Face au plan Xavier Bertrand hôpital 2012
14/02/2007 |
La réforme dite « Hôpital 2007 » se met en place en douceur, sans réelle opposition ni même débat national, alors même qu'elle est entrain de préparer la privatisation du service public hospitalier.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une réforme du financement de l'hôpital. Auparavant, les hôpitaux étaient dotés de budgets globaux déclinés ensuite en budgets de service. Chaque année, ce budget pouvait être révisé en fonction des résultats obtenus l'année précédente et des prévisions de l'année en cours. En l'absence d'évaluation et de volonté politique, ces budgets avaient tendance à figer les situations acquises et ne permettaient pas une adaptation aux variations d'activité. C'est du moins cet argument qui a prévalu pour remplacer le financement global par un financement dit à l'activité dit T2A, en affectant chaque patient et chaque activité d'un code de financement. Désormais tel malade est plus rentable que tel autre, telle activité devient plus rentable que telle autre. Ainsi, le malade bénéficiant d'un geste technique ou d'une chirurgie impliquant une courte hospitalisation est hautement rentable. Le malade complexe ayant une maladie chronique avec des problèmes sociaux et psychologiques, et nécessitant une hospitalisation prolongée, n'est pas rentable. En diabétologie, de manière provocante et factuellement exacte, on peut dire que dialyser ou amputer un diabétique est plus rentable que de prévenir la dialyse ou l'amputation. Les unités d'éducation thérapeutique, qui assurent cette prévention et sont par nature plus consommateurs de personnels que de techniques, voient leur développement entravé. Leur maintien même est menacé. Ainsi, les médecins sont placés au centre d'un conflit éthique : d'un côté ils doivent assurer à chaque patient le soin optimal, de l'autre ils reçoivent pour mission la rentabilité, condition du maintien de leur activité. Chaque spécialité, chaque hôpital, chaque service s'est mis à réfléchir fébrilement aux changements et aux astuces nécessaires pour devenir « rentables ». Les hôpitaux ont embauché des praticiens hospitaliers à plein temps devenant des experts du codage. Les services ont regroupé des consultations pour les transformer en hôpitaux de jour. Ici ou là, on surfacture ou on réalise des activités peu voire pas utiles mais rentables. En effet tout se passe comme si, pour assurer la survie de son hôpital ou de son service, il fallait accroître la facturation de la Sécurité Sociale. Du coup, celle-ci s'est mise à développer des contrôles. La marchandisation de la santé est en route avec son triptyque : productivisme, concurrence, contrôle De plus, le législateur, et plus généralement la majorité parlementaire contre l'avis même du Ministre de la Santé mis en minorité, a décidé que désormais le financement de l'hôpital serait semblable à celui des cliniques privées avec une convergence totale à 100 % en 2012. Il s'agit à l'évidence de favoriser les cliniques privées à but lucratif, de façon d'autant plus invraisemblable que si les coûts hospitaliers incluent les salaires des médecins, les honoraires des médecins et chirurgiens des cliniques privées ne font pas partie du coût des soins. De plus, derrière les mêmes codages se trouvent des activités bien différentes. L'essentiel de la médecine est faite à l'hôpital, l'essentiel de la chirurgie est faite en clinique. Les sinusites chroniques ou les otites chroniques sont pour la clinique, les tumeurs ORL et stomatologiques sont pour l'hôpital. Les prothèses de hanches sont pour la clinique, les traumatismes compliqués du rachis sont pour l'hôpital. La chirurgie de la main est pour la clinique, la chirurgie du pied diabétique est pour l'hôpital. Rappelons que près de 80 % des français meurent à l'hôpital et plus exactement à l'hôpital public. Les patients sont parfois même transférés avant de mourir de la la clinique privée vers l'hôpital. Rajoutons que l'hôpital est le lieu de formation de l'ensemble des soignants, que les professionnels