devrait pas dépasser 1,5 % en 2001.

Les avis différent ensuite sur ce qui se passera au 2ème semestre : Stagnation puis reprise de la croissance ? Reprise rapide de la croissance ? Enlisement dans la stagnation ?

En fait, le degré de dureté de " l'atterrissage " dépendra de la façon dont l'évolution des cours boursiers se répercutera sur l'économie réelle. Or, cette répercussion peut emprunter deux chemins.

D'abord celui de " l'effet richesse ". Cet effet désigne le surplus de consommation réalisée par les détenteurs d'actions dont la valeur augmentait continuellement. Si la baisse des valeurs du Nasdaq se communique aux autres actions, leurs détenteurs diminueront leur consommation en fonction de la baisse du cours de leurs actions. Plus cette diminution sera brutale et plus la consommation et donc la croissance s'en ressentiront durement.

Ensuite celui du recyclage des excédents commerciaux européens et japonais qui financent 90 % des investissements réalisés aux USA. Ce recyclage ne peut fonctionner que si les investisseurs européens espèrent que le dynamisme de l'économie US leur permettra de gagner de l'argent. Si ce n'est pas le cas, ils placeront leurs capitaux (out tout au moins une partie) ailleurs. Ce sera la deuxième source de la croissance US au cours des dix dernières années qui tendra à se tarir.

Reculer pour mieux sauter ?

Même si l'économie américaine ne s'enfonce pas durablement, cette fois-ci, dans la récession ou la stagnation, il est évident que ce ne sera que partie remise.

L'économie américaine repose, en effet, sur trois déséquilibres.

Le premier déséquilibre est celui du fossé qui existe entre les cours boursiers et les profits réalisés par les entreprises. La stagnation des salaires a certes permis aux profits d'augmenter de façon considérable. Mais cette augmentation n'a rien à voir avec celle des cours de la bourse qui ont complètement décollé de la réalité. En l'espace de cinq ans, la valeur des sociétés cotées en Bourse avait triplé ! La capitalisation boursière représentait 17 fois les bénéfices annuels en 1995 et 33 fois en 2000 ! La baisse brutale des cours du Nasdaq a contribué à résorber ce déséquilibre. Le cours des actions des sociétés " traditionnelles " reste , cependant, encore très surévalué.

Le deuxième déséquilibre concerne l'endettement des ménages. Les ménages américains n'épargnent plus. Entre 1993 et 2000, le montant de leur dette est passé de 84 % à 102 % de leur revenu. Les ménages, en effet, empruntent pour acheter des actions. Une telle fuite en avant ne pourra pas durer éternellement.

Le troisième déséquilibre concerne le déficit extérieur américain (exportation - importations de produits et de services) : 200 milliards de dollars en 1998, 300 en 1999, 400 en 2000. C'est le reste du monde et tout particulièrement l'Europe et le Japon qui finance l'investissement aux USA. Le jour où ils auront des doutes sur leurs perspectives de profit, il deviendra très difficile pour les Etats Unis de trouver des capitaux pour financer les investissements de leurs entreprises. Il faudra alors que la Réserve Fédérale hausse ses taux d'intérêt. Mais ce serait alors inconciliable avec la relance de la consommation intérieure qui exigerait, au contraire, une baisse de ces taux d'intérêts.

Si l'économie américaine continue sa fuite en avant, ces déséquilibres ne pourront que s'accentuer et, à terme, la chute sera d'autant plus dure et plus dangereuse pour l'ensemble de l'économie mondiale.

La reprise en Europe et en France est-elle menacée ?

La reprise économique en Europe et tout particulièrement en France a eu lieu pour des raisons inverses aux préceptes des libéraux.

Ils préconisent un euro fort. C'est la faiblesse de l'euro par rapport au dollar qui a permis d'enclencher le cercle vertueux de la reprise en stimulant les exportations européennes.

Ils préconisent l'austérité salariale. C'est parce que la part des salaires dans le partage des richesses produites a cessé de reculer entre 1997 et 1999, que la demande intérieure a pu prendre le relais des exportations.

Ils préconisent la réduction des déficits budgétaires comme préalable à la croissance. Mais c'est précisément la reprise économique qui a permis de diminuer le déficit, et non l'inverse.

L'Europe peut parfaitement éviter que le ralentissement de la croissance américaine ne se répercute sur sa propre croissance. Il suffit pour cela que sa demande intérieure (les salaires) augmente pour compenser la baisse des exportations. C'est tout à fait possible car le commerce extérieur des pays européens est surtout un commerce intra-européen (les exportations des pays européens vers les USA ne représentent que 2,5 % de son PIB). C'est possible et c'est indispensable car tout infléchissement de la demande intérieure, dans un tel contexte international, pourrait avoir des effets désastreux.

Or, il y a tout à craindre des libéraux qui dirigent l'Europe et la Banque Centrale Européenne. Dans le contexte économique marqué par l'atterrissage difficile de l'économie américaine, ils peuvent plonger l'Europe dans une récession dans personne ne pourrait prévoir l'ampleur. Ils leur suffiraient d'augmenter les taux d'intérêt, de continuer à préconiser l'austérité salariale et la diminution des déficits publics. Tout cela signifierait , en effet, une baisse de la consommation intérieure européenne au moment où les exportations deviennent plus difficiles. Ce sont déjà ces libéraux qui avaient plongé l'Europe dans la récession au début des années 1990 en obligeant les économies de chacun des pays candidats à l'euro à se couler dans le béton des critères de convergence de Maastricht.

Si on leur laisse les mains libres, le risque est grand qu'ils ne recommencent. Sous la houlette de la Banque Centrale Européenne et de la Commission de Bruxelles, la course à la diminution des déficits budgétaires continue. Ainsi que le rapporte " La Tribune " du 2 février, le président de la BCE, Wim Duisenberg, " a également mis en garde, lors de la conférence de presse qui a suivi le conseil de la banque, contre un dérapage des salaires, au moment où s'ouvrent les négociations dans de nombreux pays ".

La Réserve Fédérale américaine vient de baisser son taux directeur de 0,5 point. Mais Wim Duisenberg s'est refusé à baisser le taux de référence européen (le " Refi "). L'euro reprend donc du poil de la bête face au dollar et les exportations européennes deviennent, de ce fait, plus onéreuses et donc plus difficiles.

Augmenter les salaires et les minima sociaux

La conjoncture actuelle et les risques courus par la croissance en Europe et en France ne peuvent que nous conforter dans les combats que nous menons. Non seulement la nouvelle donne économique (la reprise et l'expansion liées à la conjoncture) exige un partage plus favorable aux salariés des richesses produites mais un tel partage est désormais la condition indispensable de la poursuite de la croissance.

Il est plus que jamais nécessaire, si nous voulons que la croissance et le recul du chômage continuent, de consolider la consommation intérieure en augmentant les salaires, les retraites, les minima sociaux.

Jean-Jacques Chavigné

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