GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

La réélection d’Ada Calau : grandeur et décadence

Élue maire de Barcelone en 2015, Ada Calau était une fierté pour la gauche européenne. Animatrice des mouvements sociaux sur le droit au logement, elle disait vouloir porter l’esprit rebelle de l’Indignation de 2011 au cœur des institutions pour engager un changement radical. Sa réélection, il y a quelques jours, à la tête de la municipalité barcelonaise, laisse pourtant un goût amer.

Le 26 mai dernier, l’indépendantiste de gauche Enrique Maragall était arrivé en tête de l’élection avec 21,3 % des voix et dix conseillers municipaux. En deuxième position on retrouvait la maire sortante avec ses 20,7 % dix conseillers). Le Parti socialiste catalan (PSC, le PSOE catalan) obtenait lui huit conseillers, la liste de Valls six, les indépendantistes pro-Puigdemont cinq et le Parti populaire deux.

Pendant la campagne, Ada Calau proclamait : « Je ne ferai pas d’alliance avec les forces de droite comme le sont indiscutablement Ciudadanos et monsieur (sic) Valls ». À l’issue des élections elle affirmait vouloir gouverner avec le PSC et l’ERC. Chacun de ces deux partis lui proposaient un accord de coalition.

L’alliance avec l’ERC aurait pu être l’union des républicains, celles des partisans du droit à l’autodétermination (dont elle se revendique). Cette alliance aurait permis l’élection d’Enrique Maragall, arrivé en tête de l’élection. Elle aurait sans nul doute constitué un véritable point d’appui dans la bataille pour la libération des prisonniers politiques catalans.

Contre cette perspective, le PSC a proposé d’investir Ada Calau maire à condition qu’elle rompe avec l’ERC. Mais l’alliance PSC/Barcelona en Commu (« Barcelone en commun ») n’avait pas de majorité. C’est alors que Valls a rappelé que la priorité de toute sa campagne était de barrer la route aux indépendantistes catalans. Pour éviter l’élection de Maragall, il annonçait voter pour l’investiture d’Ada Calau sans contrepartie (soit disant, dirions-nous !).

Oubliant ses engagements de campagne, sûre d’avoir ainsi la majorité, elle fit voter aux militants sa candidature au poste de maire et l’accord avec le PSC. 30 % des militants votèrent contre, refusant de se prêter à cette forfaiture.

Laissons maintenant la parole à Antoine Rabando, un militant de gauche qui a publié sur son blog Mediapart1 une analyse dont nous partageons, malgré des désaccords sur certaines formulations, les grandes lignes.

« Les socialistes lui ont imposé le « ou avec les indépendantistes de l’ERC (arrivés en tête), ou avec nous (arrivés 3e) ». Exit immédiatement la célèbre équidistance que pourtant elle a osé revendiquer dans son discours aujourd’hui : « ni indépendantisme, ni unionisme ». Ballotée par la logique du système, Ada Colau nous a ainsi donné la preuve de ce que sous-tendait le « ninisme », ménageant la chèvre catalaniste et le chou espagnoliste, adopté lors des événements d’octobre 2017. Quand l’heure du choix, pulvérisant tout entre-deux, se fait incontournable, c’est l’espagnolisme, l’idéologie du régime en place, qui a ses faveurs ! Car, ne l’oublions pas, le PSC – à l’instar du PSOE, son parti-frère – s’était aligné sur le putsch du 1552 et soutient aujourd’hui la légitimité de l’emprisonnement des dirigeants catalanistes et du procès qui leur est intenté. Pour bien mesurer la débâcle morale et politique des Communs3, il convient de rappeler que c’est en protestation contre le soutien des socialistes à la violente répression exercée envers les participants au référendum d’autodétermination que Ada Colau avait, courageusement, pour le coup, rompu la coalition avec eux qui lui donnait la majorité municipale. [...]

