Banlieues: novembre 2005, et après?
14/05/2006 |
Les émeutes urbaines de Novembre 2005 n'ont pas fini de nous interroger. Avec du recul, un facteur de crise apparaît clairement: les habitants des quartiers populaires souffrent aussi d'un manque de parole et d'écoute, ce qui est une source supplémentaire d'exclusion. Et plus les politiques s'adressent à eux pour expliquer les merveilleux projets qu'on leur a préparé pour améliorer leur cadre de vie et leur vie quotidienne, et plus ils croient que rien ne va changer.
Il se trouve que, depuis les événements, on assiste à un foisonnement d'initiatives: d'un côté, dans les quartiers, des organisations spontanées de prise de parole se concrétisent, notamment par l'intermédiaires de « blogs » collectifs, et des associations en sommeil et désabusées tendent à se réveiller. De l'autre, dans l'esprit des Forums sociaux mondiaux, les politiques facilitent de grandes manifestations destinées à redynamiser l'action de terrain mise à mal par la politique de démolition du gouvernement au détriment de l'action sociale de terrain. Ce qui suit est issu notamment de ma participation à deux de ces manifestations, à savoir le Forum des Autorités Locales de Périphérie (Falp), prémices d'un Forum mondial des Banlieues, organisé principalement par la Ville de Nanterre et la Rencontre Nationale des Femmes des Quartiers («Quand les femmes s'engagent») organisé par le Gouvernement. Mais, parmi les nombreux blogs existants, j'ai utilisé la matière d'un des plus actifs, à savoir «www.ma6tvachanger.fr» parti à l'origine d'une cité de Thiais (94), et qui se veut un journal hebdomadaire sur le Web.Paroles de désespoir
«Faut voir qu'on est une génération de sacrifiés ; on est les premières victimes de tous les problèmes de société et c'est nous qui payons l'addition à chaque fois. Je dis que la banlieue a brûlé et qu'ils s'en foutent. Oui, les gouvernements, ils te disent qu'il n'y aqiue la démocratie qui compte et, en attendant, nous les jeunes, la démocratie, quand on parle, personne ne nous écoute. Alors moi, je ne vois pas où sont les solutions. L'avenir pour nous, je ne le vois pas, le ghetto va durer, c'est sûr, et le chômage, encore pire, surtout quand t'es beur ou black. On va peut être voter, mais on ne sait même pas pour qui car c'est tous des menteurs.» Farid, Vitry sur Seine «On se revendique pleinement comme femmes des quartiers, parce que nous, on vit la précarité les discriminations raciales et sexistes, l'absence de mobilité. On est scotché, et on ne peut compter que sur nous pour s'en sortir.» Une responsable associative animant un restaurant de quartier. «Concernant le CPE, je dis que la grève est le seul moyen de protester. Et ça dégénère quand le gouvernement s'en fout et n'entend pas la rue. Personnellement, j'habite en banlieue, à Orly, dans une cité, et le CPE, ce n'est pas ça le problème, on est déjà dans la merde sur tous les points. Dans la cité, tu peux inviter personne, tellement c'est pourri, et le boulot, faut déjà qu'on se fasse embaucher. Alors, moi, entre les CDD que t'arrives pas à avoir et le CPE, je sais pas où est la différence, tu te fais virer quand même quand le patron a plus besoin de toi.» Yacine. OrlyParoles d'espoir ou de combat
«En Novembre 2005, au tout début des émeutes nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire. Nous nous sommes sentis solidaires des revoltés et triste de voir des modes d'actions passés seulement par le feu et la confrontation policière. Nous avons ainsi lancé un appel à l'organisation d'un forum social des banlieues national ou une myriade de FS locaux dans les quartiers populaires. Travailler à l'émergence d'une réflexion collective sur ce que nous pouvons faire maintenant, c'est poser notre pierre à l'édifice. C'est ce que nous tentons de faire. Les contributions qui ont suivi l'appel, nous ont permis de prendre conscience que si l'émergence de forums sociaux en banlieues n'a pas émergé spontanément c'est qu'un énorme travail est à réaliser, notamment sur la redynamisation du lien social, et la réappropriation du pouvoir d'agir des habitants sur leur environnement. Aujourd'hui, nous espérons que la terre brûlée puisse devenir une terre d'avenir. Artistes du mouvement hiphop pour certains et activistes du mouvement social, nous sommes persuadés que les zones périphériques ont une richesse humaine et culturelle énorme, encore suffit-il de regarder au bon endroit.» La Rage du peuple, mouvement marseillais «Les politiques nous ont rejetés dans l'associatif, mais on ne se laissera pas faire ; il faut passer le cap associatif et s'engager politiquement ; c'est l'associatif qui va pousser le politique.» Cercle de réflexion citoyen de Saint DenisUn certain bouillonement