seniors ont acquis leur expertise à l'hôpital avant de l'exercer en clinique. Un chirurgien expert en clinique privée mettra beaucoup moins de temps pour la même opération que le chirurgien débutant opérant à l'hôpital encadré par un senior l'aidant et le guidant. Bref, on a bien prévu une enveloppe spéciale dite « MIGAC » pour ces missions de service public, mais celle-ci reste floue soumise aux aléas des décisions économico-politiques à venir. On voudrait envoyer l'hôpital public dans le mur, qu'on ne s'y serait pas pris autrement. Le deuxième aspect de cette réforme est d'affaiblir, voire de supprimer, la structure des services hospitaliers en enlevant aux cadres infirmiers (surveillants(es)) et aux chefs de service la responsabilité de l'organisation et du recrutement et de l'affectation des personnels para-médicaux. Le chef de service n'est plus qu'un vague responsable médical. Le but est de «mutualiser » les moyens paramédicaux et médicaux entre les services, c'est-à-dire de gérer la pénurie de personnel en enlevant aux uns pour donner aux autres. Ainsi certaines infirmières travailleront un jour ou une semaine dans un service, et un jour ou une autre semaine dans un autre. Il faut tout le talent des hommes de communication ou la langue de bois de certains partisans de la réforme pour trouver une cohérence médicale au pôle néphro-chirurgical de la PITIE, regroupant la néphrologie, la chirurgie vasculaire, la chirurgie endocrinienne, la chirurgie digestive, la chirurgie urologique, la maternité, la chirurgie orthopédique. L'ancienne Directrice de l'Assistance Publique des Hôpitaux n'hésitait pas à expliquer que les pôles augmentaient la « lisibilité » pour les patients. Ainsi, une femme enceinte rentrant à la maternité de la PITIE sera sûrement mieux informée si elle apprend qu'elle accouche dans le pôle néphro-chirurgical de l'hôpital ! Le but est en réalité de soumettre le pouvoir médical au pouvoir de gestion administrative. En effet, si on pense que la médecine est une marchandise, les médecins de simples techniciens ou offreurs de soins, il est logique que le pouvoir revienne aux « managers » véritables chefs d'entreprise. Ainsi, alors que l'on manque dans les hôpitaux de façon parfois dramatique de médecins et d'infirmières en raison d'un numerus clausus excessif, on embauche des directeurs de pôles venant du privé ou reclassés à partir des anciens services publics privatisés (France Telecom, etc ...). Cette réforme libérale prend donc dans l'immédiat la forme d'une énorme machine bureaucratique à la française, multipliant les niveaux de décision. Si on prend l'exemple de la PITIE - SALPETRIERE, il existe le niveau du service, le niveau du pôle, mais pour les énormes pôles le niveau des « sous pôles » ou des piliers de pôles, puis il y a le niveau de l'hôpital, puis il y a le niveau du groupe hospitalo-universitaire (GHU Est, Ouest, Sud et Nord), enfin, il y a le siège de l'Assistance Publique. Evidemment, chaque niveau a son secrétariat, justifie son existence par des enquêtes, des rapports, chacun réunit des commissions, prend des décisions ... Résultat, le médecin qui soigne encore des patients dans son service est accablé d'une paperasserie bureaucratique visant à vérifier, contrôler, coder, transmettre ... Il arrive à la médecine ce qui arrive au reste de l'économie : la production coûte peu, l'essentiel du prix tient à l'énorme machine de commercialisation et de gestion. D'ores et déjà il existe dans les hôpitaux des directeurs de la communication. Il paraît évident que les hôpitaux feront bientôt de la publicité dans les médias... Finalement, l'essentiel devrait être pour les dépenses de santé payées par la solidarité nationale, le juste soin au juste prix Il existe dès lors trois formes de gaspillage :Ci-dessous un commentaire à cet article publié sur le site Le grand soir et la réponse du professeur A. Grimaldi
Commentaire du 14 février 2007, par Elie Arié
