Criminalisation des luttes écologistes
Dans un contexte où le capitalisme productiviste est en butte aux crises écologique, sociale et démocratique actuelles, le raidissement du pouvoir et l’accentuation de la répression de tout mouvement social est marquante sous la présidence Macron.
Dans ce glissement vers l’autoritarisme, les luttes écologistes font l’objet d’une attention toute particulière des gouvernants : interdiction de manifestations, mobilisation disproportionnée des forces de l’ordre, emploi de moyens et d’armes inédits, mise en place d’un arsenal législatif spécifique, emploi d’un langage réservé au terrorisme, annonce d’une procédure de dissolution de mouvement… Le gouvernement fait feu de tout bois contre les luttes écologistes et leurs soutiens.
L’événement Sainte-Soline
La mobilisation très importante qui a eu lieu à Sainte-Soline contre les méga-bassines et l’accaparation de l’eau, et la gestion catastrophique de l’événement par le ministère de l’Intérieur, constituent un nouveau tournant dans cette évolution répressive.
En amont des manifestations du 25 mars, les services de renseignement auraient mis sur écoute des activistes écologistes, mais aussi des élus, selon des révélations du Canard enchaîné du 22 mars dernier. Le ministre de l’Intérieur, lui, avait annoncé qu’il y aurait de la casse plusieurs jours avant le rassemblement, pour lequel il a déployé un dispositif policier hallucinant autour d’un trou en rase campagne.
Le bilan humain dramatique résultant de cette logique n’a pas mis en veilleuse les attaques contre le mouvement. Le ministère de l’Intérieur utilise onze fois le mot « sabotage » dans son pamphlet pour demander la dissolution des Soulèvements de la Terre. C’est le principal motif avancé pour interdire à ses militant.e.s de se réunir ou de mener toute activité collective. On leur reproche les affrontements avec les gendarmes lors de la manifestation, ainsi que diverses « destructions », que les militants nomment quant à eux « désarmement ». Car ils considèrent que l’agro-industrie et l’industrie du béton sont des « armes de destruction massive du vivant ».
Un nouveau cap de franchi
Dans le même temps, Gérald Darmanin a annoncé la création d’une « cellule antizad », renforçant encore la logique répressive du gouvernement. Et ce dans la droite ligne de la multiplication des moyens de surveillance des militants écologistes, portée notamment par Christophe Castaner en 2019, avec la cellule de renseignement Déméter. Les cibles étaient alors les mouvements anti-pesticides ou défendant le bien-être animal comme L214.
Le ministre de l’Intérieur affirmait au Journal du Dimanche, le er avril, que plus aucune ZAD (zone à défendre) ne s’installerait dans notre pays. Cette cellule antizad, qui serait créée en septembre, aurait pour mission d’assister les préfets en cas de recours juridiques pour empêcher toute installation de campement. Pourtant, actuellement, très peu de ZAD existent en France. À Sainte-Soline, il n’a jamais été question d’en établir une, selon les militants des Soulèvements de la Terre, le territoire et la nature même des projets épars de bassines ne s’y prêtant pas.
Pour des militants de Bure répondant à Reporterre, avec cette cellule on passerait un cap et ils y voient une « forme de police politique », dépassant la simple cellule d’investigation « puisqu’elle vise à créer des cadres légaux ». Certains avocats aussi pointent les dangers de cette « forme de justice dérogatoire », qui pourrait attenter aux libertés fondamentales.
Un durcissement très politique
Le Journal du Dimanche fait état d’une cinquantaine de projets, faisant l’objet de modes de contestation variés, observés de près par le ministère de l’intérieur. Parmi eux, quatre sites classés rouge : les méga-bassines de Sainte-Soline, l’écoquartier des maraîchers à Dijon, le centre de stockage des déchets radioactifs de Bure, et la portion d’axe routier A69 entre Castres et Toulouse. Pour Sylvaine Bulle, sociologue spécialiste des mouvements écologiques, qui a travaillé sur les milieux de vie à Bure et à Notre-Dame-des-Landes, il s’agit là de faire une distinction éminemment politique entre bonne et mauvaise écologie, et de s’attaquer à l’ensemble des actions de défense de l’environnement. Selon elle, c’est l’écologie en tant que projet politique qui est prise pour cible : l’écologie de résistance est dépeinte comme forcément criminelle.
Pourtant, tenter de décrédibiliser, d’exclure du champ démocratique, de criminaliser des mouvements de plus en plus profonds et larges, ancrés dans la nécessité d’engager des changements majeurs, paraît voué à l’échec. Car le raidissement pour essayer de préserver les intérêts à court terme d’un petit nombre se heurte à la colère et à l’engagement grandissants d’une multitude d’êtres humains déterminés, parce que conscients de l’ampleur de ce qui est en jeu.
La réussite massive, ce 22 avril, – malgré tous les efforts pour attiser les peurs – de la mobilisation contre le projet d’autoroute entre Castres et Toulouse, en est une démonstration éclatante de plus. En plein campagne tarnaise, près de 10 000 personnes de tous âges et milieux scandaient « Nous sommes tous des éco-terroristes », en forme de pied de nez à ceux qui ont tenté de disqualifier le mouvement par de tels mots.
Cet article de notre camarade Christian Bélinguier est à retrouver dans le numéro 304 (avril 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).