GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Echos européens sur la mobilisation française

Eric Wœrth a beau se présenter comme un homme sympathique et raisonnable, il est dans le fond un thatcherien pur jus. Pour lui comme pour la « Dame de Fer » qui avait brisé la résistance des mineurs anglais en plein cœur de la décennie dorée du néolibéralisme, « il n’y a pas d’alternative ». A l’instar de tout libéral qui se respecte, l’ami des Bettencourt doit faire croire au bon peuple qu’ailleurs, on libéralise toujours plus que chez soi.

En Allemagne, il paraît qu’on travaille déjà jusqu’à 67 ans. En Angleterre, le principe même de la répartition est un lointain souvenir. Alors, de quoi se plaint-on ? Pour super-menteur, le « must », c’est encore d’affirmer que, comme tout le monde, les socialistes européens résignés appliquent à la lettre les politiques dictées par les agences de notation et les parasites de la finance de marché. Comment, pour le ministre, faire mieux comprendre que, même à gauche, il n’y a rien d’autre que ce que lui-même propose ? Si avec ça, le populo ne comprend pas que « there is no alternative »

Pourquoi, dans ce cas, ne pas jouer le jeu jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas regarder ce que l’on dit vraiment de la mobilisation contre le projet Wœrth en Europe et dans le monde ? Si M. le Ministre est à ce point enthousiaste à l’idée de comparer la France avec l’étranger, on peut tout de même bien lui faire ce plaisir…

Le mouvement social qui travaille notre pays depuis maintenant un mois reçoit des soutiens traditionnels que M. Wœrth est prêt à tolérer tant ils expriment à ses yeux la solidarité quasi tribale des syndicats ouvriers forcément archaïques.

Le DGB allemand affirme sur son site soutenir de façon inconditionnelle « la protestation des syndicats français contre le retardement de l’âge légal de la retraite »(1). La centrale allemande vient également d’envoyer une lettre bilingue beaucoup plus fournie à la direction de la CGT où elle assure ses camarades français « du soutien et de la solidarité » de ses syndicats et des instances fédérales. A la fin de cette lettre décisive, le DGB rappelle qu’il « continue également de se battre contre le recul du départ de l’âge à la retraite imposé en Allemagne »(2).

En Italie, le CGIL se fait également l’écho de la mobilisation sociale transalpine(3). La CES est elle-aussi au diapason du mouvement de protestation français, puisqu’elle a affirmé dès le mois de juillet, par l’intermédiaire de son Secrétaire général John Monks, que l’enjeu des retraites est « de garantir l’adéquation et la pérennité des systèmes de pension et non d’allonger l’âge du départ à la retraite […]. D’autant que les employeurs ne permettent pas de maintenir dans l’emploi les travailleurs jusque l’âge légal actuel de la retraite et ne créent pas de conditions de nouvelles embauches pour les jeunes »(4) .

Les grévistes et les manifestants français ne sont donc pas aussi isolés que ne veut bien l’admettre le thatchérien Eric Wœrth !

Mais, au-delà des communiqués syndicaux officiels, le plus important reste la sympathie instinctive qu’expriment des milliers de salariés européens à l’égard de la mobilisation de leurs frères français. On l’a déjà vu en 2005, lors de la campagne de haine contre les partisans du Non au TCE, la vérité de l’opinion publique d’un pays se dévoile de façon incomparablement plus claire dans les commentaires répondant aux articles des faiseurs d’opinion que dans les papiers de ces derniers…

C’est toujours le cas en 2010. Jugez du peu ! Un lecteur du Guardian a par exemple affirmé il y a quelques jours que « quand les Français ne sont pas d'accord avec leur gouvernement [...], ils se mobilisent, au lieu de rester assis dans leur coin à ruminer ». Un autre anglais résidant à Paris, s’il reconnaît que les grèves peuvent parfois l’indisposer, va même jusqu’à dire qu’il « admire les Français qui se battent pour préserver les droits acquis par leurs pères et mères, et qui n'acceptent pas la supposée nécessité de couper dans les dépenses sociales ». N’est-il pas surprenant que Lagarde ou Wœrth omettent malencontreusement de mentionner ce courant de sympathie d’autant plus dérangeant qu’il vient d’un pays qu’on décrit trop souvent comme l’incarnation chimiquement pure du néolibéralisme ?

La sympathie du peuple espagnol, lui-aussi mobilisé contre les mesures d’austérité de son gouvernement et qui a effectué une belle journée de grève générale le 29 septembre dernier, n’est plus à prouver.

Les lecteurs de El Pais s’en donnent visiblement à cœur-joie depuis le mardi 19 octobre ! Un internaute n’y va pas par quatre chemins et fait une véritable déclaration d’amour à notre nation mobilisée. « J'admire, dit-il, le peuple français. J'admire sa force, j'admire que des millions de personnes sachent de quel côté ils sont et qu'ils doivent descendre dans la rue pour se défendre. J'admire ces milliers de lycéens, adolescents de moins de 20 ans, qui s'unissent dans la lutte pour défendre les droits pour lesquels luttèrent leurs pères, leurs grands-pères […]. Et si demain il faut faire des barricades et un autre mai 68, cela me réconforte qu'il reste encore en Europe un peuple pour le faire. Il est clair que ce ne peut être que le peuple français ». Un autre salarié espagnol lâche, plus sobrement : « Vive le peuple français ! Aujourd’hui, je suis français aussi [en français dans le texte] ».

Les formules de soutien sont nombreuses et expriment souvent une politisation extrême, tel ce salarié qui félicite « la France pour être l'avant-garde révolutionnaire contre tant d'abus (...). Cela suffit que ce soient toujours les mêmes qui payent, des riches toujours plus riches au détriment des pauvres toujours plus pauvres, contre ça : protestation, dialogue, changement, ou Révolution ». Plus généralement, les commentaires postés sur le site d’El Pais laissent entrevoir une pointe de jalousie. « Que les Français me font envie », affirme un internaute, pendant qu’un autre s’écrie, élogieux : « ça, ce sont des syndicats! »… Comme en 2005, il est difficile de nier que tout militant, se sentant porté par un mouvement international qui le dépasse, fait le plein d’énergie et de combativité en lisant ce type de messages. Alors, un dernier pour la route : « Vive la France ! Vous êtes notre espoir et, comme toujours, ceux qui montrent le chemin pour que la justice avance »(5)… Que peut-on rajouter à cela ?

On ne peut toutefois finir ce bref panorama sans donner la parole à l’américain Mark Weisbrot, co-directeur du très sérieux « Centre de Recherche Économique et Politique ». Il a récemment écrit, dans le Guardian, que la volonté de relever ou non l’âge légal de départ à la retraite relève d’un « choix social ». Il signale en effet que, depuis 1983, « le PIB par habitant a augmenté de 45 % [et que] l’augmentation de la durée de vie est très limitée en comparaison». En réalité, estime Mark Weisbrot, « l’augmentation du revenu national a été largement suffisante pour compenser les changements démographiques ». La conclusion de l’article est un appel à l’action. Selon l’intellectuel américain, « les Français se battent pour l’avenir de l’Europe - et ils sont un bon exemple pour les autres »(6).

Alors, M. Wœrth ? Toujours aussi sûr que les grévistes français sont isolés et que « there is no alternative » ?

Jean-François Claudon

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