GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Droite contre gauche, actionnariat contre salariat

De 1960 à 1980, le partage du revenu national s’est régulièrement modifié en faveur des revenus salariaux et aux dépens des revenus capitalistes. La part des salaires représentait 59 % en 1960 et 69 % en 1980. Cette progression fut le résultat de la combativité salariale croissante durant ces années et des luttes syndicales qui franchirent un palier avec la grève générale de Mai 68.

Pendant longtemps cette mobilisation sociale ne fut pas relayée sur le terrain politique et le parti socialiste de l’époque, la SFIO, s’effondra au point de ne recueillir que 5 % des voix à la présidentielle de 1969, avec un total de 30% pour toute la gauche.

Ce fut la constitution de l’Union de la gauche autour d’un programme commun de gouvernement qui remobilisa l’électorat de gauche et permit aux partis de la gauche d’obtenir la majorité lors des élections municipales de 1977. Le débouché différé de Mai 68 et de ces luttes sociales et politiques fut le 10 mai 81.

Mais à partir de septembre 1977, Moscou avait enfin obtenu de la direction du PCF que celui-ci casse l’Union de la gauche et enterre l’espoir d’une victoire de la gauche aux législatives de 1978. Cette division de la gauche, relayée sur le terrain syndical, permit à l’offensive néolibérale des années 80 de faire baisser les salaires, dès lors que le gouvernement de la gauche s’y convertit avec le plan Delors de 1983.

La croissance du chômage et de la précarité ramenèrent, dès 1995, la part des salaires à 59 %.

La remobilisation sociale à l’œuvre depuis 1995 a stoppé cette chute. Mais, la droite poursuit son offensive.

Sarkozy mène une lutte de classes

Après avoir redonné aux profits ces 10 points de revenu national, soit 150 milliards d’euro chaque année, équivalents à plus de la moitié du budget de l’Etat, la droite cherche d’autres sources de profits pour les grands actionnaires.

Elle privatise les monopoles publics (EDF, GDF…). Après avoir réduit les salaires nets, elle s’attaque aux salaires indirects, elle réduit la protection sociale (franchise d’une journée de maladie) pour forcer les salariés à chercher un recours dans les assurances privées. Elle veut alléger les coûts salariaux et veut donc remplacer la part patronale des cotisations sociales par une TVA "sociale " qui serait payée essentiellement par les salariés consommateurs.

Les grands actionnaires se sont engraissés sur le dos du tiers-monde et des paysans, terres d’expansion du capitalisme jusqu’à maintenant. Que leur restera-t-il à conquérir après la Chine ? Les services publics ! Ils sont leur nouvelle "frontière ". La conquête a commencé.

Sarkozy s’est engagé dans cette lutte de classes sur deux fronts. Il lui fallait gagner sur le front électoral pour pouvoir engager la lutte sur le front social avec quelque probabilité de réussite. Il a gagné la première manche ou, plutôt, la gauche a perdu cette manche. Les salariés, surtout les plus pauvres, sont les premières victimes de cette défaite politique, victimes aussi toutes les couches sociales sur le dos desquelles les grands actionnaires accumulent leurs profits et leurs surprofits : paysans, travailleurs indépendants…

La gauche doit apprendre à mobiliser son électorat

Les partis de la gauche ont perdu cette bataille parce que leurs dirigeants ne se sont pas donnés les moyens de mobiliser l’électorat de gauche, celui qui constitue la force électorale sur laquelle repose la défense des intérêts des travailleurs salariés et indépendants, disposant d’un emploi ou privés d’emploi. L’électorat de gauche n’est pas composé exclusivement de salariés mais presque, ce sont eux qui forment la base sociale de la gauche.

En revanche, ceux qui vivent de revenus de placement, qui s’enrichissent en dormant, forment la base sociale de la droite. Elle est exiguë puisque, à eux seuls, les salariés constituent 91 % de la population. Mais il est vrai que près d’un quart des salariés se considèrent de droite et c’est presque un tiers qui se considère ni de gauche ni de droite.

Ce dernier tiers alimente fortement l’abstention incompressible, mais ceux qui votent se portent davantage sur le favori des sondages (42 % pour Nicolas Sarkozy, 27 % pour Ségolène Royal et 31 % en abstention).