La seule chose qui unit la plupart de ces expressions, c'est le rejet du politique: « Ils ne nous ont pas compris, ils ne peuvent rien pour nous, etc.» Toute tentative de récupération est très mal vécue. Et, si, en général, on respecte le Maire, c'est parce que, malgré tout, c'est le représentant le plus proche de l'autorité républicaine. Il y a une forte résistance exprimée envers tous ceux, et notamment vis-à-vis des élus ou des responsables associatifs à caractère communautaire, qui essaient de faire passer le message : «Ne parlons plus des banlieues et des quartiers, parlons des discriminations, du chômage, de l'éducation,... » Dans la grande majorité des cas, ce message ne passe pas, et la réponse est : «Oui, mais nous, on a moins de chance que d'autres de s'en sortir.» Et, en même temps, le souhait de reconnaissance, de se retrouver dans la société française «normale» fait qu'on recherche l'échange avec les autorités, et pas seulement parce qu'il faut en passer par là pour avoir des subventions; chez les responsables les plus engagés dans l'action citoyenne, la tentation du politique est forte. Dans les coulisses de ces manifestations, un débat rémanent était : faut il monter des listes représentatives des banlieues aux prochaines municipales? On sent un immense besoin de reconnaissance, mais dans la dignité et la justice, et surtout, sans compassion. Quant aux positionnements vis-à-vis des familles politiques traditionnelles, si les études montrent que les quartiers populaires penchant légèrement à gauche, les paroles montrent que le spectre des opinions est aussi large que celui de la société française toute entière. En tout cas, l'immense changement depuis les événements de Novembre, c'est que le silence commence à se rompre: On veut s'exprimer, on veut s'engager, même si ce n'est pas exactement de la façon que les autres voudraient nous voir adopter. Et notons que, si cela se produit, c'est parce que la violence a créé de l'écoute, la où elle n'existait pas.Quel pourrait-être l'attitude du PS?
D'abord, et c'est une évidence, ce sont les élus locaux qui se trouvent en première ligne ; ils doivent abandonner les ersatzs de concertations communicantes sur les projets ; elles n'ont aucun impact. Ils se doivent, en particulier dans les opérations de rénovation urbaine, de faire des habitants de vrais acteurs, c'est-à-dire leur donner du pouvoir d'expertise interne et externe, leur conférer une capacité d'initiative et discuter des options prises en les laissant ouvertes. Une opération particulièrement réussie par un élu socialiste aura, grâce à Internet, une notoriété certaine. Le problème n°1, c'est quand même l'emploi, et notamment, l'emploi des jeunes, dans un contexte de discrimination. Or, le PS n'est pas au pouvoir, mais dans les nombreux cas où les collectivités territoriales ont mis en place des formules d'emplois aidés du type « emplois tremplins », il faut les populariser, mais surtout dire qu'on est conscient que cela facilite l'accès à l'emploi et que cela évite la galère, mais que la question du « vrai emploi » correspondant aux aptitudes et aux souhaits reste posée. D'autre part, il faut faire connaître ce qui existe, avec un langage qui ne soit pas un langage standard de guichet administratif, en essayant de traiter les problèmes de manière humaine et personnalisée. Certaines administrations sont prêtes à faire des efforts dans en ce sens ; il faut en profiter. Et ainsi de suite. On pourrait aussi évoquer de la même façon la souffrance sociale des mères célibataires ou des vieux sans familles, souffrance qu'il faut soulager. Le politique ne peut pas se contenter de mettre en place des dispositifs d'appui ; il doit s'y impliquer. Enfin, on peut, on doit parler politique, la politique intéresse ; mais il faut trouver le ton et les bonnes tribunes. Traitons de la politique en évitant le jeu communautariste ou sexiste, mais en prenant en compte les modes d'expression spécifiques tels qu'ils existent, et surtout pas pour convaincre et pour tenir un discours partisan « tout fait », mais en écoutant et en échangeant avec des citoyens à part entière de notre République. Est-ce trop demander que de changer d'attitude? C'est vrai que c'est plus facile quand certains militants ou élus sont issus des quartiers populaires. Si nous faisons cela, le reste, c'est-à-dire le projet, le programme national et municipal, viendra simplement, tout seul et sonnera juste. Robert Spizzichino[caption id="attachment_1577" align="alignnone" width="120"]
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