Manifs étudiantes à Londres : un moment de bonheur collectif
10/12/2010 |
Philippe Marlière est maître de conférences en science politique à l'University College London. Il collabore régulièrement à la revue Démocratie&Socialisme. Il y tient une rubrique intitulée Internationales. L’article que nous reproduisons ici, avec son accord, est paru dans Rue 89.
Londres, quelques centaines d'étudiants occupent la salle Jeremy Bentham située à côté de la bibliothèque principale de UCL (university college London), l'université où j'enseigne. Cette fac est aujourd'hui rejointe par plus d'une trentaine de campus également occupés : à Londres (School of Oriental and African studies, King's College, Goldsmith, London university of arts, university of East London, South Bank university) et en province (Oxford, Cambridge, Leeds, Manchester, etc.). A UCL, les étudiants séjournent jour et nuit dans une vaste pièce d'ordinaire utilisée pour des réceptions, qui comprend deux petites pièces adjacentes ainsi qu'une cuisine.Un mouvement rare pour la Grande-Bretagne
Cette occupation est le signe de la radicalisation des luttes étudiantes contre un projet de loi du gouvernement libéral-conservateur. Celui-ci envisage de doubler et à terme de tripler le montant des frais d'inscription. A ce stade, les étudiants devront débourser 9 000 livres sterling par an pour étudier. Le Daily Telegraph (conservateur) a reconnu que des étudiants en licence pourraient s'endetter à hauteur de 80 000 livres sterling (soit 95 000 euros), si l'on prend en compte la hausse des taux d'intérêts des prêts étudiants. Phénomène rare ici, trois manifestations successives ont rassemblé un nombre croissant d'étudiants, rejoints par des lycéens. Bravant un froid glacial et la gestion brutale des marches par la police, le succès de ces manifestations s'explique par un rejet déterminé de cette loi jugée profondément injuste et cynique. Injuste, car elle va dissuader les jeunes des classes populaires d'entreprendre des études ; cynique, car le gouvernement continue de faire payer aux forces utiles de la nation la gabegie financière. Le 29 novembre, un groupe de UCL a manifesté devant le magasin Topshop dans l'artère commerçante d'Oxford Street. Philip Green, son propriétaire, est un milliardaire qui a été chargé par David Cameron de réfléchir au moyen de « réduire les dépenses publiques ». Green, dont l'épouse est fiscalement domiciliée à Monaco, a en outre été accusé de fraude fiscale. S'il y a un problème de déficit public, que l'on commence par faire payer les riches, surtout quand ils fraudent le fisc. Les étudiants l'ont bien compris et ont entonné devant le magasin le slogan : « Les impôts dus par Philip Green pourraient servir à financer nos études ! » Après les fonctionnaires et les ménages populaires touchés de plein fouet par les réductions budgétaires et les coupes dans les services publics, les étudiants sont les nouvelles victimes du gouvernement le plus droitier depuis trente ans. L'objectif est de désengager l'Etat de l'enseignement supérieur, synonyme à terme de sa privatisation. C'est donc une guerre idéologique que mène la coalition libérale-conservatrice contre les derniers pans du service public britannique.Soutien de Chomsky, d'artistes, de politiques
Les étudiants de UCL ont également saisi qu'il s'agit d'une offensive qui vise tous les travailleurs du service public. Ils demandent ainsi que la direction de UCL condamne publiquement la réforme des frais d'inscription. Mais ils exigent aussi qu'il soit mis un terme aux licenciements de professeurs et de maîtres de conférences pour motif « économique » ; ou ils veulent enfin que soit mis fin à la précarisation du personnel de service (salaires, conditions de travail). Depuis la semaine dernière, mes étudiants ont reçu le soutien ou la visite de Noam Chomsky, du chanteur Billy Bragg (promoteur des concerts « Rock against Thatcher » dans les années 80), des Babyshambles, Mark Thomas (comédien), Ken Livingstone (ex-maire de Londres), John McDonnell et Jeremy Corbyn (députés de la gauche travailliste), Polly Toynbee (éditorialiste au Guardian), des syndicats RMT (transports) et NUJ (journalistes). Le NUS, le principal syndicat étudiant, dirigé par un jeune apparatchik travailliste, a brillé par son absence, mais cela n'a étonné personne. La BBC, ITV et nombre de télévisions internationales sont venues filmer les lieux, et l'occupation a reçu une couverture médiatique inespérée. Des parents écrivent aux quotidiens pour dire leur fierté et leur joie de voir leur progéniture lutter. Tout cela est si peu courant dans ce pays ! Des enseignants tentent de donner un coup de main :[caption id="attachment_4383" align="alignnone" width="120"]
L’article en PDF[/caption]