Par conséquent, tous les salariés ne sont pas de gauche mais pas loin de la moitié, si l’on en croit les organismes de sondage. En 2000, sur l’ensemble des électeurs (salariés ou non) la Sofres relevait une très forte majorité relative pour l’identification de gauche : 41 % de gauche, 28 % de droite et 31 % ni de gauche ni de droite (ces derniers se partageant en trois parties, plus ou moins équivalentes selon la force de conviction des candidats). Parmi ceux qui s’identifient soit de gauche soit de droite, le rapport de forces s’établissait donc à 59 / 41 en faveur de l’identité de gauche.

Les grands médias privés se gardent bien de le faire savoir, de crainte de favoriser la mobilisation de la gauche. L'enquête de l'Ifop de février 2007 tente même de réduire l’importance du clivage gauche-droite en introduisant, sur l’échelle d’auto-positionnement gauche droite une position de " centre " qui ampute peut-être davantage le poids de la gauche que celui de la droite, puisque Bayrou ne réunit que 40 % de ceux qui se placent sur cette position. Cette enquête Ifop estime ainsi le rapport de forces gauche / droite à 55,4 / 44,6.

La droite a un gros handicap à remonter

Beaucoup d’électeurs de gauche s’abstiennent par déception, puis reviennent voter par colère contre la droite. Il faut, en revanche, beaucoup de perturbations pour que certains votent pour un parti de la droite. On savait déjà que 2 à 3 % des électeurs votent Le Pen au premier tour et pour la gauche au second tour. Mais il fallait qu’ils doutent fortement de la possibilité d’une victoire de Ségolène Royal pour que 8 % des électeurs votent Bayrou alors qu’ils étaient de gauche. Mais les électeurs de gauche votent en général pour des partis de la gauche.

En effet, cette identité politique (soit de gauche, soit de droite) se traduit aussi en " proximité partisane " : elle s’exprime aussi par le vote pour le parti perçu comme le plus proche, à condition que par sa politique récente et ses promesses ce parti réussisse à mobiliser ses électeurs. Or ce n’est pas toujours le cas et, en outre, la proximité partisane est moins stable que l’identité politique (de gauche ou de droite).

Dans une tribune publiée le 14 juin par Libération, Gaël Sliman, directeur de BVA, note que la proximité à l’égard d’un parti de gauche (en comparaison à la proximité partisane de droite) a reculé de 54 % à 46 % entre l’avant élection présidentielle et l’après, sans que ça traduise un glissement à droite.

L’électeur de gauche, sauf très rares exceptions, reste de gauche toute sa vie, dès qu’il a fixé son identité politique, à la fin de son adolescence ou au cours des premières années de sa vie professionnelle. En revanche, déçu par le parti dont il est un électeur fidèle, il le boude provisoirement. En cas de déception répétée, il l’abandonne sans changer de camp (il reste de gauche) et se trouve "sans proximité partisane ". Ce sas de "neutralité partisane " est parfois une transition qui peut le conduire à se rapprocher d’un autre parti (encore de la gauche). Mais trop de déceptions peuvent dépolitiser et détruire la confiance dans les valeurs de gauche elles-mêmes.

Les électeurs qui n’ont pas de proximité partisane marquée, mais pas de déception trop accumulée, non plus, se sentent plus volontiers proche du parti le plus pluraliste de leur camp, qui s’assure ainsi la majorité dans ce camp. C’est ce qui explique le caractère nettement majoritaire du PS au sein de la gauche et la certitude que la seule candidature de la gauche qui pouvait être présente au second tour de la présidentielle était celle de la candidate du PS. C’est ce qui motivait le vote sans restriction, sans condition, pour Ségolène Royal dès le premier tour. Ce n’était pas le caractère mobilisateur du projet socialiste ! Ni la qualité du " pacte présidentiel " de sa candidate ! Malheureusement…

Notre camp, c’est la gauche

La lutte de classes entre salariés et actionnaires oppose les intérêts des deux classes fondamentales de la société capitaliste. Portée sur le terrain électoral, elle oppose les valeurs des électeurs de gauche et les programmes de leurs partis aux valeurs et programmes des électeurs de droite et de leurs partis.

Les intérêts des salariés doivent être exprimés en droits universels et égaux pour traduire en mesures concrètes les valeurs de gauche que nous découvrons par éducation, que nous nous construisons par l’expérience en agissant contre des injustices ou en participant aux mobilisations où se forge une nouvelle génération militante.

