52% des électeurs reprochent au PS de ne pas être assez à gauche
24/07/2009 |
On ne peut pas dire que les élections européennes du 7 juin se soient conclues par une victoire de l’UMP puisque, parti hégémonique au gouvernement, il ne rassemble que 11,2% des inscrits. En revanche, on doit dire que le PS a subi une lourde défaite qui s’apparente aux 14 % obtenus par la liste de Michel Rocard en 1994. Le phénomène fondamental est celui de l’abstention qui a surtout touché la gauche : le 7 juin, le PS n’a rassemblé que le tiers de son électorat, la droite en a quand même rassemblé la moitié. Et, pourtant, on est loin de la « mort du PS » que certains annoncent à grands cris, croyant ainsi la précipiter.
Au lieu d’enterrer le PS, il faut rectifier son programme et sa stratégie parce que, tels qu’ils sont, ils conduisent la majorité des électeurs socialistes à être excédés devant le vide des campagnes électorales du PS. 52 % des électeurs socialistes reprochent au PS de ne pas être assez à gauche : ne pouvant pas formuler en positif des propositions concrètes pour ancrer le PS à gauche, militants et électeurs expriment souvent ce mécontentement en dénonçant la « cacophonie » des dirigeants du PS.Comment faire ?
Certains dirigeants socialistes croient trouver la solution dans la tarte à la crème de la « refondation » ou de la « rénovation ». Mais, ce sont là des idées creuses, vides de contenu, qui sont utilisées pour éviter d’aborder les erreurs de programme et de stratégie. « Refondation » et « rénovation » sont donc les formules qu’utilisent les dirigeants sociaux-libéraux croyant ainsi remobiliser les électeurs socialistes tout en gardant l’orientation sociale-libérale. Ce n’est pas d’aujourd’hui : pour approfondir la rénovation, les sociaux-libéraux italiens sont allés jusqu’à fusionner avec les « démocrates-chrétiens ». C’est une façon de fortement ancrer dans le libéralisme le principal parti de la gauche, ce qui ne le transforme pourtant pas en parti de la droite parce que la place est prise à droite alors qu’elle est libre à gauche mais qui le conduit (et la gauche avec lui) à s’effondrer électoralement. Cet effondrement du PD en Italie résulte de deux causes (et non d’une seule) : d’une part, la consolidation de l’ancrage droitier de sa majorité et, d’autre part, la réduction de son pluralisme en raison d’une fusion qui rend plus difficile la cohabitation avec les courants de l’ancrage à gauche. Ces deux facteurs empêchent, en effet, une partie importante des électeurs socialistes de se sentir représentés par le PD, les uns parce qu’ils ne le trouvent pas assez ancré à gauche, les autres parce qu’ils sont trop hésitants sur le programme nécessaire à la gauche pour choisir un parti trop monolithique.Unité de la gauche et ancrage à gauche
En revanche, l’idée de la « maison commune de la gauche », défendue par Martine Aubry, est un retour à la stratégie d’unité de la gauche (de « front unique ouvrier ») ce que les militants socialistes appellent « renouer avec la stratégie d’Epinay » en référence au congrès de 1971. L’unité de la gauche est une étape nécessaire vers la constitution d’un parti unifié de la gauche et donc un pas en avant vers l’instauration de la démocratie dans la gauche. Ainsi, l’élaboration d’un programme commun de la gauche oblige à comparer les arguments favorables à un ancrage à gauche et ceux favorables à un ancrage social-libéral. Or, la confrontation démocratique favorise un programme de démocratie sociale. C’est pourquoi les sociaux-libéraux refusent l’union de la gauche ou n’iront qu’à reculons. Unité de la gauche ou maison commune de la gauche favorisent l’ancrage à gauche. Refondation et rénovation sont le rideau de fumée que lui oppose le social-libéralisme. L’idée de la « maison commune de la gauche » pousse le PS à gauche et fait obstacle à l’idée d’alliance avec la droite (Modem de Bayrou ou autres). Le 7 juin est la démonstration de l’échec du social-libéralisme et de la troisième voie. Mais, est-ce que cette démonstration sera suffisante pour pousser la gauche à s’unir ? L’unité de la gauche et l’ancrage à gauche sont les deux facteurs de la mobilisation du peuple de gauche et de renforcement de la gauche. C’est de ce point de vue qu’on peut tirer les leçons de ces élections européennes.Le PS, parti pluraliste, parti de gauche par défaut
