GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Le chômage et sa courbe (1)

Nous publions la première partie d’un article de notre camarade Jean-Jacques Chavigné dans lequel il revient sur la définition et la mesure du chômage. La deuxième partie sera dans la lettre électronique de D&S de la semaine prochaine.

Inverser la courbe du chômage est, depuis son élection, l’objectif que François Hollande affirme s’être fixé. Il avait déclaré un peu rapidement, fin 2012, que cet objectif serait atteint fin 2013. L’actuel président de la République a lié, à plusieurs reprises, sa candidature à l’élection présidentielle de 2017 à l’inversion de cette courbe. Il vient de le réaffirmer en déclarant : "J'ai été candidat pour que nous créions les conditions pour qu'il y ait une baisse du chômage, et il doit y avoir une baisse du chômage. Et s'il n'y a pas de baisse du chômage, vous savez quelles conclusions j'en tirerai"

1. Que signifient les termes « baisse du chômage » pour François Hollande ?

• Son objectif est-il que le nombre de demandeurs d’emploi soit moins important à la fin de son quinquennat qu’au début ?

Ce serait un objectif digne du candidat dont le seul adversaire était « le monde de la finance » et qui affirmait dans ses « 60 engagements » : « Je veux combattre le chômage qui frappe particulièrement les jeunes et les seniors ».

Mais si l’objectif de François Hollande est bien qu’il y ait moins de chômeurs en mai 2017 qu’en mai 2012, le moins que l’on puisse dire est que c’est très mal parti. Même en se limitant aux demandeurs d’emplois de la catégorie A de Pôle emploi (les demandeurs d’emploi sans aucun travail, même très précaire ou en pointillés), le compte n’y serait vraiment pas. Cette catégorie comptabilisait 2,9 millions de demandeurs en juin 2012, elle en compte aujourd’hui 3,6 millions, soit 700 000 de plus.

Suffit-il d’inverser une courbe, un outil statistique, qui se limite à une seule catégorie de demandeurs d’emplois, ceux de la catégorie A ?

L’objectif serait alors atteint si le nombre de demandeurs d’emploi de cette catégorie diminuait de plusieurs dizaines de milliers pendant plusieurs mois d’affilée. C’est vraisemblablement l’objectif de François Hollande. Mais l’atteinte de cet objectif n’allégerait en rien le poids du chômage dans notre pays, car la réalité du chômage de masse est loin de se cantonner aux demandeurs d’emplois de la catégorie A.

2. Le nombre de demandeurs d’emplois de la catégorie A, limité à la France métropolitaine, est devenu le chiffre quasi officiel du chômage

Cet indicateur, repris à l’unisson par la plupart des grands médias, est pourtant une tromperie

D’abord, les chômeurs des régions d’Outre-mer sont rayés de la carte. Ensuite, la catégorie A, créée en 1995, n’a aujourd’hui aucun sens en tant qu’indicateur du chômage. Cette catégorie se contente de comptabiliser les demandeurs d’emplois qui n’ont aucun travail. Cela aurait pu avoir un sens lorsque le CDI à plein temps était la norme à l’embauche. On avait un travail en CDI à plein temps, ou on n’en avait pas. Mais, en 2015, selon l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, 87 % des embauches étaient en CDD, et 80 % de ceux-ci étaient d’une durée inférieure à 1 mois.

Il se développe, autour du noyau des salariés travaillant à plein temps et en CDI, une myriade de travailleurs précaires, de travailleurs pauvres, à la recherche d’un emploi stable, à temps plein. La catégorie A n’est que la pointe émergée de l’iceberg du chômage.

La mesure du chômage au sens du BIT, reprise par l’INSEE, est aussi éloignée de la réalité que celle de la catégorie A

Pour le Bureau international du travail, une personne qui a travaillé au moins 1 heure au cours d’une semaine de référence, à la recherche d’en emploi, n’est pas considérée comme demandeur d’emploi. Une définition à la fois très extensive de l’emploi et très restrictive du chômage !

C’est pourtant, avec un taux de chômage, calculé à partir d’une définition aussi irréaliste, que le Royaume-Uni et ses « contrats zéro heure » ou l’Allemagne avec ses « mini-jobs » à moins de 400 euros par mois nous sont constamment donnés en exemple. Grâce à une multiplication inouïe des salariés pauvres, travaillant en pointillés ou à temps très partiel, le taux de chômage (au sens du BIT) de ces deux pays est légèrement supérieur à 5,3 % de la population active alors que ce taux atteint 10,6 % en France.

• Les catégories A, B, C, D et E de Pôle emploi

Les résultats chiffrés de Pôle emploi sont publiés pour chaque catégorie (A, B, C, D et E), chaque mois, par la Dares, le service statistique du ministère du Travail.

Selon la classification de Pôle emploi, un demandeur d’emploi qui a travaillé moins de 78 heures (cela peut être 1 heure, 10 heures ou 77 heures…) au cours du moins précédent n’est pas considéré comme demandeur d’emploi de la catégorie A, mais de la catégorie B. Un demandeur d’emploi de la catégorie A ne doit pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une seule heure, le mois précédent.

La catégorie C intègre les demandeurs d’emploi ayant une activité de plus de 78 heures par mois. Une personne qui travaille 80 heures par mois mais qui voudrait travailler à plein temps (une caissière de supermarché par exemple) n’est donc pas considérée comme demandeur d’emploi de la catégorie A.

La catégorie D comptabilise les demandeurs d’emplois en stage, en maladie ou en formation.

La catégorie E prend en compte les demandeurs d’emploi en contrats aidés.

Au total, selon les chiffres de Pôle emploi, toutes catégories confondues et en prenant en compte les régions d’Outre-mer, le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 1,7 million depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, pour atteindre 6,5 millions !

• L’ampleur du chômage réel

Il faudrait aller au-delà de toutes les catégories de Pôle emploi pour prendre en compte la véritable ampleur du chômage de masse.

Des centaines de milliers de chômeurs ne s’inscrivent plus à Pôle emploi et ne se déclarent plus comme demandeurs d’emploi lors des différentes enquêtes. Pourquoi le feraient-ils ? Après des années de recherches infructueuses, d’humiliations répétées, ils ont perdu tout espoir de retrouver un travail, en particulier lorsqu’ils ont plus de 50 ans. Ils vont, parfois, rejoindre les rangs des 1,3 million des bénéficiaires du RSA, mais parfois seulement, car à peu près la moitié des personnes qui ont droit au RSA n’en font pas la demande.

Il ne faudrait pas, non plus, oublier les 1,7 million de salariés qui subissent un chômage technique ou partiel.

L’inversion de la courbe du nombre de chômeurs de la catégorie A, si elle avait lieu, serait donc très loin de signifier un recul du chômage de masse.

Elle ne changerait rien à la situation de millions de sans-travail, de précaires, d’intérimaires, de ceux et (surtout) celles à qui est imposé un travail à temps partiel qui ne seraient pourtant pas comptabilisés dans cette catégorie A, instrumentalisée comme miroir aux alouettes.

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