Cette adhésion aux valeurs d’universalité et d’égalité des droits fonde l’identité de gauche, sentiment subjectif individuel, qui peut être ressenti aussi fortement qu’une identité nationale, qu’une identité religieuse ou qu’une identité de genre (masculin ou féminin).

Ainsi se constituent les deux camps qui s'opposent dans les combats politiques : la gauche et la droite dont l'affrontement se déroule dans les institutions politiques. Le peuple de gauche est la classe salariale " pour soi ", c’est-à-dire consciente de ses valeurs, mais étendue à toutes les couches sociales dominées.

De l’identité de gauche au programme de la gauche

Les électeurs sont motivés par la défense des intérêts qui les touchent le plus. Les citoyens de gauche ont des revendications qu’ils veulent voir satisfaites par la gauche : leurs conditions de vie nourrissent leurs arguments et ont motivé leur identification de gauche. Mais sur les questions qui ne sont pas au cœur de leur expérience personnelle, leur compréhension reste imprécise ou même confuse.

Leur identité politique, réduite à des valeurs générales, ne leur donne pas les connaissances pour déterminer, sur l’ensemble des domaines, les droits que la gauche devrait s’engager à reconnaître et à faire respecter. C'est le débat démocratique qui peut permettre aux citoyens de gauche de choisir en toute connaissance le programme que la gauche doit défendre.

L'identité de gauche ne doit pas être confondue avec l'adhésion à un programme de gauche cohérent et satisfaisant, ni avec la compréhension des enjeux politiques des combats qui opposent la gauche et la droite. L'identité de gauche n'est que la définition du camp politique au sein duquel doit se dérouler le débat démocratique pour l'élaboration du programme du salariat et de ses alliés sociaux, le programme de la démocratie poussée jusqu'au bout, c'est-à-dire le programme de l'égalité des droits.

Au sein de ce camp de la gauche sont confrontés plusieurs programmes ou plusieurs tentatives de trouver une cohérence programmatique. L'identité de gauche est le premier degré de la conscience politique démocratique. Le choix, en toute connaissance, d'un programme de mesures concrètes allant au delà du seul domaine de l'expérience personnelle résulte d’une construction plus riche qui exige un débat démocratique au sein de la gauche.

L’unité de la gauche est la meilleure stratégie pour battre la droite

L’unité de la gauche, excluant toute alliance à droite, est la seule stratégie qui permet de rassembler tous ceux qui s’identifient de gauche. Elle est la seule stratégie qui permet un débat démocratique de toute la gauche. Seul ce débat peut permettre l’adoption d’un programme concret d’égalité des droits qui soit cohérent avec l’identité de gauche.

En permettant l’accord entre l’identité et le programme, cette stratégie favorise la mobilisation nécessaire pour traduire électoralement la majorité de gauche qui existe en France depuis 1977.

Cette majorité est un fait qui réfute les arguments de ceux qui, frontalement ou à reculons, refusent la stratégie d'unité de la gauche.

Ce fait contredit ceux qui, à l'extrême gauche, fuient le débat démocratique sur le programme pour ne pas prendre le risque d'être minoritaires dans la gauche unie et de voir rejetées certaines mesures de leur programme. En prétextant que la gauche serait minoritaire ou, même, en sélectionnant les partis auxquels ils accordent le label de gauche, ils refusent de participer à une union de la gauche qui permettrait pourtant de traduire électoralement la majorité identitaire et de lui faire adopter des mesures importantes.

Ce fait contredit aussi ceux qui, affirmant que la gauche serait minoritaire, proposent qu'elle s'allie avec une partie de la droite, au motif que c'est ainsi qu'elle pourrait atteindre la majorité. Ce raisonnement est erroné parce qu'une telle alliance ne donnerait pas une majorité à la gauche, encore moins à un programme de gauche mais à un programme réduit à des mesures de droite, en donnant aux alliés de droite un droit de veto contre les mesures de gauche. Dans le cas où la gauche deviendrait vraiment minoritaire à elle seule, cette alliance ne correspondrait qu’au seul désir d'être dans le camp majoritaire même s'il n'était plus celui de la gauche.

Pierre Ruscassie

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