Ce texte est intéressant, j'entends cela souvent, mais avec quelques imprécisions : si les cliniques font la chirurgie et les hôpitaux la médecine, ce n'est pas à cause de la T2A mais bien à cause du système antérieur ! Le processus était à l'oeuvre depuis une bonne vingtaine d'années, et quasi-achevé au moment où la T2A a été mise en route ; le budget global était si positif qu'on cessait de poser des prothèses orthopédiques en octobre et que l'éducation thérapeutique ne se développait pas beaucoup (sauf sans doute à La Pitié où M. Grimaldi est incontestablement un des grands diabétologues français). A dire vrai, dans les budgets en tout cas, l'éducation thérapeutique s'est très rapidement développée depuis 2 ans, avec la T2A (et on y travaille d'ailleurs pour appliquer des règles d'allocation adaptées) Personne ne va supprimer des activités, ce serait contre-productif, et c'est démontrable La solution évoquée à la fin, de revenir à un budget global qui évoluerait en fonction de l'activité ressemble furieusement à la T2A telle qu'elle a été mise en place en France Etc. Mais je ne dis pas que tout est rose, je pense simplement que c'est mieux qu'avant. J'ajouterai qu'on est face à une réaction classique face à tout changement : on idéalise le passé, et on met en avant les défauts de la réforme, on la charge des défauts liés au système antérieur, on se garde bien d'établir un bilan global avant/après la réforme, de proposer quelque chose d'autre, et de considérer qu'elle est améliorable (peu de gens on noté, par exemple, qu'à la grande indignation des médecins spécialistes, le syndicat de l'hospitalisation privée- directeurs, financiers - s'est prononcé pour la suppression du paiement à l'acte des médecins exerçant en clinique, ce qui sera l'aboutissement inévitable de la convergence du financement public/privé). Je donnerai en exemple le fameux "le rôle social et humain de l'hôpital va disparaître", qui sert souvent de manteau pour masquer bien des dysfonctionnements et justifier tout immobilisme ; est-on certain que ce "rôle social et humain" était bien à l'oeuvre partout et toujours (si on n'a pas la mémoire sélective, on a tous des histoires d'hôpital assez épouvantables à raconter, du point de vue "social et humain") ? Sait-on seulement de quoi on parle au juste ? Il me semble, au contraire, que le budgétiser (le fameux "MIGAC") est la première étape pour le définir, puis pour l'évaluer. En fait, l'article du Professeur Grimaldi m'a fait penser à une époque que les plus jeunes n'ont pas pu connaître : celle où le port de la ceinture de sécurité est devenu obligatoire dans les voitures ; on a vu surgir toute une série d'articles protestataires relatant des cas où l'automobiliste aurait été sauvé s'il avait pu être éjecté de sa voiture ; ou, encore, lorsque allumer ses codes en ville la nuit est devenu obligatoire : dès le lendemain, toute la presse a fait état d'un piéton écrasé sur les Champs-Elysées "parce qu'il avait été ébloui par les phares". Histoires d'ailleurs exactes, semble-t-il ; simplement, on se garde bien de faire une comparaison globale avant/après. Elie Arié - Cardiologue (retraité)Réponse du Pr. A. Grimaldi:
Je ne connais pas le Docteur Elie Arié, mais visiblement il s'agit d'un retraité très actif, passionné par la T2A. Au fond, son raisonnement est assez simple : le système de santé et en particulier les hôpitaux en crise, ont besoin d'une réforme. Donc, vive la réforme ! Les opposants à la réforme sont les conservateurs de toujours, les mêmes qui étaient contre le port du casque et de la ceinture de sécurité, contre le chemin de fer et l'électricité... C'est ainsi que toutes les réformes libérales se font en fustigeant les réactionnaires accrochés à leurs privilèges (par exemple la garantie de l'emploi) ou à leurs pouvoirs (par exemple le pouvoir médical). Ainsi, Jean De Kervadoué explique que l'obstacle à la mutation des hôpitaux, c'est l'alliance objective des mandarins et de la CGT (sic !)