En l’absence d’union des partis de gauche autour d’un même programme, la mobilisation de la masse des électeurs de gauche profite principalement aux organisations de gauche qui ressemblent le plus à cette unité, c’est-à-dire qui sont les plus pluralistes. Cette mobilisation en leur faveur varie, cependant, en fonction des réponses qu’ils apportent aux revendications, c’est-à-dire en fonction de leur ancrage à gauche. L’électorat socialiste constitue en France 60 % de l’électorat de la gauche parce que le PS est le « parti de gauche par défaut ». La masse des électeurs de gauche ne comprend pas l’éclatement de la gauche en plusieurs partis. Ceux qui n’ont pas d’exigence programmatique précise et détaillée votent pour le PS parce que son caractère pluraliste leur évite un choix programmatique qu’ils préfèrent confier aux responsables de la gauche. Lorsqu’il advient que ces électeurs sont porteurs d’une revendication particulière, ils attendent de leur parti qu’il y réponde. Mais puisque, depuis longtemps, le PS ne répond pas de façon satisfaisante aux revendications sociales portées par ses électeurs, alors son électorat se démobilise. C’est ce qui lui arrive depuis 1983 et notamment depuis 1993, malgré une embellie en 1997. Cette fracture électorale s’approfondit avec la reproduction de ses causes, mais elle ne se traduit que très marginalement par un déplacement d’une partie de l’électorat socialiste vers d’autres partis de gauche.Position de retrait ou vote refuge
En effet, faute d’en trouver un qui soit suffisamment pluraliste, ces électeurs socialistes se retirent dans l’abstention. Ils reviendront voter socialiste lors du retour du PS à l’ancrage à gauche ou, à l’occasion, lors d’élections locales par exemple. Néanmoins, cette étape de l’abstention pourrait, pour certains, n’être qu’une étape d’une transition, provisoire ou durable, vers un autre parti de gauche : mais ce trajet est rare. En effet, plutôt que de s’engager en faveur d’un autre parti plus monolithique, pour ces électeurs socialistes déçus, il est plus facile de se retirer dans l’abstention. Éventuellement, une partie peut se réfugier dans le vote pour une organisation qui paraît suffisamment pluraliste pour que, lui faire provisoirement confiance ne soit pas vécu comme un enfermement dans une organisation monolithique. C’est la démarche choisie par la partie de l’électorat socialiste qui a préféré le vote pour « Europe Ecologie » plutôt que l’abstention. Les Verts, bien que non monolithiques, mais dont la crédibilité est limitée à l’écologie, ne peuvent donc pas jouer le rôle de « parti de gauche par défaut ». Mais l’alliance qui constitue « Europe Ecologie » allant de José Bové à Daniel Cohn-Bendit en passant par Eva Joly (soit de Besancenot à DSK), est apparue suffisamment pluraliste pour bénéficier d’un vote refuge qui a assuré son succès.L’échec de la gauche de la gauche
Le doute sur l’ancrage à gauche du PS a donc conduit les deux tiers de son électorat, excédés, à se réfugier dans l’abstention et chez « Europe Ecologie ». Mais pourquoi, ce doute n’a-t-il alimenté que très marginalement le vote pour la « gauche de la gauche » (« Front de gauche » et NPA essentiellement), alors que ceux-ci répondaient, à leur manière il est vrai, à l’attente d’une majorité de l’électorat socialiste ? Cet échec de la gauche de la gauche s’explique parce que ces deux organisations ne sont pas pluralistes. Les électeurs socialistes qui se reconnaissent dans l’essentiel de leur campagne (la défense argumentée de l’Europe sociale), ne maîtrisent pas, pour autant, la totalité de leur programme : ils ne s’y sentent donc pas (encore ?) chez eux. C’est pourquoi ils ont cherché refuge ailleurs.Des vases communicants