L’Ada Colau d’aujourd’hui a bel et bien tué l’Ada Colau d’hier... […]

D’ailleurs, sitôt élue, elle a pu apprécier l’avertissement de ce Valls dont nous ne connaissons que trop, en France, ce qu’éthique et respect de la parole valent pour lui : « Sans nous, vous ne seriez pas maire ! ». Simple et sec comme un coup de trique : merci de vous être mis à ma merci ! Le vieux renard politicien connaît parfaitement l’arithmétique électorale du pouvoir de blocage, dans son cas, pimenté de nuisance, que peut avoir un minoritaire envers celui ou celle qui est devenu.e son obligé.e... [...]

Comme Valls, dans la logique du mépris qu’affichent, envers ceux qui trahissent, les bénéficiaires de la trahison, le dirigeant du PSC a tenu à rappeler à Ada Colau, que désormais il fallait négocier un accord de gouvernement strictement « paritaire » !

Mais ce qui a le plus mis en relief ce naufrage politique aura été la présence à cette investiture du conseiller indépendantiste récemment élu, prisonnier politique libéré, pour cette occasion, Quim Forn4 et son interpellation : « Vous savez aussi bien que moi que votre réélection obéit à une opération politique orchestrée par ceux que vous vous plaisez à appeler “les puissants”. Vous avez été l’instrument utile de ces “puissants” que vous aimez tant critiquer quand vous êtes en campagne électorale ».

La foule rassemblée devant l’enceinte du conseil municipal pour accueillir avec tous les honneurs le célèbre prisonnier politique ayant recouvré la liberté pour ce bel exercice de dignité politique, en a profité pour relayer cette dénonciation de l’infamie du jour. Très symbolique de la situation, c’est une place, la Place Sant Jaume5 qui, au cri de « Honte à toi, Ada Colau ! », aura rappelé la rupture de celle-ci, recluse derrière les murs du pouvoir auquel elle a cédé son intégrité indignée, avec l’esprit du célèbre mouvement des places de 2011* !

En 2015, c’étaient les partisans d’Ada Colau qui, enthousiastes, occupaient le lieu. Aujourd’hui, débordés par le nombre des indépendantistes, ils étaient inaudibles... »

* Selon un sondage réalisé entre le 8 et le 11 juin, la majorité des électeurs des Communs et de ceux de ERC (le parti indépendantiste majoritaire en voix) étaient favorables à une entente entre les deux partis et rejetaient toute accord avec le PSC. Exactement ce que proposait ERC aux Communs. Une notable discordance, à coût politique élevé, semble donc exister entre le feu vert des militant.e.s qu’a reçu Ada Colau pour mener l’opération qui l’a réinstallée à la tête de la mairie de Barcelone et les vœux de son électorat exprimés dans ce sondage (NdA).

Notes de la rédaction

1.  https://blogs.mediapart.fr/antoine-montpellier/blog/150619/ada-colau-nouveau-maire-merci-valls-merci-les-socialistes-adieu-lindignation.

2. L’article 155 de la Constitution de 1978 dote le gouvernement central d’un mécanisme pour contrôler les communautés autonomes qui manquent aux obligations imposées par la Constitution et par les lois, ou qui attentent gravement à la cohésion de l’État espagnol. Celle mesure d’exception a été mise en œuvre pour la première fois par le gouvernement de Mariano Rajoy en octobre 2017, à la suite du référendum en Catalogne et de la déclaration unilatérale d’indépendance formulée par la président de la Généralité, Carles Puigdemont.

3. L’auteur évoque par ce terme les partisans de la liste Barcelona en Commu menée par Ada Colau.

4. Joaquim Form (né en 1964) est un indépendantiste proche de Carles Puigdemont, qui l’a nommé au poste décisif de conseiller à l’Intérieur en juillet 2017. Il est emprisonné depuis le 2 novembre de la même année.

5. La Place Saint-Jacques est le cœur administratif de la capitale catalane. Le palais de la Généralité et la mairie de Barcelone s’y font face.

 

 

 

 

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