Ce que D&S disait du "couperet" en... juillet 99
06/03/2005 |
Daniel Westlake, «Le couperet», Rivages thriller.
Cadres chômeurs : tuez vos rivaux ! Article paru dans le no 66 de juillet 1999 de D&S
Sérial concurrents
Faire paraître une fausse annonce en demandant votre type de poste. Recevoir ainsi tous les curriculum vitae qui vous menacent, sélectionner les plus dangereux, les plus compétents, et les tuer un par un. Car c'est entre eux et vous que ça se passe. Qui peut vous soupçonner ? Ce sont des gens très différents qui habitent dans plusieurs villes et départements alentour, aucun lien entre eux et vous. Il suffit de les tuer et de disparaître sans laisser de trace. Scénario parfait, incompréhensible, indéchiffrable. Pendant ce temps-là vous continuez à postuler auprès des employeurs potentiels, puis vous visez celui qui occupe le poste convoité, vous organisez l'élimination de cet ultime Concurrent. II ne reste plus qu'à attendre la convocation pour l'entretien d'embauché. Bien sur, ceux que vous éliminez ne le mérite pas, ils sont comme vous, ce ne sont pas vos ennemis. L'ennemi, ce sont les patrons, les actionnaires. Les actionnaires ne s'intéressent à rien d'autre qu'au rendement, cela les conduit à soutenir des cadres de direction formés à leur image qui gèrent des entreprises dont ils se moquent éperdument, dirigent des effectifs dont la réalité humaine ne leur vient jamais à l'esprit, prennent des décisions non pas en fonction de ce qui est bon pour la compagnie, le personnel, le produit ou encore le client, ni même pour le bien de la société en général, mais seulement en fonction du bénéfice. C'est pourquoi les firmes saines, largement bénéficiaires, riches en dividendes, licencient par milliers : pour extirper quelques pourcentages de plus, pour paraître un peu mieux aux yeux de cette bête à mille bouches qui maintient les cadres de direction au pouvoir, avec leurs indemnités à un million de dollars, dix millions de dollars, vingt millions de dollars. On sait tout cela, quand on a 53 ans et qu'on est cadre chômeur, mais à quoi ça avance t il de le savoir ? Si on se syndique, si on milite, dans un syndicat ou un parti, ça ne donne pas de boulot pour autant. Dites-vous lucidement : " Si je tue mille actionnaires et si je m'en tire blanc comme neige, qu'est-ce que j'y gagne ? Rien. Si je tue sept directeurs généraux dont chacun aurait ordonné le renvoi d'au moins mille ouvriers dans des industries saines, qu'est-ce que j'en tirerais ? Rien. Ce sont des ennemis mais pas un problème ". Mon problème, c'est de trouver un emploi. Et pour cela, je dois passer devant ceux qui menacent de prendre le nouveau poste que je vise, à ma place. C'est de l'autodéfense, il s'agit de ma famille, de ma vie, de mon crédit, de mon avenir, ces autres hommes ne sont rien pour moi, mais le système les a mis sur ma route, il n'y a pas de place pour eux et moi, il n'y a qu'une place, et ce sera eux ou moi. Il faut que j'aille vite, parce que mes indemnités chômage sont en fin de droits : c'est le couperet. Et si je ne vais pas vite, il y aura d'autres licenciements dans le métier qui est le mien, il y a un créneau, un seul, il y a un individu qui occupe mon poste, ma place, et six autres qui sont les mieux placés, qui me menacent si le poste se libère, c'est mon problème, mon obligation de régler cela. Il faut que j'aille jusqu'au bout, je ne peux pas m'arrêter à moitié chemin, ça fait sept individus à éliminer, c'est la loi de la concurrence. Ca ne peut pas se passer autrement, sinon, je suis foutu."Le couperet" :
Tout cela sort, non pas seulement de la vérité, mais d'un roman noir, «Le couperet», écrit par Daniel Westlake, aux Ed. "Rivages thriller " chez Payot. "Je ne suis pas un tueur, je ne suis pas un assassin, je ne l'ai jamais été, je ne veux pas être une chose pareille, vide, sans âme et sans pitié, ce n'est pas moi, ça. Ce que je fais, en ce moment, j'y ai été contraint par la logique des événements, la logique des actionnaires, la logique des cadres, la logique du marché, et la logique des effectifs, et la logique du millénaire, et pour finir ma propre logique. Montrez-moi une autre solution, et je l'adopterai. Ce que je fais en ce moment est horrible, difficile effrayant, mais je dois sauver ma vie, ma famille, mes enfants. Quand ils m'ont pris mon boulot, ils m'ont pris la possibilité de rembourser mon prêt, de m'occuper de mes enfants, de passer de bons moments avec ma femme. Un boulot, c'est un boulot, ce n'est pas moi, mais c'est nécessaire. Les centaines qui travaillaient là-bas, ensemble, on était les meilleurs amis du monde, comptant les uns sur les autres, sans même y penser, nous avions toujours su que nous pouvions nous faire confiance sur toute la ligne. Mais une fois licenciés, tout a changé, nous sommes devenus ennemis, nous étions concurrents et nous le savions, ça se voyait sur les visages, les gens qui déjeunaient ensemble ont cessé de déjeuner ensemble, quand quelqu'un vous disait : " - Tu as une piste ? Vous répondiez " non ", même si c'était un mensonge, les amitiés ont cessé, les relations ont cessé, c'était chacun pour soi... Matti AltonenCosta Gavras a fait le film...
Il prouve que quand on fait vraiment ce qu'il faut pour avoir du boulot, on en trouve...
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