L'heure des choix ? Et si on faisait vraiment du socialisme ?
02/09/2008 |
Feu ! C'est parti. Dernière grand messe, estivale, avant le concile de Reims où l'un d'entre nous, le meilleur on l'espère, recevra l'onction des adhérents, par la grâce du socialisme. A réinventer le socialisme. La France n'est pas présidente et avec Nicolas Sarkozy tout est devenu possible. Une opposition parlementaire atone, ou presque, sur toutes les contreréformes du gouvernement. De celle des retraites à celle du code du travail, en passant par l'Université, la liquidation des 35 heures, et autres saignées dans la fonction publique, sans oublier la réduction d'une tripotée de libertés individuelles et collectives (droit de grève, peines planchers, droit d'asile, regroupement familiale...). A vouloir se la jouer opposition constructive et responsable (comment être constructif en déployant ses voiles dans le sens du vent de la destruction ? Être responsable devant qui? Devant Sarkozy ou les électeurs de gauche? On se demande...), on finit par être les Porte-serviettes du maître d'hôtel de l'Elysée. Grâce à la mansuétude d'une bonne partie de nos députés, le Traité de Lisbonne a pu être ratifié alors que nous avions les cartes en main pour que la barre des 3/5e du parlement réuni en Congrès ne soit pas atteinte et déclencher ainsi un processus référendaire. Pourquoi avons-nous permis au Président d'accentuer le caractère bonapartiste du régime en permettant la réforme des institutions ? Certes, cette réforme ne change pas grand chose sous le soleil de la cinquième, mais le comportement de certains confine au prosarkozysme pavlovien... Qu'avonsnous fait depuis l'arrivée triomphante de la France de Neuilly au pouvoir ? On a gagné quelques villes, mis la main sur quelques Conseils Généraux... Important, essentiel, magnifique ! Mais pas suffisant, camarades ! Nous sommes tranquillement retournés à nos vieilles partitions, jouant toujours les mêmes airs éculés. Sommes-nous socialistes, sociaux-démocrates, sociaux-libéraux ? Faux débat. Notre parti a toujours été social démocrate (36, 81, 97, Blum, Mitterrand puis Jospin n'ont pas déclenché de révolution, non ?). Comment remporter la timbale de la rue Solférino ? Si au moins on pouvait nous éviter les leçons de philosophie du pauvre sur le libéralisme... Les instrumentistes changent, les accords divergent mais la mélodie reste la même. Les 17 millions de Français qui ont dit non à Sarkozy attendent autre chose, sans parler des déçus du sarkozysme qui, dégrisés, n'en finissent plus d'avoir la gueule de bois. Attendre peinard l'alternance, en laissant la droite se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, est-ce cela être responsable et constructif ? L'histoire le dira, mais chacun peut déjà se faire une petite opinion làdessus. La rénovation dont chacun se réclame ne doit pas se limiter au coup de ripolin de la réforme des statuts et de l'adoption d'une nouvelle déclaration de principe, le tout rédigé, emballé et proposé au vote, sans discussion préalable, par l'aréopage de grands leaders qui nous mènent de grandes défaites en faux-semblant de victoires depuis 2002. Rénovation ? Commençons par le Parti. Toute direction ayant failli doit se démettre. Un général défait n'a plus de légitimité sur ses troupes. C'est une question de morale autant qu'une une exigence de la démocratie la plus élémentaire. Les adhérents et les militants sont la force, le souffle, la substantifique moelle du parti. Le mépris dans lequel ils sont tenus, bons qu'à ne se se faire les arbitres plus ou moins éclairés des élégances que se font les barons entre eux les enferrent dans un infantilisme politique qui tue dans l'oeuf l'initiative militante, la volonté d'en découdre, la créativité politique. Notre Parti tend à fondre son fonctionnement sur celui régime : présidentialisme, scrutin plébiscitaire, mépris des avis et initiatives des structures intermédiaires (section, fédération)... pour plus d'efficacité ? Mais est-on plus efficace quand on renie son histoire, sa culture, sa nature ? Le Parti socialiste doit être plus qu'une écurie présidentielle, il doit être le quartier général du progrès social et démocratique en France. Nous voulons transformer la société, pas la mimer. C'est une erreur historique de vouloir couler notre organisation politique dans le moule d'institutions qui ne correspondent ni aux idées ni aux valeurs de la gauche et du socialisme qui fondent notre nature. Démocratie et bonapartisme n'ont jamais fait bon ménage. La nature n'est rien sans la culture. Notre culture est de gauche. Porter les idées des lumières, de la Révolution française, de la séparation de l'Église et de l'État, du mouvement ouvrier, de la Résistance, de l'internationalisme, du progrès humain, ne peut être conditionné aux joutes de salons et bavardages de clubs. Se reconnaître dans la sentence de Jaurès "Sans le Socialisme, la République est vide, sans la République, le Socialisme est impuissant" implique que le combat pour l'Egalité soit le fil à plomb de notre action. L'Egalité n'est rien d'autre que le cœur théorique du socialisme. Les idéologies ne sont pas mortes : la droite n'est qu'idéologie, elle transpire chaque jour le dogme de la liberté du renard dans le poulailler. Et nous ? A force de nous contorsionner en illusoires arrangements théoriques entre le marché et la démocratie, la liberté et la sécurité, la libre entreprise et la justice sociale, la solidarité avec le sud et la défense de la PAC ou que sais-je encore ?, nous avons fini par nous perdre en justifications de l'acceptation du tout libéral et tout sécuritaire et produisons gaiement un salmigondis idéologique qui aurait toute sa place dans un cabinet de curiosité. C'est