Pour la souveraineté populaire
07/12/2008 |
La région du Caucase est un puzzle de pays entre lesquels se partagent plusieurs nationalités ; notamment, de l’est à l’ouest : Azéris, Arméniens, Turcs, Adjars ; plus au nord : Lezghs, Avars, Géorgiens et Abkhazes; puis, aux portes de la Russie: Tchétchènes, Ingouches, Ossètes, Balkars et Circassiens.
Le démantèlement du totalitarisme stalinien et la chute du Mur de Berlin se sont conjugués avec les aspirations des nationalités opprimées pour détruire la prison des nationalités que constituait l’URSS. L’Ossétie du Nord (capitale Vladikavkaz) est une république autonome au sein de la Russie, elle possède 650000 habitants dont 400000 Ossètes et 175000 Russes. L’Ossétie du Sud (capitale Tskhinvali) bénéficiait d’un statut d’autonomie au sein de la Géorgie, elle possède 70000 habitants (aux deux tiers Ossètes, Géorgiens à moins d’un tiers). Les Ossètes sont les descendants des Alains de la fin de l’Empire romain, leur langue est apparentée à celle des Pachtouns d’Iran et d’Afghanistan. Le 10 novembre 1989, le soviet d’Ossétie du Sud se prononçait pour l’unification avec l’Ossétie du Nord. En 1990, la Géorgie devenait indépendante de l’URSS, mais supprimait les statuts d’autonomie de l’Ossétie du Sud ainsi que, en bordure de la mer Noire, de l’Abkhazie et de l’Adjarie. En janvier 1991, l’Ossétie du Sud proclamait son indépendance. Le conflit armé et le blocus géorgien durèrent jusqu’au traité de Dagomys, du 26 juin 1992, qui crée une force de maintien de la paix avec des troupes russes, géorgiennes et ossètes. Le pipeline « Bakou-Tbilissi-Ceyhan » (BTC), précieux pour les intérêts impérialistes états-uniens, est le deuxième plus gros dans le monde. Il conduit le pétrole et le gaz produits par l’Azerbaïdjan, depuis le bord de la mer Caspienne, jusqu’au port méditerranéen de Ceyhan, en Turquie à proximité du Liban, en passant à côté de Tbilissi, capitale de la Géorgie. Mais le gouvernement de Washington a une marge de manoeuvre étroite : pour maintenir la domination géorgienne et si possible l’étendre, il doit s’opposer aux droits des peuples. En effet, en Ossétie du Sud, le référendum du 12 janvier 1992 avait approuvé l’indépendance à 99,75 %, mais boycotté par les résidents géorgiens, il n’était reconnu ni par la Géorgie ni par la Russie. En 2006, un nouveau référendum approuvait l’indépendance à 90 %. L’indépendance de fait était confirmée, mais ni le président géorgien, Saakashvili, ni la présidence russe, Poutine-Medvedev, ne voulaient la reconnaître. Pour le nationalisme russe, elle allait encourager les peuples de Tchétchénie (Ingouches et Tchétchènes) à exercer leur droit à l’autodétermination, à poursuivre le démantèlement de l’Empire russe. Pour les nationalistes au pouvoir en Géorgie, le statu quo instauré à Dagomys en 1992 était un recul : ils attendaient le bon moment pour occuper Tskhinvali et restaurer la domination géorgienne sur l’Ossétie du Sud. C’est pourquoi, (mal) conseillé par Washington, Saakashvili a fait intervenir son armée, dans la nuit du 7 au 8 août, en espérant que l’inauguration des Jeux Olympiques de Pékin masquerait son coup de force. Sa réussite aurait servi les intérêts impérialistes étatsuniens contre l’impérialisme russe, en réinstaurant la domination géorgienne sur l’Ossétie du Sud. Mais la riposte russe a été foudroyante. L’armée russe assurait déjà la domination russe sur l’Ossétie du Nord. Au sud, elle participait à la force de maintien de la paix ; maintenant, elle est la principale force d’occupation mais, en Ossétie du Sud, elle a l’auréole d’une armée de libération. Poutine a compris que, dans ces conditions, ne pas reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud c’était autoriser, encore, le pouvoir géorgien à tenter de rétablir sa domination en revenant à la situation antérieure aux accords de Dagomys. En reconnaissant l’indépendance de l’Ossétie du Sud, il s’y ménage l’avenir, mais il encourage, sans le vouloir, les indépendantistes tchétchènes ! Parce que tout Empire est un système de domination des peuples, l’aspiration de ceux-ci à la souveraineté le menace et le promet à l’éclatement. Comme ce fut le cas pour l’Empire ottoman, le démantèlement de l’Empire stalinien s’accompagne de soubresauts. Souvent le nationalisme des nationalités opprimées se développe face au nationalisme cultivé par le pouvoir impérial. Mais, comme toujours, la solution démocratique ne consiste pas à choisir la défense de l’un ou l’autre des impérialismes et des nationalismes dominateurs qui s’affrontent. La démocratie n’est ni avec les intérêts impérialistes russes, ni avec les intérêts impérialistes états-uniens. Les indépendances revendiquées par les majorités territoriales exprimées en Tchétchénie et en Ossétie, tant à l’égard de Moscou que de Tbilissi ou Washington, doivent être reconnues et garanties par l’ONU. Ces majorités territoriales définissent un peuple et fondent sa citoyenneté. Elles sont souvent multinationales : comment en serait-il autrement sur des territoires où les nationalités se chevauchent ? Ces majorités territoriales ne sont donc pas l’expression d’une souveraineté nationale mais d’une souveraineté populaire. C’est le respect des droits de ces majorités qui, en légitimant une citoyenneté, est la meilleure protection des droits des minorités. Révéler ces majorités territoriales par bassin de vie, région par région, peut conduire à re-dessiner les frontières des Etats existants, lorsqu’ils se sont transformés en prison de nationalités. Mais ce sont les peuples, les habitants des pays, quelles que soient leurs nationalités et leurs identités personnelles, qui doivent exercer leur souveraineté. Pas les appareils d’Etat ! Si nous ne voulons pas revivre la guerre de Bosnie et les massacres de Srebrenica, les majorités territoriales qui se révèlent dans les référendums d’autodétermination doivent être respectées, même si elles remettent en cause les vieilles frontières. Pierre Ruscassie[caption id="attachment_3219" align="alignnone" width="120"]
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