GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

La reconquête du Parti Travailliste par ses militants

Depuis quelques semaines un petit vent frais souffle dans les rangs parti travailliste britannique. En pleine campagne interne pour la désignation du nouveau leader du parti, tous les militants de gauche regardent avec espoir les débats outre-Manche.

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Après la défaite retentissante d’Ed Miliband en mai dernier et la réélection triomphale des conservateurs à la tête du gouvernement, beaucoup de travaillistes semblent vouloir ouvrir une nouvelle période pour leur mouvement.

Le blairisme, une impasse idéologique… et électorale !

Converti aux thèses néolibérales après sa prise de contrôle par les proches de Tony Blair en 1994, le parti travailliste sort politiquement et idéologiquement essoré de ces vingt dernières années. Coupant le parti de ses racines ouvrières et populaires, Tony Blair avait fait du New Labour le parti de la City, totalement aligné sur l’impérialisme américain en politique étrangère et au service exclusif de la finance en politique intérieure. Surfant sur la démoralisation d’un mouvement social mis à genou par Margaret Thatcher dans les années 1980, Tony Blair a pu ainsi se poser comme l’incarnation d’une gauche prétendument moderne durant ses deux mandats à la tête du Royaume-Uni de 1997 à 2007. Battus par David Cameron en 2010 les travaillistes comptaient se refaire une santé en désignant à leur tête Ed Miliband. Incapable de rompre avec le blairisme, Miliband ne fut jamais en mesure d’incarner une réelle alternative. La politique d’austérité agressive de Cameron inscrivant largement ses pas dans celle de Blair et Gordon Brown, le parti travailliste dans l’opposition s’est trouvé ainsi pris à son propre piège. Lors des élections législatives du mois de mai dernier les travaillistes ont été balayés dans leurs bastions traditionnels. Les classes populaires, n’attendant plus rien de leur ancien parti, se sont réfugiées dans l’abstention dans les grandes villes industrielles du Nord de l’Angleterre tandis qu’elles basculaient massivement en faveur du SNP (Parti National Écossais) dans des terres où les travaillistes recueillaient jadis leurs meilleurs scores. Les quatre millions d’électeurs perdus sous le gouvernement Blair ne sont pas retournés aux urnes. Le SNP, mouvement indépendantiste et récemment converti à l’anti-austérité n’a laissé au parti travailliste qu’un seul siège sur ses terres. Après un telle claque électorale, l’interrogation semble donc de mise dans les rangs de la gauche britannique.

Le retour du mouvement social

Ne nourrissant plus aucune illusion à l’égard de Blair et de ses successeurs, et en l’absence d’un réel parti de gauche alternatif, beaucoup d’électeurs de gauche ont longtemps continué d’apporter leurs suffrages au New Labour, mais l’argument de l’efficacité électorale vient de tomber. En parallèle, le mouvement social britannique s’est réveillé ces dernières années. Les coupes drastiques dans les budgets publics, les menaces du gouvernement d’interdire le droit de grève dans la fonction publique, les privatisations et l’état de délabrement des écoles et hôpitaux publics ont conduit les salariés à reprendre le chemin de la lutte sociale. Travailleurs du métro de Londres en lutte contre le travail de nuit, cheminots en grève pour de meilleures conditions de travail, fonctionnaires défilant par milliers contre les coupes massives en juin 2014, mouvements réguliers dans les petites entreprises pour de meilleurs salaires : la classe ouvrière a montré que son cadavre, que Thatcher et Cameron croyaient avoir piétiné pour toujours, bougeait encore.

Jeremy Corbyn, ou le chemin vers la gauche ?

Cherchant une issue politique à ce regain de combativité beaucoup de militants travaillistes déçus ou résignés se sont saisis de la candidature de Jeremy Corbyn. Élu député en 1981 dans une banlieue ouvrière du nord de Londres, jamais lâché par ses électeurs depuis, ce partisan d’un travaillisme traditionnel a su saisir cette opportunité et remobiliser la base sociale de la gauche. Faisant résonner dans ses meetings des accents d’un discours que l’on entendait plus depuis des lustres en Grande-Bretagne, sa campagne pour prendre la tête du parti travailliste rencontre un écho grandissant. Syndicalistes, jeunes précaires, fonctionnaires paupérisés, travailleurs sacrifiés sur l’autel des cours de Bourse c’est à eux que Corbyn s’adresse en priorité. Défendant une hausse des salaires et une grande réforme fiscale frappant les plus riches, prônant la fin des privatisations et la renationalisation des postes et des chemins de fer et rappelant son attachement et sa volonté de redonner toute sa place au système de santé public et gratuit mis en place par le gouvernement travailliste en 1945, Corbyn puise ses références et son discours dans la longue et riche tradition du socialisme de gauche britannique. Laminé par Blair, la gauche travailliste relève la tête et des milliers d’anciens militants écœurés se sont réinscrits pour participer à la victoire de Corbyn. Dans son film L’esprit de 45 le grand cinéaste militant Ken Loach avait admirablement rappelé en 2012 les grandes conquêtes sociales obtenues par les travailleurs britanniques après la seconde guerre mondiale dans la foulée de la victoire électorale travailliste.

Sentant la situation leur échapper et la dynamique en faveur de Corbyn irrésistible, alors même que la réforme de la place des syndicats dans le parti au profit d’un fonctionnement « un homme, une voix » avait précisément pour but de favoriser les candidats les plus centristes, la vielle garde blairiste met en garde les militants contre « l’archéomarxisme » et tente désespérément de mobiliser ses réseaux, suscitant une campagne « all but Corbyn » mobilisant jusque Blair lui-même, sorti de sa retraite pour l’occasion. Une victoire de Corbyn le 10 septembre prochain serait une lueur d’espoir dans un contexte européen morose après le mémorandum imposé par les institutions européennes au peuple grec. Bien que cette possible victoire reste limitée et partielle par bien des aspects elle n’en marque pas moins le réveil de la gauche au cœur d’une grande puissance économique continentale.

La reconquête du parti travailliste par d’authentiques militants de gauche serait le signe que l’austérité est contestée du sud au nord de l’Europe et qu’une alternative politique s’enracine dans tous les pays européens. Dans un récent meeting tenu aux Pays de Galles Corbyn s’exprimait ainsi : « Je n’ai aucune honte à me dire socialiste, je n’ai aucune honte à être lié au mouvement syndical. C’est juste la première page d’un nouveau chapitre qui commence ». Nous soutenons d’ores et déjà Corbyn dans sa volonté de reprendre le drapeau d’un socialisme retrouvant enfin toutes ses couleurs.

Photo : Rwendland

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