Toutefois, ces deux organisations n’ont pas la même image. Il est ainsi remarquable que, en début de campagne, les sondages accordaient 11 % des voix au NPA et 3 % au « Front de gauche » alors que, au terme de la campagne, le NPA tombe à 4,8 % et le « Front de gauche » se hisse à 6,5 %. Un phénomène de vase communicants a bénéficié au « Front de Gauche ». Pourquoi ? Parce qu’il est perçu comme davantage pluraliste. Il est, en effet, composé du PCF, du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et de la Gauche Unitaire de Christian Picquet. Ce pluralisme est très réduit et ne s’apparente pas à l’unité de toute la gauche : il n’a pas permis d’attirer beaucoup d’électeurs socialistes mécontents du PS. Mais il est apparu comme plus ouvert que le monolithisme et le sectarisme de la direction du NPA qui a obstinément refusé de s’intégrer dans ce « Front de Gauche ». Elle en a payé les frais.Alliance ou ralliement ?
En bénéficiant de voix promises au NPA, le «Front de Gauche » a retrouvé les voix obtenues par le PCF aux européennes de 2004. Il n’a donc pas réussi la percée que ses dirigeants espéraient. Pour tenter encore de la réussir, le « Front de Gauche » devrait proposer à toutes les composantes de la gauche de se rassembler, à égalité de droits, pour constituer une unité de la gauche autour d’un programme commun. Mais, au lieu de proposer une alliance, il propose un ralliement au «Front de Gauche ». Cet appel au ralliement est la conséquence du choix fait, il y a huit décennies, par les fondateurs du Parti Communiste et, il y a huit mois, par le fondateur du Parti de Gauche de constituer un nouveau parti sur un programme d’ancrage à gauche, mais aussi sur le refus de cohabiter avec les partisans d’un programme social-libéral. Ces fondateurs ont renoncé à construire le parti unifié de toute la gauche car ils estiment que l’ancrage à gauche ne peut pas l’emporter sur le social-libéralisme. Cet appel au ralliement s’adresse à l’aile gauche du PS et au NPA, essentiellement. C’est une tentative de division du PS et donc de la gauche. C’est un appel à laisser l’électorat socialiste sous l’influence du social-libéralisme, sans même en distraire une partie, comme le montrent les résultats du 7 juin pour le « Front de gauche ». L’aile gauche du PS ne va pas commettre la même erreur. Cette tentative est donc vouée à l’échec. L’unité de la gauche ne se fera pas autour d’un de ses partis, qui plus est, minoritaire comme le PCF. L’échec de la « gauche plurielle », qui s’était constituée autour du PS et non autour d’un programme commun, est là pour nous le rappeler.L’unité de la gauche, démarche démocratique
La constitution d’une Union de la gauche au travers d’une confrontation des différents programmes en présence permettra d’aboutir à un accord programmatique, à valider par un référendum mobilisant les adhérents des partis concernés. Elle profitera à tous. Les électeurs de gauche abstentionnistes reprendront confiance et la majorité politique que possède la gauche deviendra une majorité électorale. En effet, la forme pluraliste du débat démocratique crée les conditions les plus favorables au programme de la démocratie sociale. Cette stratégie assurera l’ancrage à gauche du gouvernement qui en sera issu. Cet acquis appellera la formation d’un parti unifié de la gauche qui conjuguera, à la fois, la victoire de l’unité de toute la gauche et la défaite du social-libéralisme. C’est pourquoi les sociaux-libéraux repoussent perpétuellement la réalisation de cette unité de la gauche. Pourtant, il leur est difficile de s’attaquer frontalement à la stratégie du congrès socialiste de 71 à Epinay, en raison de la majorité politique dont dispose la gauche. D’ailleurs, les défaites de la gauche, dues à l’orientation imposée par les sociaux-libéraux, les confortent en laissant croire que la gauche a besoin d’une partie de la droite… qui exige toujours des concessions supplémentaires au libéralisme. L’échec du MoDem de Bayrou est donc une bonne nouvelle : la gauche n’a pas besoin de lui.Répétition des leçons de l’histoire
