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« C’est la crise, nous emmerdes pas ! »

Dans mon petit bureau de l’inspection du travail, elle est là, toute pimpante, la trentaine joyeuse et fraîche, salariée dans une maison de mode parisienne depuis 8 ans comme « commerciale ». Au début, tout s’est bien passé, dynamique elle travaille beaucoup, les directeurs l’apprécient. Forcément : elle reste tard le soir et souvent les samedis et dimanches. Elle n’est pas seule dans ce cas, ils sont 120 dans la boîte, répartis entre les boutiques, le « design » et la diffusion, personne ne doit ménager sa peine. Mais au bout de huit années, ça devient dur. Les affaires de la boîte vont de mieux en mieux, le fric rentre pour les boss, mais la paie ne suit pas pour les bosseurs. Notre jeune femme, un peu épuisée, engagée dans une vie de couple plus régulière et qui se propose d’avoir des enfants, demande à ce qu’on lui paie ses heures supplémentaires, ses samedis et ses dimanches.

J’ai mille fois entendu ce récit : ça commence souvent comme ça…

On évite distraitement de répondre à ses demandes légitimes. Elle freine un peu sur son nombre d’heures, on lui fait comprendre que ça ne va pas : « On a trop besoin d’elle ». Pourtant elle a tissé des relations excellentes, d’amitié avec la direction. Elle propose : « Payez-moi mes heures où je n’en fais plus ». Après un moment de chantage affectif, la tension monte.

On le lui dit sans ambages de copain à copine : « Fait pas suer avec ça, c’est comme ça chez nous, tu le sais… dans la mode, on ne compte pas ses heures ». Conseillée, elle fait une lettre. On lui bat froid. Elle fait un détail de ses heures réelles, près de 50 alors qu’elle est censée en faire 35.

Silence. Elle insiste gentiment. Elle est rejetée carrément. Elle cite alors le Code du travail qu’elle s’est procuré. Tout se gâte. On la somme de cesser « ce petit jeu ». « Ce n’est pas un jeu, ose-t-elle, c’est mon droit ». « On est tous à la même enseigne, si t’es pas contente, tu te tires ! ». Elle tombe des nues, toujours naïve. Elle n’imaginait pas ça de ses patrons, qui fraternisent avec elle depuis de si longues années. Mais si ! Elle demande des élections de délégué du personnel, il n’y en a jamais eu dans l’entreprise qui n’a pas non plus de CE. La menace devient brutale : « Pas de délégué chez nous, où est-ce que tu te crois ? ». « Des élections, non mais tu rigoles… ce connard d’inspecteur du travail, nous l’a déjà demandé, tu parles si on va lui faire ce plaisir ! ». « On préfère mettre la clef sous la porte que d’avoir un CE ». Enfin : « Tu crois qu’avec la crise, on va s’emmerder avec cela ». « La banque nous fait des ennuis, tu veux nous couler ? ».

Elle ose alors se syndiquer, elle est nommée déléguée syndicale. Le patron la prend dans son bureau, sans témoins : « En plus, t’as choisi ces salopards de la CGT, t’entends, on n’en veut pas, c’est la guerre, on aura ta peau ! ». Elle se réfugie auprès du directeur financier, son meilleur ami dans le boulot, il lui dit : « - Faut se séparer ! ». Ils lui proposent la célèbre « rupture contractuelle » la « séparabilité » individuelle de Mme Parisot, mise en loi par MM Sarkozy et Bertrand (« c’est comme un divorce à l’amiable » mais c’est toujours le même qui part avec les meubles). Elle refuse, ils l’isolent des autres, elle lutte, mais se sent pestiférée. Ils lui cherchent des noises à tout propos. Elle n’en revient toujours pas : « Comment c’est possible ? » me dit-elle, avec un beau regard incrédule. Chaque matin, elle, si joliment souriante et de si bonne humeur, elle a les tripes nouées en allant au travail…

Gérard Filoche

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