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Des boues moins rouges, mais toujours aussi toxiques (2e partie)

Depuis 1893, l’usine de Gardanne pollue en toute impunité le littoral de la Grande bleue. En décembre dernier, à l'annonce de la reconduction du permis de polluer accordé généreusement au groupe Altéo sur ordre de Valls, le scandale écologique a éclaté au grand jour. La direction de l'entreprise fait tout pour en minimiser l'ampleur. Les pouvoirs publics, eux, s'ingénient à la couvrir, tout en s'efforçant de donner le change aux riverains. Ces derniers ne s'en laissent pas compter et la mobilisation contre les « boues rouges » s'amplifie mois après mois. Nous publions ici le second volet de notre enquête sur cette affaire paru dans la revue Démocratie&Socialisme d’avril (la première partie a été publiée dans la lettre de D&S de la semaine dernière).

Dans la première partie de cette enquête, nous avions laissé Ségolène Royal alors qu'elle demandait que soient réalisées de nouvelles analyses portant sur l'impact environnemental des effluves rouges, cette fois sous le contrôle de l’ANSES. Mais, précisément, pendant qu'en haut, on tergiverse, sur le terrain, une question reste en suspens.

Que deviennent les boues ?

Elles sont désormais entassées sous forme compacte sur le site de Mange-Garri à Bouc-Bel-Air. Mais la mer, les baigneurs, les poissons et ceux qui les mangent ne sont pas les seuls concernés par les dangers de contamination. L’inquiétude monte aux abords du site de Mange-Garri, situé sur la commune proche de Gardanne et dans l’entreprise Altéo où les salariés s’interrogent sur les risques pour leur santé.

Cette inquiétude s’accentue soudain quand les riverains du site sont informés qu'ils ne doivent plus utiliser l’eau de leurs puits comme eau potable, comme eau d’arrosage ou encore comme eau de piscine, en raison de la découverte de traces de pollution dans une source.

L’autorisation de stockage à Mange-Garri court jusqu’en 2021. Avant saturation du site, l’industriel devra trouver des solutions de recyclage pour les centaines de milliers de tonnes de résidus de bauxite. Altéo fabrique déjà un dérivé, appelé « Bauxaline », utilisé comme couverture de décharges. Pour comble, le matériau contient une radioactivité qui lui donne mauvaise réputation. Dans la zone d’entreposage des boues rouges, le niveau de radiation est 4 à 8 fois supérieur au niveau naturel.

Quelque 300 000 tonnes doivent arriver chaque année à Bouc-Bel-Air. Que contiennent-elles ? Quelle est la capacité de dispersion des poussières ocres et leur toxicité ? Les riverains se plaignent aussi de la couche rouge qui recouvre par temps de mistral leurs terrasses et leurs potagers.

L’ANSES, saisie une nouvelle fois en 2015, a exprimé dans son rapport qu’il était difficile de conclure, à cause du manque de données et de la confusion caractérisant celles fournies par l’exploitant. « Les documents ne fournissent pas une seule donnée sur la composition chimique des poussières », assure l'agence de sécurité sanitaire.

Quant aux services de l’État, ils auraient pu et dû demander à Altéo de mettre en place un système de surveillance de la qualité de l’air.

Inquiétudes légitimes des salariés

Les personnes employées par Altéo ne souhaitent évidemment pas la fermeture du site de Gardanne et la mise au chômage de 800 personnes. Cependant, elles ne souhaitent pas non plus mettre en danger leur propre santé ou celle des autres.

Certes, trois filtres-presse, qui doivent assécher les toxiques, sont financés à 50 % par l’Agence de l’eau régionale, ce qui s’accompagne d’ailleurs d’une baisse de la redevance sur l’eau payée par l’entreprise, de 13 à 2,6 millions d’euros.

Pour autant, on ne peut affirmer que tout danger pour la santé des populations soit écarté : aucune donnée n’est transmise sur la fréquence des cancers dans les communes concernées, ou parmi les salariés, au moins officiellement.

L'écologie, variable d'ajustement ?

Alors que l’entreprise disposait de vingt ans pour se préparer à l’échéance du 1er janvier 2016, la situation ressemble à un gros pataquès.

«  La question qui se pose, c’est celle de la reconversion d’une entreprise dont on ne sait pas traiter les rejets. Tout cela manque de courage et d’anticipation et dès qu’il y a une tension sur l’emploi, c’est encore l’écologie qui devient la variable d’ajustement », constate amèrement Yves Verilhac, le directeur de la Ligue de protection des oiseaux, indigné par les pratiques de l'entreprise métallurgique, mais aussi par la gestion calamiteuse de ce dossier par les pouvoirs publics.

Au lendemain de la COP21, pendant laquelle la France a donné des leçons au monde entier, les autorités brisent le contrat de confiance. Au large de la côte méditerranéenne, la canalisation de Gardanne continue de cracher dans la fosse de la Cassidaigne.

Les opposants ont créé une page Facebook nommé « Colères rouges ».

Colère verte contre les boues rouges

Les opposants se mobilisent.Les associations, les riverains, des élus ont déposé un référé en suspension devant le tribunal administratif.

Ségolène Royal déclare sur France 5 : « Le combat continue, je suis saisie d’un recours hiérarchique et j’ai deux mois pour statuer sur ce recours ».

« C’est le combat de l’économie contre l’écologie et ma conviction profonde, c’est que détruire l’écologie, c’est aussi détruire l’économie », a ajouté la ministre de l’écologie. « Il faut intégrer le coût de la pollution dans le coût économique de l’entreprise et voir si l’entreprise est viable, parce que, quand on détruit la mer, on détruit d’autres emplois »

Trois recours juridiques ont été envoyés l’un hiérarchique à Ségolène Royal, sachant que Manuel Valls n’est pas ministre de l’environnement et s’est substitué à la loi par sa décision. Procédure qui sera suivie « d’un recours national », car Valls est hors-la-loi d’après José Bové et d’un recours à la commission des pétitions du parlement européen pour dire que la France s’est mise en infraction.

Quant à Michèle Ravasi, elle ne voit pas d’évolution, même avec les 3 nouveaux filtres-presse : « On a payé de notre poche de contribuables 20 millions d’euros à un riche industriel alors qu’on aurait mieux fait d’extraire les métaux lourds », a-t-elle déclaré.

Plus de 1 500 manifestants se sont rassemblés devant la préfecture à Marseille, le samedi 30 janvier, contre l’arrêté pris par le préfet de prolonger, jusqu’en 2021, les rejets toxiques au large de Cassis. Ils demandent à Ségolène Royal de revenir sur cette décision.

Deux eurodéputés – José Bové et Michèle Ravasi –, des associations et partis politiques (EELV, PS) ont manifesté devant la préfecture, exprimant leur vive opposition à la poursuite des rejets liquides accordée à Altéo par la préfecture, via une décision « expresse » du Premier ministre, Manuel Valls.

« Colères rouges », la pétition citoyenne contre les rejets toxiques en Méditerranée a recueilli plus de 70 000 signatures.

Si les salariés sont menacés, c'est par leur employeur et non par les défenseurs de l'environnement ! La balle est dans le camp de Ségolène Royal !

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