Jeremy Corbyn réélu triomphalement : et après ?
La victoire triomphale de Jeremy Corbyn, réélu leader du parti travailliste ce weekend, consacre le désaveu de ses opposants internes. Corbyn a été reconduit dans ses fonctions par les adhérents et sympathisants avec une majorité supérieure à celle obtenue il y a un an (62% contre 38% à son opposant Owen Smith). C’est une défaite cuisante pour l’aile droite blairiste qui n’a jamais accepté qu’un membre de l’aile gauche prenne la direction du parti. Il est frappant de constater combien cette aile droite, si hégémonique il y a quelques années, est aujourd’hui sur la défensive : sans stratégie crédible, sans idées nouvelles, sans leader (depuis le retrait de la vie politique de David Miliband).
Une opposition sévèrement battue
Mais il s’agit surtout du désaveu d’une large majorité de député-es qui avait censuré leur leader un an à peine après sa victoire à l’été 2015. Il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce vote de défiance. L’opposition parlementaire était plus large que le cercle des droitiers “blairistes”. Il faut noter aussi que l’opposition à Corbyn ne repose que partiellement sur des désaccords politiques et idéologiques. La plupart des membres démissionnaires du Shadow cabinet reprochent à Corbyn son impréparation, la gestion chaotique et dilettante de l’appareil, sa faible disponibilité et de médiocres prestations parlementaires. Que ces critiques soient fondées ou pas, elles recoupent en tout cas l’appréciation générale du public.
Owen Smith, candidat malheureux contre Corbyn, n’est pas un blairiste. Il est issu de la soft left (gauche modérée) du parti. Il a montré, pendant la campagne, certes sous la pression de Corbyn, qu’il pouvait se positionner à gauche du blairisme. Certaines de ses propositions comprenaient la fin des exonérations d’impôts sur les entreprises, l’amélioration du droit du travail (Tony Blair n’a jamais remis en cause les lois anti-syndicales ou anti-droit social prises sous Margaret Thatcher), interdiction des contrats à zéro heure ou encore imposition des plus riches pour financer le système de santé publique (NHS), etc. Tony Blair n’aurait jamais fait de telles promesses.
Owen Smith a été sévèrement battu pour deux raisons principales : élu pour la première fois député en 2010, il est encore plus méconnu du public que Jeremy Corbyn. Il était donc incohérent d’attaquer Corbyn au titre de son “inexpérience” et de sa “faible notoriété”, et de faire campagne en faveur d’un candidat encore moins expérimenté et connu. Mais il est une autre raison, plus importante encore : la base militante s’est rebellée contre le comportement des député-es qu’elle a jugé déloyal. Ces adhérents et sympathisants ont estimé que Corbyn avait reçu un mandat pour diriger le parti selon le programme qu’il avait proposé, et non pas pour faire des compromis avec l’aile droite du parti.
Parti parlementaire vs. parti-mouvement
Ce sont donc deux logiques qui s’entrechoquent : d’une part, la logique parlementariste, “réaliste”, qui rappelle que le Labour a été créé en 1900 par les syndicats comme force réformiste pour défendre au parlement les intérêts des travailleurs. D’autre part, le parti-mouvement de base (grassroots) qui est souhaité par Corbyn et ses partisans. Ceux-ci font valoir que la volonté du nouveau leader de démocratiser le parti (notamment avec l’appui de Momentum, une structure soutenant Corbyn de l’extérieur), explique l’explosion du nombre d’adhérents (plus de 300,00 nouveaux adhérents depuis un an ; le parti en comprend près de 600,000 aujourd’hui).
Une première enquête qualitative réalisée par YouGov récemment auprès des adhérents ayant adhéré après mai 2015 permet de mieux saisirle profil sociologique de ces nouveaux militants. Cette étude remet en cause quelques idées reçues : leur âge moyen est de 51 ans ; ils proviennent essentiellement des catégories moyennes et supérieures et 25% seulement sont membres d’un syndicat. Seuls 15% d’entre eux participent activement à la vie du parti. Ce dernier point est source de tension avec les plus anciens adhérents, nettement moins acquis au corbynisme. Ceux-ci estiment qu’une fois leur leader (ré)élu, les corbynistes ne s’impliquent pas dans le parti ; bref ne contribuent aucunement à le faire élire.
Et maintenant, que va-t-il se passer ? Bien chanceux-se, celui ou celle qui pourrait le prédire avec certitude. Dans son speech de remerciements à l’issue de la proclamation des résultats, Corbyn a exprimé le souhait de rassembler le parti derrière lui. Il a tendu la main aux démissionnaires, leur demandant de reprendre leur place dans le Shadow cabinet (qui comprend de nombreux postes vacants à l’heure actuelle). Une première épreuve attend Corbyn sur les modalités de leur nomination. Les opposants veulent que les membres du Shadow cabinet soient élus par les député-es. Corbyn s’y oppose craignant de devoir travailler avec des personnes qui lui sont en général politiquement hostiles. Il propose de faire élire ces membres par un triple collège : les député-es, les militants, le leader. La question de l’élection du Shadow cabinet n’est pas secondaire : qui va y revenir ? Seront-ce des dirigeants d’envergure ou des seconds coûteaux ? La question de la désélection des député-es hostiles à Corbyn, qui devraient repasser devant le vote des adhérents pour se représenter, est une autre source de friction.
Et maintenant ?
Et si le groupe parlementaire ne resserre pas les rangs derrière Corbyn ? Une scission semblable à celle de 1981 est-elle envisageable ? Ces situations ne sont pas à exclure et seraient synonymes de naufrage général. Nous n’en sommes pas encore là, mais on le voit, Corbyn n’a pas d’autre choix que de composer avec ses collègues au parlement. Pour pouvoir faire passer des idées minoritaires dans le parti, il doit convaincre. Il pourrait y parvenir s’il gère mieux le parti, se montre davantage magnanime, s’ouvre à d’autres personnes que sa garde rapprochée, paufine ses interventions à la chambre, évite les polémiques qui distraient des sujets qui préoccupent le public. Bref, il doit comprendre qu’il n’est plus un backbencher de la gauche du parti, mais le leader du plus grand parti social-démocrate d’Europe. S’il espère réorienter ce parti à gauche, il n’a pas d’autre choix que de convaincre ses opposants de la justesse de ses idées et de sa stratégie.