La gauche a déjà connu des situations de crise : en 1914, lorsque les députés socialistes ont voté les crédits de guerre ; en 1940, lorsque plus de la moitié des parlementaires socialistes ont voté les pleins pouvoirs à Pétain ; en 1958, lorsque la SFIO appelle à soutenir de Gaulle et la Constitution de la Ve République ; en 1983, lorsque le gouvernement adopte le plan néo-libéral de Delors et, en 2005, lorsque le PS appelle à voter « oui » au libéralisme européen. Chacune de ces descentes aux enfers s’est poursuivie jusqu’à l’explosion sociale qui a contraint la vieille génération dirigeante de la gauche à céder la place à une nouvelle équipe chargée de répondre aux exigences des mobilisations sociales. Mais les réponses n’ont pas toujours été celles qu’il fallait : la révolution d’Octobre et la division du mouvement ouvrier, la Libération et la politique de 3e force, Mai 68 et l’Union de la gauche, Novembre-Décembre 95 et la Gauche plurielle. C’est cette réponse que nous devons apporter aujourd’hui, grâce au niveau des exigences populaires, exprimé lors des mobilisations sociales de janvier et mars, qui sont sans équivalent historique.Unité ou uniformité ?
Cependant, si le congrès de Reims de 2008 a montré la crise de la génération Jospin (les quadras et quinquas qui dirigent le PS depuis la présidentielle de 1995), il a aussi montré que sa pseudo- cohérence politique, baignée dans le social-libéralisme depuis 1983, la rendait incapable de s’engager dans la construction de l’unité de la gauche autour d’un programme commun. Pour tenter de se survivre, cette génération Jospin se saisit de quelques bouées : « refondation », « rénovation » et surtout « primaires ». C’est-à-dire « primaires au lieu de programme ». Refondation, rénovation, primaires, autant de paquets-cadeaux possibles pour faire sortir le candidat providentiel de la boîte. C’est la tactique de Sarkozy pour unifier la droite… autour d’un candidat dont le programme est une surprise que la base découvrira avec la campagne. C’est dessaisir ses partisans des choix programmatiques et se couler dans le moule bonapartiste de la Ve République : un général et ses troupes. Si la gauche utilisait cette méthode, elle choisirait l’uniforme et non l’unité. Elle se rendrait prisonnière des médias comme cela s’est passé pour la candidature de Ségolène Royal : portée au pinacle avant sa désignation, descendue en flammes par la suite et faisant campagne du 19 novembre au 11 février sans programme. Trois mois au cours desquels son score passe de 54 % à 47 %.Démocratie ou bonapartisme ?
Le ralliement à un candidat, auquel on donne carte blanche, ne doit pas être le choix de la gauche, pas davantage que le ralliement à un de ses partis. La démocratie c’est le débat sur le programme qui permet de souder tous les militants autour du programme approuvé par référendum auprès des adhérents des partis. Souvenons-nous de la participation au débat sur le TCE en 2005. C’était un signe de politisation et une promesse de mobilisation. C’est ce qu’il faut réaliser pour le programme de la gauche. Après quoi, le choix de la candidature sera celui d’un porte-parole national entouré de 577 candidatures qui seront autant de porte-parole dans chacune des 577 circonscriptions. Pierre Ruscassie[caption id="attachment_3697" align="alignnone" width="120"]
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