... On serait tenté de prêter attention à ce genre d'arguments si les mêmes ne défendaient pas l'activité médicale privée au sein de l'hôpital public, le développement de la sous-traitance et de la précarité, et si leur réforme se faisait sur un projet médical et non simplement pour des gains de productivité. Pour eux, la « variable d'ajustement » c'est le coût en personnel. Visiblement, pour le Docteur Elie Arié il n'y a qu'une réforme possible : celle de la T2A, aucune autre réforme n'était envisageable. C'est le triomphe de la « pensée unique réformatrice » ! Je pense au contraire qu'il y a forcément plusieurs types de réformes envisageables, celles allant vers la privatisation et celles allant vers le renforcement et la rénovation du service public. Il n'y a eu aucun débat démocratique mais un passage en force qui ne fera qu'aggraver la situation. En réalité, l'échec de la réforme «Hôpital 2007 » est programmé par ses promoteurs. Lorsque dans 5 ans on constatera l'échec, le Docteur Arié et les « néoréformistes », au nom de la lutte contre l'immobilisme, proposeront d'aller de l'avant en mettant fin au statut de l'hôpital public et à la fonctionnarisation des médecins et des personnels para-médicaux, comme le proposent déjà les avant-gardistes du Syndicat des Directeurs des Hôpitaux. Au fond, la pensée géniale qui sous-tend cette réforme, est que contrairement à ce pensent certains, la médecine est une marchandise. Elle peut se vendre. Jusqu'à présent, on pensait qu'elle coûtait. Désormais, elle va pouvoir rapporter ! Si le Docteur Arié constate que la séparation des activités entre cliniques et hôpitaux est « le résultat d'un processus à l'œuvre depuis une bonne vingtaine d'années », il oublie de se demander quelle est la raison de ce processus. Elle est pourtant fort simple : les cliniques sont à but lucratif ! Elles sélectionnent donc les actes qui rapportent et laissent à l'hôpital ceux qui ne rapportent pas, et on ne peut pas le leur reprocher puisque c'est leur objectif, comme toute entreprise marchande. Ces cliniques connaissent d'ailleurs, comme les entreprises, des processus de concentration. Avant, les chirurgiens possédaient leur clinique. Aujourd'hui c'est la Générale de Santé qui possède 180 cliniques en France et en Italie et fait elle-même l'objet d'OPA ... Notons que le Directeur de la Générale de Santé estime que du simple fait du codage T2A, celle-ci devrait augmenter son chiffre d'affaire de 20% ! Au nom de l'égalité public - privé, les promoteurs de cette réforme « Hôpital 2007 » n'envisagent pas de limiter le profit dans le système de soins, mais au contraire ils proposent de le généraliser. Les hôpitaux pourraient faire comme les cliniques, et d'ailleurs certains, bien qu'à but non lucratif, le font. Par exemple, l'Institut Montsouris, que tout le monde donne en exemple, n'admet pas les urgences et sélectionne les patients et les pathologies. Par contre, l'ensemble du personnel y est embauché à titre contractuel. Voilà le progrès ! Bref, le Docteur Arié, en bon cardiologue, est pour le mouvement et contre l'immobilisme. Mais tout heureux d'avancer, il oublie de se demander où il va. La réforme « Hôpital 2007 » et la T2A avancent à grands pas vers le système américain, avec la bureaucratie à la française en prime !. L'OMC réclame la libéralisation des services déjà mise en œuvre dans un certain nombre de pays en voie de développement, en particulier en Amérique Latine et en Afrique, avec un succès stupéfiant. Il n'y aura plus qu'à faire sauter le petit verrou de l'ONDAM et mettre, à la demande de l'Europe, la Sécurité Sociale en « concurrence - complémentarité » avec les assurances privées, pour achever cette merveilleuse réforme libérale faite bien sûr au nom de l'intérêt des malades et de la population. De toute façon, comme chacun sait, nous n'avons pas le choix ! P.S. : prendre en compte l'activité dans l'évolution d'un budget, n'oblige pas forcément à affecter à chaque patient et à chaque activité un code de rentabilité ! Ci-joint le document sur la T2A adopté par la communauté des médecins et des para-médicaux de l'Hôpital BICHAT.[caption id="attachment_7549" align="aligncenter" width="120"]
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