malheureusement la droite et le MEDEF qui donnent le "la" du débat politique en France. Pourquoi ? Parce que les socialistes (surtout nos dirigeants, à vrai dire pour nous ça va) sont d'une fébrilité idéologique qui ravit et fait ricaner nos adversaires. Nous devons être fiers de nos idées et de nos convictions car nous sommes sûrs de leur justesse et de leur actualité. La ligne actuelle du PS, faite d'acceptation de la politique du gouvernement mâtinée de molles protestations, porte un nom, non assumé : la "troisième voie". Solution miracle qui consiste à faire comme la droite en décrétant que c'est moderne. Anthony Blair, Gérard Schröder, Romano Prodi... Les idoles du modernisme, de la gauche ancrée dans l'avenir... De vrais braves au service du progrès social ! La troisième voie est surtout la voie du retour de la droite au pouvoir là où elle est empruntée. Au risque de pisser sur le totem magique, la politique menée par Lionel Jospin qui se qualifiait de social-libéral était clairement dans la troisième voie, quoique drapée de l'oriflamme des 35 heures, la pilule nous semblât moins amère... mais des 35 heures il ne reste pas grand chose et des privatisations il reste tout. Politique qui a fait fuir l'électorat traditionnel de la gauche et permis le grand happening du 21 avril 2002... suivi immédiatement du second grand happening de mai : la réélection du personnage le plus corrompu de la cinquième république. Grande performance artistique. Les français ne veulent pas du libéralisme. Il l'ont montré à toutes les élections intermédiaires depuis 2002, sanctionnant les gouvernements et surtout au moment du référendum sur le TCE... L'élection de Nicolas Sarkozy ne tenant qu'à notre incapacité à nous mettre au diapason des espérances sociales des français, qui préférèrent parier sur l'illusoire "président du pouvoir d'achat" (slogan de gauche s'il en est) plutôt que pour des abstractions évanescentes telles que les fameuses "sécurités durables" dont on se demande encore à quoi cela pouvait bien correspondre dans le réel comme dans la tête de notre candidate. Rénover le socialisme, c'est se débarrasser des oripeaux hors d'âge de la "parenthèse libérale" ouverte en 1983, c'est en finir avec les vieilles lunes qui ne mènent à rien telle que "l'économie sociale de marché" (on offre les œuvres complètes de Jaurès à qui nous donne une définition de ce machin). Il ne s'agit pas de revenir en arrière (on entend déjà les objections des brillants théoriciens responsables de la situation actuelle du PS), mais bien au contraire de rompre avec notre entêtement à nous complaire dans nos travers. Changer notre fusil d'épaule, sur tous les fronts. Proposer un nouveau pacte républicain, révolutionnaire; qui réhabilite le service public comme garant du vivre ensemble et du bonheur commun face au projet de la jungle libérale; qui donne toute sa place au salaire socialisé (pour la jeunesse en formation, les actifs en rupture d'activité et les retraités), pierre angulaire de la démocratie sociale, meilleur remède aux maux causés par le chacun soi et l'exploitation des plus faibles; qui fasse du droit au travail et à un salaire permettant de jouir des mille plaisirs de la vie une priorité absolue et non une fable pour électeurs hésitants; qui réaffirme le droit à la liberté absolue de conscience pour lutter contre les communautarismes et obscurantismes qui reprennent du poil de la bête et pourrissent la vie de ceux qui en sont victimes (en premier lieu les jeunes filles); qui intègre la construction d'une Europe démocratique et et sociale comme premier paradigme de la politique étrangère de la France... Bref un projet qui ait la gueule d'un projet socialiste et nous pose comme véritable alternative, non seulement à la droite, mais aussi et surtout au libéralisme et à ses ravages dans la société. Un projet de gauche, qui rassemble, mobilise, unit toute la gauche. Si le Parti socialiste exerce un imperium sur la gauche française, il n'est pas seul. Les grandes tendances du socialisme, réformiste et révolutionnaire, sont toujours d'actualité et s'expriment de manière diverse, au moment des élections, dans le syndicalisme, dans les mouvements sociaux. Le nier revient à s'enfermer dans un sectarisme qui divise les forces vives de la gauche, les oppose inutilement, ruine l'impératif d'unité de la gauche qui seul permet aux victoires politiques de se transformer en progrès démocratiques et sociaux solides, s'inscrivant dans la durée. La tentation du centre créée par l'illusion passagère du sexy-centrisme passée et la fonte des neiges communistes actée, l'heure est aux choix pour la reconquête. L'électorat, encore relativement volatile, qui se porte sur les candidatures de la "gauche radicale" représente une force et une dynamique que le PS doit attirer dans une coalition de gauche en se positionnant clairement avec ses partenaires comme débouché politique naturel aux exigences du salariat. Le seul moyen de lutter contre le sectarisme des organisations d'extrême gauche (en premier la LCR-NPA, qui n'a en réalité rien d'extrême quand on y regarde d'un peu près), c'est d'être totalement ouvert à un partenariat qu'il faut initier, porter et réaliser car c'est là la volonté du peuple de gauche : une gauche unie, combative, audacieuse, novatrice. Au congrès de novembre il faudra choisir. Entre la continuité qui nous mènera où nous en sommes, à l'extérieur du pouvoir, et laisse le champ libre à la droite. Ou l'ambition de construire une véritable alternative à gauche en France, pour transformer le réel, construire la république sociale et forcer le destin d'une Europe qui appartienne vraiment à ses citoyens. Renaud Chenu
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